2 - La biographie éducative auprès d’adultes en situation d’illettrisme.

Cette démarche de biographie éducative nous semble être bien adaptée pour un public d’adultes en situation d’illettrisme inscrits dans une formation visant, entre autres, une réappropriation du lire-écrire. En effet, cette démarche s’inscrit dans l’optique de la narration d’un vécu personnel, dans laquelle se trouvent prises en compte la subjectivité et la singularité de la personne, ce qui rejoint notamment la dimension du cœur telle que Pestalozzi l’a décrite. Elle constitue un bon complément des entretiens d’explicitation qui explorent le vécu personnel sous l’angle cognitif, vécu analysé selon de grandes lois de développement générales, ce qui rejoint la dimension de la tête. Cette démarche s’inscrit bien dans la visée de notre travail, axé sur une pédagogie de l’oral et de l’écrit : « la biographie éducative instaure une modalité pédagogique originale dans le rapport à l’écriture et à la parole »619.

L’utilisation de la biographie éducative répond bien à la problématique de ce public dans la mesure où elle interroge le rapport à la formation en ce qu’elle se raccroche à un vécu nodal chez lui, le vécu de l’école. « Le fondement « ontogénétique » du rapport à la formation et à la compétence d’apprendre adulte doit être recherché dans le rapport à l’école »620. Or, on sait que le rapport à l’école a été souvent douloureux chez les personnes en situation d’illettrisme, ne pouvant développer de solides bases en matière d’apprentissage du lire-écrire. Les savoirs acquis en formation prennent sens et font écho avec les savoirs acquis à l’école. Parallèlement, le vécu de la formation réactive le vécu scolaire. « Pour que la formation de l’adulte ait un sens, il faut qu’elle puisse être resituée dans cette histoire et que l’adulte soit en mesure de prêter une signification aux premières étapes de sa formation à l’école »621. La biographie éducative, permettant de resituer la formation actuelle de l’adulte dans une histoire, par le biais d’une mise en récit de soi et de sa vie, va lui offrir la possibilité d’accorder un sens à sa formation, l’inscrivant aux côtés de l’histoire scolaire.

Que retiennent de l’école les adultes en formation ? S’agit-il d’abord des savoirs, des connaissances qui y sont inculquées ? Notre entretien sur le vécu de la scolarité avec Martine, dont nous avons relaté quelques éléments saillants à l’occasion du chapitre présentant une phénoménologie de l’illettrisme, pourrait nous éclairer. Voici d’abord ce qu’indique Delory-Momberger : « ce que les adultes en formation retiennent de l’école, ce qu’ils désignent de leur temps scolaire comme étant significatif pour leur parcours de formation, ce sont, beaucoup plus que des contenus de connaissance, les expériences relationnelles, affectives, sociales, dont l’école a été pour eux le champ et dont la polarité émotionnelle a marqué leur rapport à l’apprentissage et au savoir »622. Nous voyons ici apparaître la dimension du cœur selon Pestalozzi à travers cette polarité émotionnelle. Ces propos rejoignent le vécu personnel de Martine qui témoignait surtout de ses relations, en positif ou en négatif, avec ses différents professeurs et ses camarades de classe. Elle réalisait un lien entre ces relations et les connaissances qu’elle avait pu ou non acquérir. D’ailleurs, selon Dominicé, « le souvenir d’une matière, lorsqu’il est mentionné, n’est jamais dissocié de la personnalité de l’enseignant »623. Martine raccrochait des matières (les mathématiques, le français, par exemple) à des médiateurs bienveillants ou malveillants.

Notes
619.

p. 177.

620.

DELORY-MOMBERGER, C., Biographie et éducation : figures de l’individu-projet. Paris : Anthropos, 2003, p. 78.

621.

p. 79.

622.

p. 80.

623.

DOMINICE, P. (1990). L’histoire de vie comme processus de formation. Paris : L’Harmattan, 2ème éd., 2002, p. 17.