6 - Biographie éducative et dimension du cœur.

Le récit biographique relève de la dimension du cœur, ainsi que nous l’avons vu plus avant, dans la mesure où il s’inscrit, selon Dominicé, dans une pédagogie de la singularité. Le formateur se met à l’écoute de la subjectivité de l’éduqué qui fait le récit, dans toute sa particularité, des moments formateurs de son existence. Les savoirs pédagogiques se déploient d’ailleurs dans le registre de la particularité, rattachée à l’action – comme en témoigne le suffixe « -agogie » (du grec « agein » : conduire). Dès lors, au niveau méthodologique, il conviendrait de bannir un canevas commun à toutes les personnes, en élaborant, par exemple, une grille trop précise de critères. Quelques thèmes peuvent être abordés dont on sait qu’ils ont jalonné l’éducation de l’adulte : sa famille, l’école, ses amis, ses mentors, tous les événements et toutes les personnes qui l’ont marqué… Mais ces thèmes ne doivent en aucun cas constituer une grille obligatoire : il s’agit d’adapter ceux-ci à la dimension existentielle singulière de l’adulte. Comme le souligne Dominicé, « la pédagogie de la singularité, indépendamment de tous les manuels et de toutes les formules assurant un enseignement plus actif, demeure le défi épistémologique central de l’éducation des adultes »651. Nous pouvons ici, à propos des manuels et formules, en appeler à la généralité, à une dérive applicationniste issues de lois générales émanant des sciences humaines alors que les savoirs pédagogiques, en prise avec la liberté du sujet humain, s’inscrivent dans la particularité, ce qui rejoint la dimension du cœur décrite par Pestalozzi.

Une seconde raison pour laquelle l’approche biographique peut être mise en lien avec la dimension du cœur peut être tirée des enseignements réalisés suite à l’analyse des histoires de vie. Cette raison place l’accent sur la perspective du sens des savoirs à acquérir, des finalités de l’éducation, cet axe du cœur selon Pestalozzi qui s’interroge sur l’espérance que l’on peut placer en l’être humain en faisant œuvre d’éducation. Selon Dominicé, « ce que je cherche à souligner, c’est que l’acquisition de connaissances nouvelles ou la maîtrise de nouveaux comportements tiennent davantage au sens qu’elles prennent dans la vie d’un adulte qu’aux techniques d’enseignement utilisées. La formation, quels que soient ses détours, est faite de ce qui a un écho dans le contexte de l’histoire de vie d’un adulte »652. Par rapport à une acquisition de connaissances nouvelles ou une maîtrise de nouveaux comportements, le sujet cherche à leur trouver un sens, au regard de sa vie, ce qui rejoint la perspective de la liberté qui l’anime. Ce sens donné aux connaissances, aux comportements, qui fait écho à la liberté de chacun, est plus important que les techniques d’enseignement qui permettent de les acquérir. Comme le souligne Develay, « l’homme est un être libre dont le comportement est impossible à circonscrire totalement par anticipation »653. S’il est important d’employer des techniques d’enseignement, on ne peut réduire la pédagogie à ces techniques ; il convient également de laisser place à la liberté de l’éduqué dans sa conquête de sens et d’inscription des savoirs dans sa vie.

Notes
651.

p. 213.

652.

p. 218.

653.

DEVELAY, M., Propos sur les sciences de l’éducation : réflexions épistémologiques. Paris : ESF éditeur, 2001, p. 119.