D – Un dispositif qui vient faire intrusion dans l’intimité psychique de l’interviewé.

Une quatrième limite du dispositif que nous avons conçu réside dans le fait que celui-ci s’avère intrusif : il explore le fonctionnement mental de l’interviewé, sa pensée intime.

Nous avions vu, dans le cadre d’une typologie des obstacles rencontrés par les interviewés illettrés pour expliciter, combien la plupart avait du mal à se positionner en « je », à s’incarner (cela rejoint le sens qu’accorde Vermersch⁴²² à la « position de parole incarnée ») dans leur discours. Autrement dit, ceux-ci ont non seulement des difficultés à dire, mais également à se dire. Ils rencontrent l’obstacle de la lettre, à travers le langage oral que sollicite l’EdE, doublé de la difficulté à se dévoiler (c’est ainsi que beaucoup d’interviewés illettrés se sont attachés aux consignes plutôt que de décrire leur fonctionnement mental, comme nos questions les y incitaient).

Or, l’EdE, tel que Vermersch⁴²³ l’a formalisé, sollicite l’intériorité du sujet : « avec ce questionnement, nous pénétrons dans l’intimité psychique du sujet, nous abordons sa pensée privée. Il n’est, déontologiquement, pas souhaitable et, techniquement, pas possible d’aller dans ce domaine sans précautions ni garanties pour l’interviewé »⁴²⁴, d’où la mise en place d’un contrat de communication explicite avec celui-ci, véritable garde-fou éthique.

L’accès à l’évocation, qui sollicite une posture en « je », une parole incarnée, constitue un accès à l’intériorité de l’interviewé. Or, les personnes en situation d’illettrisme n’ont pas eu l’habitude, dans leur parcours de vie, d’être sollicitées par un médiateur afin de se pencher sur leur fonctionnement mental. Notre outil a pu avoir sur les interviewés des effets de prise de conscience de leur fonctionnement.

Nous avons donc pointé quatre limites essentielles que nous semble présenter notre outil. Nous allons à présent en dégager les principales forces avant de repositionner notre problématique.