2 – Les difficultés de maîtrise du métalangage relatif à la langue.

Les difficultés d’accession à une parole abstraite vont de pair avec les difficultés de maîtrise du métalangage relatif à la langue. Autrement dit, les apprenants ont du mal à maîtriser la connaissance de ce que sont un mot, une lettre, une phrase, une ligne, … En découle parfois une incompréhension de notre part, assortie d’une demande d’explicitation des propos de l’apprenant.

Voici un exemple extrait du troisième EdE avec Christophe : un exercice présente un mot-cible – « cheval » - avec son dessin correspondant et une liste de mots à côté. Il s’agit de mettre entre parenthèses les mots de cette liste qui ne contiennent pas la lettre « a ».

M : et là vous avez souligné « cheval »

C : ben ouais

M : hum

C : ouais parce qu’y était pas dans, dans la phrase, dans les phrases

M : dans les phrases ?

C : dans, dans les lignes euh, où c’est que, auprès du dessin

Ici, Christophe fait une confusion entre la phrase et la ligne, d’où notre incompréhension de ses propos. Cependant, il parvient à se corriger seul.

Avant le premier EdE, nous faisons un exercice avec Jean-Charles : une liste de mots est présentée, commençant par un « r » ou un « v ». Il s’agit de barrer les mots qui ne commencent pas par la même lettre que le mot-cible illustré par un dessin (en l’occurrence, le mot « roue »). Nous essayons de nous faire expliciter l’anaphore « le » dans les propos de Jean-Charles.

M : vous m’avez dit : « il faut le laisser ». Qu’est-ce qui faut laisser ?

JC : ben le mot de la, le, la, … le nom de la roue, qu’est le « r »

Ici, Jean-Charles ne parvient pas à accéder au concept de « lettre ». Il emploie à la place celui de « nom » qu’il confond dans un premier temps avec celui de « mot ».

Voici un second exemple de mise en défaut des capacités métalinguistiques lors du deuxième EdE avec Jean-Charles :

M : donc on vous demandait dans l’exercice de trouver

JC : le mot, le mot

M : le mot

JC : la lettre, la lettre [JC prend un ton affirmatif], c’est la lettre ?

Jean-Charles semble confondre « mot » et « lettre », mais il se corrige seul, tout en doutant de cette correction.

A travers ces difficultés métalinguistiques, nous pouvons pointer l’aspect paradoxal de notre premier dispositif : ce dernier vise à faire accéder les apprenants à une meilleure maîtrise du lire-écrire, avec un impact indirect sur leurs capacités relatives au métalangage. En même temps, ce dispositif nécessite une certaine habileté métalinguistique (ainsi, pour résoudre les exercices proposés, les apprenants doivent maîtriser a minima les concepts de « lettre », « mot », « ligne », …). Ce paradoxe se retrouve pour les facultés d’abstraction : les EdE ont pour objectif d’aider l’apprenant à développer ses capacités d’abstraction ; cependant les EdE sollicitent ces capacités.

Ces deux premiers points que nous avons développés font apparaître une mise en défaut des deux apprenants interrogés dans leurs capacités langagières orales et écrites ainsi que dans leurs capacités métalinguistiques. Ces entretiens les confrontent donc à l’échec, à l’erreur. Comment vivent-ils, dans le cadre de nos entretiens, le rapport à l’erreur ?