3 – L’erreur vécue comme sanctionnante.

Les apprenants ont du mal à être autonomes lors des exercices de lecture proposés. Notre présence est vécue sur un mode normatif : Christophe et Jean-Charles nous sollicitent fréquemment pour savoir s’ils ont bien ou mal répondu, même si nous ne regardons pas leur feuille durant la période de l’exercice.

Lors de l’entretien, ainsi que nous l’avons souligné précédemment, notre jugement est de nouveau sollicité. Dans les réponses qu’ils donnent aux questions, les apprenants recherchent notre approbation, à travers une intonation interrogative. Ils perçoivent d’ailleurs, sous-jacente aux questions, l’éventualité d’une erreur qu’ils auraient pu commettre à tel ou tel endroit de l’exercice.

Ce rapport à l’erreur vécue comme sanctionnante apparaît lors du premier EdE avec Jean-Charles :

M : et je vois là le mot, là, vous l’avez rayé

[silence] [JC fait un geste]

M : je crois hein qu’il est rayé

JC : oui, oui

M : c’est ça hein. Alors comment vous avez fait, de même ?

JC : non, il est pas à rayer celui-là ? C’est un « r ». Faut le laisser – laisser, laisser, laisser, rayer, laisser, laisser, hum [il repasse les différents mots en revue]

M : bah c’est pas grave

JC : j’ai fait une faute, j’ai fait une faute

M : oui, bah c’est pas très grave

JC : vous avez une gomme, vous avez une gomme ?

Même si nous essayons de minimiser l’erreur que Jean-Charles a commise, celui-ci la vit sous le mode d’une faute à réparer en l’effaçant. Soulignons que l’apprenant a écrit au crayon de bois afin de pouvoir éventuellement gommer toute erreur qu’il aurait réalisée. Cette situation, ces mots « faute » et « gomme » employés, ne sont pas sans rappeler une situation scolaire dans laquelle un expert enseigne à des novices, situation dans laquelle les fautes sont traquées et exclues, et où le statut de novice implique une écriture imprécise, imparfaite, donc susceptible d’être gommée le cas échéant. Peut-être Jean-Charles a-t-il vécu une situation similaire au cours de son passé scolaire et que l’exercice est l’occasion d’une réactivation de ce vécu douloureux.

Nous avons vu dans ce point B combien notre dispositif met en échec les deux personnes en situation d’illettrisme interrogées relativement à leurs capacités langagières orales et écrites : le vocabulaire et la syntaxe nous semblent pauvres, incorrects, révélant des difficultés d’accession à un discours abstrait ; la maîtrise du métalangage relatif à la langue est difficile ; qui plus est, l’erreur est vécue comme sanctionnante. Ce cumul de difficultés aboutit au final à une dévalorisation de l’apprenant, un renforcement de la situation d’échec à laquelle son parcours l’a conduit. Ainsi en témoigne Jean-Charles lorsqu’il nous demande, désignant un mot qu’il a écrit au bas de la feuille d’exercice : « ouais, on le laisse non ? On peut le laisser ? ». Autrement dit, Jean-Charles nous demande s’il peut laisser une empreinte de lui-même imparfaite, qui va signer un manque, une incapacité, au regard d’un autre qui lui apparaît comme détenteur du savoir. Il nous faudra donc penser un nouveau dispositif qui ne mette plus en échec l’apprenant, mais qui, au contraire, le réétaye narcissiquement.