1 – Des difficultés relatives à l’explicitation de la parole.

Les deux apprenants interviewés ont du mal à tenir des propos explicites. Ils ont tendance à utiliser beaucoup d’anaphores qui restent implicites, charge à nous de les rendre explicites. Cette situation nous semble aller de pair avec leurs difficultés d’accession à un discours abstrait pour lequel le vocabulaire reste pauvre et la syntaxe incorrecte. Aussi, bien souvent, nous sommes amenée à expliciter des anaphores à la place de l’apprenant.

Nous reprenons ici un exemple évoqué plus haut avec Christophe lors de la troisième rencontre :

M : qu’est-ce que vous avez compris, vous, C ?

C : bah pff [il relit la consigne] oui qui concernent pas, fallait les barrer oui

M : alors fallait barrer les mots qui, alors qui ne concernent pas quoi ?

C : bah le, le, correspondant du, par le dessin

Dans une intervention, Christophe utilise une anaphore (« les ») non explicitée auparavant. Je l’explicite ensuite par « les mots ».

Voici un autre exemple d’explicitation d’un mot – « l’autre » - en une proposition – « ce qui vient ensuite » :

M : vous avez regardé les points

JC : et pis après j’ai lu

M : et après, voilà, vous avez lu

JC : l’autre, l’autre, l’autre

M : ce qui vient ensuite ?

JC : oui

Dans cet exemple suivant, nous pallions les difficultés de maîtrise du métalangage que présente Jean-Charles en explicitant des concepts sous-jacents à ses propos :

M : pour mettre le mot comment ?

JC : ben trouver le mot pour euh, le mot du poste, du, comment, comment ça s’écrit ?

M : voilà pour trouver, mettre la lettre pour trouver

JC : le mot du poste, « le poste », « le verre », « l’avion »

M : pour faire le mot en fait

JC : pour faire le mot, oui, voilà

Lors d’une première intervention, nous traduisons la phrase de Jean-Charles par le concept de « lettre », concept qu’il ne semble pas maîtriser. Lors d’une seconde intervention, nous induisons des trois exemples de mots présentés par Jean-Charles le propos général suivant : « pour faire le mot en fait ». Le concept de « mot » apparaît ici. Aussi, les difficultés d’explicitation de la parole des apprenants ont à voir avec les difficultés de maîtrise du métalangage relatif à la langue, ainsi que les difficultés d’accession à un discours abstrait.

Parfois, nos explicitations se situent dans le cadre d’une communication factice, autrement dit, nous posons une question rhétorique à l’apprenant, question pour laquelle nous connaissons déjà la réponse.

Voici un exemple extrait de la troisième rencontre avec Christophe, dans lequel nous explicitons l’anaphore « elle », sachant à l’avance ce qu’elle recouvre :

M : comment vous avez fait quand vous avez regardé dans chaque mot ?

[silence]

C : ben j’ai regardé euh [silence] où c’est qu’elle t’ait pis euh, ouais ?

M : hum. Alors, où c’est qu’elle était ouais, euh

C : le, où c’est y’avait le, la lettre « a » dans chaque mot ouais

M : d’accord [silence] Hein, quand vous dites « j’ai regardé où c’est qu’elle était »

C : ouais

M : c’est en fait où était la lettre « a » ?

C : ouais

Christophe utilise d’abord l’anaphore « elle » dans une première intervention, puis l’explicite dans une seconde intervention (« la lettre « a » »). Nous avons compris cette explicitation ; malgré cela, nous en demandons une confirmation à Christophe.

Voici un second exemple de question rhétorique de notre part adressée à Christophe lors de la première rencontre. Cette question intervient suite à un exercice de lecture dans lequel des mots étaient en partie effacés. Il s’agissait, après lecture du texte, de retrouver quels étaient ces mots.

M : donc là, de même, comment vous vous y êtes pris ?

C : bon, bah, y avait des mots qu’ils taient coupés par, c’est le cas de le dire, coupés par le milieu

M : hum

C : qu’ils taient effacés

M : hum

C : déjà, en commençant à les lire, à les regarder euh ça peut, c’est comme ça, ça m’a aidé un peu presque

M : d’accord

C : ouais [il rit]

M : vous dites hein en commençant à les lire, à les lire, c’est quoi « les » ?

C : bah les lire euh c’est de les regarder pis les lettres sont coupées par le milieu

M : vous voulez dire c’est les mots, vous regardez les mots, ou vous regardez juste ?

C : ouais les mots, voir comment ils sont coupés euh

Christophe débute son intervention en réexpliquant la consigne de manière explicite : il emploie le concept de « mot ». Ensuite, il utilise l’anaphore « les » qui peut paraître un peu ambiguë dans le contexte. Cependant, Christophe veut évoquer, par cette anaphore, « les mots » dont il parlait précédemment. C’est ainsi que notre intervention visant à la lui faire expliciter peut paraître une question rhétorique. Néanmoins, Christophe ne parvient pas à répondre à cette demande d’explicitation. Notre formulation – « c’est quoi « les » ? » - peut sembler ambiguë, pouvant être interprétée par : « comment avez-vous fait pour les lire ? ».

Il nous faudra donc penser un dispositif de communication réelle dans laquelle toute interrogation est motivée par une ignorance d’un locuteur à l’égard des informations détenues par l’autre locuteur ; dans le cas contraire, le dispositif formatif serait basé sur un leurre, ce qui ne permettrait pas à la personne en situation d’illettrisme d’éprouver les limites de la communication, notamment le fait que l’interlocuteur à qui elle s’adresse n’est pas omniscient.