3 – Le vécu des questions par l’interviewé.

Le type de questionnement, ressenti comme facile ou difficile par l’interviewé, peut avoir un effet sur le vécu des questions, comme le montrent les deux exemples ci-après :

Exemple 1 extrait de l’EdE 2 avec Christine :

50 C : pis en faisant la liaison normalement « fruits [z] et légumes » ça allait quoi

51 M : ça allait, en faisant la liaison

52 C : ouais

53 M : est-ce que vous pouvez un petit peu préciser C ?

54 C : aïe, aïe, aïe [rires], « fruits et légumes » bah euh, pff, avec le pluriel

55 M : ouais, le pluriel vous a aidée

56 C : ouais

57 M : ouais

58 C : pis le début de la phrase quand même parce que je sais plus trop ce que c’était mais je pense que le début m’a aidée aussi de la phrase

En 54, Christine manifeste qu’elle se sent mise en difficulté par rapport à notre question 53, en témoignent ses rires ainsi que le terme « aïe » repris trois fois. Christine ne prend pas le temps de la réflexion en s’arrêtant lors d’un silence. Elle n’est pas en posture d’évocation comme le montre la modalisation épistémique « je pense » en 58. Cet exemple montre qu’un facteur affectif peut venir entraver le processus réflexif davantage cognitif.

Exemple 2 extrait de l’EdE 2 avec Ludovic :

84 M : alors comment vous savez qu’il faut le « d » ?

85 L : ça, ça commence par « d », « décembre »

86 M : et comment vous le savez que ça commence par « d » ?

87 L : [rires]

88 M : mes questions sont un peu bizarres

89 L : bah oui c’est pas évident

90 M : c’est vrai que ça demande toute une gymnastique qu’on n’a pas l’habitude de faire euh

91 L : bah oui, oui

92 M : c’est des questions qui sont pas faciles euh, des questions pas évidentes euh, je comprends bien que ça vous déroute

93 L : [rires]

94 M : on essaie de voir comment vous fonctionnez justement

95 L : bah ouais

Face à un questionnement ressenti comme déroutant, Ludovic se met à rire (87). Nous confirmons ce vécu en prenant le parti de l’authenticité (« mes questions sont un peu bizarres », 88). Il répond alors que « c’est pas évident ». Il manifeste ainsi son vécu par rapport à nos questions. Celles-ci ne lui apparaissent pas évidentes par rapport à la réponse à apporter. Mais on peut également penser qu’elles ne lui apparaissent pas évidentes par rapport au sens que nous visons.

Ainsi notre questionnement peut être vécu comme plus ou moins difficile par l’interviewé, tant au niveau de la réponse à fournir que du sens visé, ce qui peut bloquer l’accès à l’évocation. Il nous apparaît important de clarifier dès le départ les objectifs de l’entretien que nous menons avec l’interviewé afin de désamorcer d’éventuels ressentis négatifs par rapport au questionnement (ressentis liés à une perception confuse de nos objectifs).

Nous avons pointé ici une liste détaillée de facteurs qui, mis en œuvre par l’interviewer, ont pu défavoriser l’auto-réflexivité chez l’interviewé. Nous allons à présent nous tourner vers des facteurs qui, du côté de l’interviewer, ont été à même de favoriser cette auto-réflexivité.