A – Les facteurs défavorisants liés à une utilisation, dans le dispositif formatif, des techniques de l’EdE par l’interviewer.

1 – L’absence de renouvellement du contrat de communication explicite.

Dans son ouvrage sur l’EdE358, Vermersch pointe la nécessité éthique et technique d’un contrat de communication explicite liant l’interviewer à l’interviewé. Ce dernier en effet est l’objet de contraintes et de sollicitations de la part de l’interviewer. Par ailleurs, « avec ce questionnement, nous pénétrons dans l’intimité psychique du sujet, nous abordons sa pensée privée. Il n’est, déontologiquement, pas souhaitable et, techniquement, pas possible d’aller dans ce domaine sans précautions, ni garanties pour l’interviewé »359. Par conséquent, la formulation explicite d’un contrat de communication apparaît comme une nécessité, à la fois au début de l’entretien, mais également tout au long de celui-ci à chaque fois que le questionnement est davantage impliquant ou bien exigeant en termes d’effort à mettre en œuvre, du côté de l’interviewé, pour y répondre (c’est-à-dire pour formuler sa pensée, la mettre en mots, mais aussi pour mettre à jour des éléments restés implicites, soit un processus de prise de conscience). En ce sens, « le contrat n’est jamais définitivement acquis »360.

Dans nos 15 EdE, nous avons formulé un contrat de communication dès le début de l’entretien. Mais nous n’avons pas toujours pensé à le renouveler à l’occasion d’un nouvel effort. L’impact de ce manque n’est pas toujours clairement perceptible, d’autant plus lorsque l’on n’a gardé que les seules traces verbales de l’entretien.

Nous allons pointer 3 exemples, en guise d’illustration :

Exemple 1 extrait de l’EdE 3 avec Charlotte :

197 M : et euh, on vous demandait, à la fin, de remettre les images dans le bon ordre

198 C : hum

199 M : hein, est-ce que vous retrouvez bien ce moment-là euh C ?

200 C : ouais

201 M : hein

202 C : ouais

203 M : ça vous revient ?

204 C : hum, hum

205 M : alors comment vous avez fait pour remettre les images dans le bon ordre ?

206 C : bah parce que j’ai relié les images avec les phrases et je les ai mis dans l’ordre alph-, pas tout à fait alphabétique, mais dans l’ordre de l’image, et je, j’ai noté les, bah les lettres d’alphabet et les chiffres

En 188, nous demandons à Charlotte si elle a « déjà fait fonctionner une cafetière ». Cette question nous éloigne de l’EdE et de ses objectifs puisqu’elle interroge une action et non le vécu de cette action. En même temps, celle-ci ménage une pause dans l’entretien en laissant une parole plus concrète s’exprimer. Puis en 197, nous revenons dans le cadre d’un EdE et nous demandons à Charlotte comment elle a procédé « pour remettre les images dans le bon ordre ». Ainsi, nous sollicitons Charlotte sur le versant d’un effort à fournir pour faire l’expérience de sa pensée privée et la mettre en mots à notre intention. Nous avons pensé à remettre en contact Charlotte avec la situation mentionnée (en témoignent les interventions 199 et 203). Mais nous n’avons pas renouvelé le contrat de communication. Est-ce de ce fait que le moment de l’exercice que nous pointons n’est pas pleinement revenu à Charlotte ? (nous remarquons ainsi qu’elle reste fixée sur le moment précédent).

Exemple 2 extrait de l’EdE 2 avec Christine :

151 C : ah plus loin y’avait des jus de fruit aussi

152 M : ouais, d’accord

153 C : boire des jus de fruit ou du soda

154 M : hum, hum

155 C : ouais

156 M : comment ça vous est revenu C ça ?

157 C : [rires] instinctivement je sais pas, bah oui ça m’est revenu là

[…]

166 M : ouais, d’accord [silence] et comment ça vous est revenu ça « jus, jus de fruit », comment ça vous est venu « jus de fruit » ?

En 151, Christine laisse revenir un élément du texte support à l’exercice : « ah plus loin y’avait des jus de fruit aussi ». En 156, nous questionnons Christine sur les procédures qui lui ont permis de parvenir à cette remémoration. Une connaissance en actes surgit en 157 (« instinctivement je sais pas »). Nous amenons Christine une nouvelle fois (en 166) à se pencher sur les procédures qui l’ont amenée aux mots « jus de fruit ». Nous lui demandons de dépasser les connaissances en actes pour mettre en mots ce qui relève de la sphère du pré-réfléchi. Face à ce nouvel effort, le renouvellement du contrat de communication paraissait pertinent, mais n’a pas été réalisé. Dans cet exemple, il nous semble difficile d’évaluer l’impact de ce manque sur l’expérience de sa pensée privée par Christine.

Exemple 3 extrait de l’EdE 3 avec Ludovic :

40 M : alors euh on va revenir euh juste au moment où vous avez dit euh : « j’ai lu le premier texte », hein

41 L : hum

42 M : comment vous avez fait pour lire le premier texte ?

43 L : comment j’ai fait ? j’ai, j’ai lu

44 M : hum, hum [silence]

Nous opérons en 40 une nouvelle focalisation autour d’une action (« lire le premier texte »), focalisation qui fait suite à un échange teinté d’une dévalorisation du côté de Ludovic qui dit avoir « perdu » les mots qu’il cherchait en mémoire. Sa réponse en 43 à notre focalisation, pour laquelle nous avons omis de repasser le contrat de communication, est très brève : il répète les mots de notre question (« j’ai lu ») sans expliciter davantage. Ce type de questionnement nécessite un retour de Ludovic sur sa pensée privée afin de la mettre en mots pour l’interviewer. Autrement dit, nous faisons intrusion « dans l’intimité psychique du sujet »361, qui plus est sans son accord. Peut-être que cela a été de nature à déclencher une réaction défensive chez Ludovic, qui a refusé de dévoiler sa pensée privée. Peut-être également s’agit-il d’une réaction de surprise face à un questionnement qui interroge une procédure qui reste éminemment pré-réfléchie, ainsi que nous l’avons vu lorsque nous avons abordé les obstacles à l’explicitation, du côté de l’interviewé.

Notes
358.

VERMERSCH, P., L’entretien d’explicitation. Paris : ESF éditeur, 1994, p. 108.

359.

Ibid.

360.

p. 110.

361.

p. 108.