B – L’obstacle de la généralisation.

L’interviewé généralise. Cela peut se manifester à travers l’emploi de termes tels que « à chaque fois que », « toujours », mais aussi à travers l’abandon d’une posture en première personne, pour laquelle on s’exprime en « je », au profit d’une posture en « on ». L’emploi du « on » apparaît en réalité comme un indicateur parmi d’autres du phénomène de généralisation ; il s’agit de croiser celui-ci avec d’autres indicateurs. Néanmoins, lorsque cet emploi du « on » s’avère, de manière quantitative, important, cela peut être un indicateur d’un processus de généralisation, même si la personne interviewée peut se protéger derrière un « on » plus neutre au lieu de s’exposer dans une posture en première personne.

Les extraits suivants en témoignent :

Bien que questionnant son fonctionnement personnel, nous n’arrivons pas à obtenir de Martine une parole en « je ». Elle emploie de nombreux « on » de généralisation (13 au total dans cet extrait). La question de départ que nous posons semble ici être l’une des causes de cette généralisation. En effet, nous questionnons un processus cognitif, ainsi que le souligne Vermersch (1994) : « Faire décrire exclut donc que le sujet soit questionné sur un domaine qui n’est pas observable. C’est pourquoi il n’est pas judicieux de le questionner directement sur les processus cognitifs à l’œuvre. Aucun observateur, qu’il soit psychologue ou non, ne peut observer des processus cognitifs, tout simplement parce qu’il ne s’agit pas d’une réalité observable, mais d’un concept abstrait. »348 Ainsi donc, à partir d’un concept abstrait, on obtient des généralisations.

On peut noter ici le passage d’une posture en « je », par laquelle Charlotte témoigne de son fonctionnement mental propre, à une posture en « on », par laquelle celle-ci manifesterait qu’elle généralise, ce qui pourrait montrer qu’elle sort d’une position de parole incarnée. L’emploi de ce « on » en alternance avec le « je » n’est-il pas une manière déguisée de dire « je », le « on » paraissant plus à distance, donc impliquant moins le sujet ? Ainsi apparaîtrait une réaction protectrice de la part de Charlotte.

En outre, celle-ci fait appel à des connaissances théoriques, ce qui correspond à un type d’information satellite de l’action (Cf. 10 : « y’a des choses tu peux pas, on peut pas porter »), connaissances qui mettent le sujet au contact d’une réalité abstraite et non d’un vécu d’action.

Un guidage plus directif, avec une invitation à l’évocation, aurait peut-être permis une parole davantage incarnée.

Notes
348.

VERMERSCH, P., L’entretien d’explicitation. Paris : ESF éditeur, 1994, p. 137-138.