B – Un dispositif qui se base sur la médiation et l’étayage du pédagogue.

A travers notre dispositif, nous visons à ce que le sujet s’engage dans un processus d’explicitation, qu’il opère des prises de conscience, par le biais du langage. Dans cette relation ternaire entre un sujet, un objet et un instrument, manque un quatrième pôle : en effet, notre dispositif ne serait pas opérationnel sans le pédagogue qui l’a conçu et qui le met en œuvre comme médiateur entre le sujet et l’objet.

Le schéma suivant rend compte des interactions entre ces 4 pôles :

Schéma n°10 : Modèle des situations d’activités avec instrument médiatisées par le pédagogue
Schéma n°10 : Modèle des situations d’activités avec instrument médiatisées par le pédagogue Ce schéma a été conçu à partir du « Modèle des situations d’activités avec instrument ». Cf. RABARDEL, P. Qu’est-ce qu’un instrument ? Appropriation, conceptualisation, mises en situation, Le mathématicien, le physicien et le psychologue, CNDP-DIE, mars 1995, p. 65. .

D’un côté se trouve un sujet (ici l’interviewé en situation d’illettrisme) qui part à la conquête d’un objet (ici le langage, dans ses deux versants, oral et écrit) par le biais d’un instrument (l’explicitation en tant que processus que le sujet doit s’approprier). Le pédagogue qui met en œuvre l’instrument, qui l’a pensé et qui lui donne sens apparaît comme médiateur entre le sujet et l’objet. C’est grâce à lui que le sujet s’approprie l’instrument en lui donnant sens. Nous retrouvons le processus de genèse instrumentale qui permet de faire advenir l’outil en tant qu’instrument grâce au sens qui lui est conféré. Par rapport à ce schéma, soulignons, en outre, la proximité entre le médiateur et l’objet, celui-ci étant inscrit dans l’ordre du langage, là où le sujet se positionne davantage en extériorité, à distance. Le médiateur a un rôle d’étai, qui vient en aide au sujet pour le faire entrer dans le langage par le biais de l’explicitation.

Cette médiation, condition nécessaire de l’étayage, témoigne, pour deux raisons essentiellement, d’une force de notre dispositif.

En premier lieu, le médiateur s’avère indispensable à la mise en œuvre de l’instrument, l’explicitation, à son appropriation par le sujet. En effet, le processus d’explicitation est largement contre-intuitif, au sens où l’intuition première du sujet interviewé face aux questions de l’interviewer ne le conduit pas naturellement vers l’évocation. La médiation permet ainsi au sujet interviewé de dépasser le spontané, le vécu premier, constitué de connaissances en actes, pré-réfléchies, qui viennent faire barrage à l’évocation, à un vécu comme objet de connaissance : « réaliser ce guidage, c’est compenser par une médiation le fait que la mise en mots spontanée n’est que rarement descriptive, qu’elle se rapporte plus souvent à des généralités, un « parler autour de », qu’elle ne vise quasiment jamais une tâche spécifiée : c’est rattraper l’auto-blocage de notre mémoire par un accompagnement habile vers un accès dont nous avons peu ou pas l’expérience réfléchie »429.

Le médiateur permet au sujet interviewé de dépasser la sphère du pré-réfléchi (cela rejoint le fait qu’on peut réussir une action sans avoir compris comment on avait fait pour réussir cette action) pour entrer dans la compréhension de la manière dont on a procédé pour réussir l’action en question, autrement dit pour réfléchir l’action. Nous avions pointé par ailleurs un paradoxe de notre dispositif que nous avions formulé ainsi : comment pouvoir – volontairement – accéder – indirectement – à la mémoire concrète ? Le médiateur permet de dépasser ce paradoxe en guidant le sujet interviewé vers une posture en « accueillir » plutôt qu’en « aller chercher ».

Ainsi donc, la force de notre dispositif réside en l’existence d’un médiateur qui met en œuvre des techniques (ce qui renvoie à une certaine extériorité) qu’il incarne dans une bienveillance (autrement dit une intériorité) afin d’aider le sujet interviewé à entrer dans un cheminement fondamentalement contre-intuitif, par le biais du langage. Il apparaît comme un soutien à l’évocation, à la prise de conscience.

Une seconde raison explique en quoi la médiation constitue une force de notre dispositif. Cette raison renvoie à la problématique des personnes en situation d’illettrisme : en effet, il s’agit de réintroduire une médiation là où, selon Bentolila, elle a manqué tout au long de la vie, et notamment durant l’enfance, des personnes illettrées. Il souligne ainsi « la solitude relative dans laquelle se déroule l’apprentissage linguistique de certains enfants »430. Peu avant, il pointe le fait que « le délabrement de la médiation familiale, que ne peuvent ou ne savent compenser les institutions éducatives et culturelles, a pour conséquence que bien des jeunes adultes se trouvent en situation d’extrême insécurité linguistique tant à l’oral qu’à l’écrit »431. Le parcours des personnes en situation d’illettrisme n’a pas été jalonné de médiateurs suffisamment bienveillants et exigeants à la fois au regard des apprentissages langagiers. Dès lors une re-médiation, au sens d’une réintroduction d’une médiation, s’avère pertinente.

Notes
428.

Ce schéma a été conçu à partir du « Modèle des situations d’activités avec instrument ». Cf. RABARDEL, P. Qu’est-ce qu’un instrument ? Appropriation, conceptualisation, mises en situation, Le mathématicien, le physicien et le psychologue, CNDP-DIE, mars 1995, p. 65.

429.

VERMERSCH, P., L’entretien d’explicitation. Paris : ESF éditeur, 1994, p. 156-157.

430.

BENTOLILA, A., De l’illettrisme en général et de l’école en particulier. Paris : Plon, 1996, p. 45.

431.

Ibid.