2 - Quelle éducation de l’activité penser ?

Selon Dewey, « l’activité doit être une auto-activité dans une situation maîtrisée par un sujet »663. Ainsi, si nous proposons à la personne en situation d’illettrisme une activité d’écriture (nous développerons plus loin ce que mettra en jeu cette activité, ses différentes composantes, reprenant en cela les apports de Leontiev664), il s’agira de la placer « en position d’action, d’initiative, de création »665. Il s’agit ici du principe d’activité développé par Pestalozzi. Lors de cette activité, le sujet écrira à la fois pour lui-même, pour s’auto-informer, pour développer ses compétences d’écriture, pour créer (il pourra ainsi se raconter lui-même, dessiner les lignes d’une autobiographie ; il pourra également inventer un récit), mais aussi pour un destinataire, dans l’objectif d’être lu afin d’informer, de solliciter, de créer une dynamique d’échange.

Cette activité doit se faire dans une situation maîtrisée par l’éduqué. Cela signifie, d’une part, que celui-ci doit au maximum être à l’initiative de cette auto-activité, d’autre part, que l’activité ne doit pas outrepasser ses compétences et se situer dans sa zone proximale de développement, pour reprendre le concept de Vygotsky666, afin d’inscrire celle-ci dans une dynamique d’apprentissage. Dans le cadre du principe d’activité que recommande Pestalozzi, « cela va du mouvement physique qui lui est laissé à l’intérieur de l’institut aux sollicitations qui lui sont régulièrement faites de trouver par lui-même les réponses aux problèmes qui se posent »667. Si l’éduqué possède des ressources propres sur lesquelles il peut s’appuyer pour croître, il sera également aidé, dans sa confrontation à l’objet de savoir, ici l’écriture, par le médiateur qui le fera évoluer dans sa zone proximale de développement.

Rogers est un auteur qui a trouvé inspiration notamment chez Dewey. Il pose ainsi l’un de ses principes : « on apprend beaucoup et valablement dans l’action »668. Ce principe est à mettre en lien avec l’importance qu’accorde Rogers à la confrontation avec des problèmes réels, significatifs : « héritage de Dewey qui montre l’attachement de Rogers à une démarche d’apprentissage où l’enfant est confronté à « des problèmes pratiques, des problèmes sociaux, moraux et philosophiques, des difficultés personnelles et des problèmes de recherche » »669. Ces problèmes réels deviennent significatifs pour l’éduqué et mobilisent son intérêt et son désir d’apprendre. C’est ainsi que « l’action facilite les apprentissages significatifs. C’est souvent en faisant les choses que l’on comprend et que l’on retient »670. Cela permet d’évoluer dans un apprentissage authentique.

Le projet de Dewey consiste donc en une éducation de l’activité, qui fait écho à la dimension de la main chez Pestalozzi. Mais ce projet rejoint également la dimension du cœur à travers une éducation de la liberté : « cette activité est un apprentissage de la liberté »671.

Notes
663.

p. 16.

664.

LEONTIEV, A.N., Le développement du psychisme. Paris : Ed. Sociales, 1976

665.

SOETARD, M. Johann Heinrich Pestalozzi. In HOUSSAYE, J. (Dir.), Quinze pédagogues : leur influence aujourd’hui. Paris : Armand Colin Editeur, 1994, p. 46.

666.

VYGOTSKY, L.S. (1935). Le problème de l’enseignement et du développement mental à l’âge scolaire. In SCHNEUWLY, B., BRONCKART, J.P., Vygotsky aujourd’hui. Neuchâtel-Paris : Delachaux & Niestlé, 1985, p. 95-117.

667.

SOETARD, M. Johann Heinrich Pestalozzi. In HOUSSAYE, J. (Dir.), Quinze pédagogues : leur influence aujourd’hui. Paris : Armand Colin Editeur, 1994, p. 46.

668.

ROGERS, C., Liberté pour apprendre. Paris : Dunod, 1984, p. 161.

669.

GAUTHIER, C., TARDIF, M. (Dirs), La pédagogie : théories et pratiques de l’Antiquité à nos jours. Montréal : Gaëtan Morin Editeur, 1996, p. 271.

670.

BERTRAND, Y., VALOIS, P. Carl Rogers. In HOUSSAYE, J. (Dir.), Quinze pédagogues : leur influence aujourd’hui. Paris : Armand Colin Editeur, 1994, p. 248.

671.

DELEDALLE, G., John Dewey. Paris : PUF, 1995, p. 16.