Annexe 14 : Entretien narratif n°2 – Jérôme
Dispositif : enquête
Date de l’entretien : 28/01/06
Durée : environ 20 minutes
Lieu : S
Transcription :
Conventions :
M : moi, l’interviewer
J : Jérôme, l’interviewé
Dans cet entretien, nous avons appliqué la règle des 4C751.
1 – Constat d’échec : fait hors dictaphone
2 – Causes de l’échec : mon but est de faire expliciter à J toutes les anaphores de son discours tenu 8 jours plus tôt dont le référent anaphorique manquait pour une bonne compréhension.
- M : alors euh J, j’aimerais, j’aimerais bien comprendre euh ce film Katzie, je n’ai pas tout compris parce que je n’étais pas là quand vous avez vu le film, je ne l’ai jamais vu, donc vous disiez c’est une voiture ambulance qui se transforme en voiture de sport
- J : ouais
- M : voilà
- J : elle a des, des ailes, dans la voiture il appuie sur un bouton et pis ça, la voiture elle, ça sort
- M : qu’est-ce qui sort ?
- J : les, les trucs, euh les ailes
- M : les ailes
- J : de, de la voiture, elle peut voler, elle peut aller dans l’eau, y’a Katzie 1, Katzie 2, Katzie 3 [c’est à ce moment que je comprends que J veut parler du film « Taxi » : il n’arrive pas à prononcer ce mot correctement], y’a 3, 3 films
- M : d’accord, d’accord. Bon alors, ça parle de la police, des policiers, ils attrapent les… ? en rollers, alors j’ai pas entendu, ils attrapent qui euh J ? c’est pas que j’ai pas compris, c’est que j’ai pas entendu
- J : ah oui, il attrape les, les voleurs
- M : des voleurs, y’a des voleurs
- J : ouais
- M : dans l’histoire
- J : ouais, y’a des voleurs
- M : hein, y’a des policiers, y’a des voleurs hein, donc les policiers ils attrapent les voleurs
- J : ouais les voleurs
- M : hein, en rollers
- M : et il les aide à monter dans l’ambulance, alors c’est qui « il » ? Il les aide à monter dans l’ambulance ?
- J : ah euh les, les policiers, ils les aident à attraper les voleurs
- M : alors qui « les » ? Ils, ils aident qui ?
- J : euh, le, le monsieur dans l’ambulance, il les aide
- M : ah d’accord, donc
- J : il les aide à, à attraper les, les voleurs
- M : d’accord, donc c’est le conducteur de l’ambulance [inférence] qui aide les policiers à attraper les voleurs
- J : ouais
- M : ah, c’est ça, je comprends mieux
- J : c’est ça, et il les aide
- M : je comprends mieux, ouais, d’accord, hein, euh
- M : et les policiers, à la fin, ils les mettent pas en prison, c’est qui « les » ? Il les met pas en prison
- J : il les met pas en prison ?
- M : ouais
- J : [silence] ah non parce que [silence] si il les met en prison
- M : il les met en prison
- J : ouais il les met en prison
- M : qui est-ce qui met en prison qui ?
- J : les voleurs, les policiers attrapent les voleurs
- M : attrapent les voleurs
- J : et les policiers mettent les voleurs en prison
- M : les policiers mettent les voleurs en prison
- J : ouais
- M : d’accord, hein, d’accord, très bien 3 – Conditions de réussite : je demande maintenant à J de me raconter l’histoire dans son ensemble, dans une perspective de réussite, de compréhension mutuelle
- M : est-ce que vous pourriez maintenant me re-raconter toute l’histoire en détaillant bien comme ça
- J : ouais
- M : en me disant bien
- J : ouais
- M : hein les différents, les différentes choses, hein, allez-y, depuis le début
- J : euh, une voiture dans l’ambulance
- M : alors, dites, dites bien
- J : un film, c’est Katzie, ça parle euh à l’ambulance euh [silence] il roule
- M : alors qui est-ce qui roule ?
- J : la voiture de l’ambulance
- M : la voiture de l’ambulance roule
- J : ouais
- M : hum, hum
- J : ils roulent trop vite, y’a un radar, il s’fait attraper et les policiers qui vont attraper la voiture dans ambulance comme il a roulé trop vite, il a dépassé le niveau de, quand il a roulé
- M : ouais
- J : [silence] après il s’fait arrêter
- M : le, l’ambulance ?
- J : l’ambulance, ouais
- M : le conducteur [j’explicite à la place de J, avec des mots qui ne sont pas les siens]
- J : le conducteur de l’ambulance il s’est fait arrêter, il a eu une amende, pis après le policier il a demandé au, le gars de l’ambulance, la personne de l’ambulance, il lui dit pour euh, pour euh, attraper les voleurs
- M : d’accord
- J : il a dit oui, il a attrapé les voleurs
- M : ouais
- J : il les met pas en prison
- M : alors « il »
- J : les voleurs, les policiers attrapent les voleurs, et les policiers les mettent en prison les voleurs
- M : hum, hum, d’accord, c’est comme ça que ça se termine
- J : euh ouais
- M : d’accord, hein, eh ben c’est parfait ça moi j’ai mieux compris, ça a été beaucoup plus clair pour moi j’ai beaucoup mieux compris
- J : ah oui d’accord, je croyais c’était juste le titre, je croyais que c’était juste le titre, non faut dire tout le, tout le film
- M : voilà, tout le film, hein 4 – Constat de réussite : je propose à J de raconter la même histoire à un témoin candide qui pourra attester sa compréhension de l’histoire. F se centre sur une compréhension inférentielle de l’histoire et a le souci de lever les inférences ambiguës, alors que pour ma part, j’étais centrée sur les anaphores et les référents anaphoriques.
- M : alors ce que je vous propose maintenant, c’est euh, parce que vous avez bien dit euh, vous m’avez bien raconté
- J : ouais [rire]
- M : et vous allez raconter ça à une autre personne hein qui ne connaît pas l’histoire pis on va voir si elle comprend bien, comme moi j’ai bien compris
- J : ouais
- M : vous êtes d’accord J ?
- J : d’accord
- M : hein, donc je vais aller chercher F
- M : donc J va vous raconter l’histoire de Katzie
- F : j’écoute
- J : euh, c’est une histoire, un film, c’est Katzie, une voiture de, dans l’ambulance, la voiture elle roule vite, le radar, il se fait attraper parce qu’il a roulé trop vite, il a dépassé le, la barre qui, qui fallait pas
- F : je peux interrompre pendant l’histoire pour poser des questions ? ou après quand J aura tout raconté ?
- M : quand J aura tout raconté
- F : d’accord, d’accord, je vous laisse continuer J, excusez-moi
- J : la voiture elle a roulé trop vite, y’avait un radar, il s’est fait arrêter, il a été chez, à la gendarmerie, il a eu une amende [silence] après le policier il a demandé à l’ambulance pour euh l’aider à rattraper les voleurs [silence] ils les ont, les policiers ils les ont rattrapés, ils l’ont mis en, en prison, et pis, c’est tout, le film se termine là
- F : d’accord, les voleurs sont en prison, la justice est sauve, mais je voudrais, alors moi y’a des choses que j’ai pas comprises, j’ai entendu parler de « Katie »
- J : non Katzie
- F : Katzie
- J : Katzie
- F : et Katzie c’est ?
- J : une voiture dans l’ambulance
- F : d’accord, c’est le nom de la voiture
- J : ouais
- F : alors c’est une marque, c’est le nom comme on donne à une personne ?
- J : euh [silence] non c’est une voiture de
- F : c’est le nom de la voiture
- J : c’est le nom de la voiture
- F : d’accord
- J : ambulance
- F : oui, une ambulance qui s’appelle « Katzie »
- J : ouais Katzie ouais le film c’est Katzie le film
- F : le film c’est Katzie
- J : c’est le film, autrement la voiture c’est l’ambulance, c’est la voiture
- F : d’accord, mais Katzie c’est le nom de l’ambulance quand même, c’est le nom du film, mais c’est le nom de l’ambulance
- J : ouais c’est le nom du film
- F : d’accord, et le conducteur de cette ambulance, est-ce qu’il a un nom lui ?
- J : [silence] j’m’en rappelle plus
- F : donc c’est le conducteur on va dire pour que je comprenne les choses, c’est le conducteur
- J : le conducteur
- F : d’accord, et qu’est-ce que c’est que j’avais pas compris, c’est l’histoire des voleurs qui arrive tout d’un coup
- J : ah tout d’un coup ?
- F : oui, d’où ils viennent ces voleurs ?
- J : ah dans, à, à Paris
- F : d’accord ça se passe à Paris
- J : ça se passe à Paris
- F : ouais, et quand le film commence, on sait déjà qu’il y a, qu’il y a une poursuite derrière ces voleurs ?
- J : ouais
- F : d’accord et ça je crois que je l’avais pas entendu ou j’avais pas été attentive peut-être
- J : ouais
- F : hein
- J : ça se pourrait
- F : alors est-ce que c’est à cause des voleurs que le conducteur de l’ambulance allait très vite ?
- J : [silence] euh non
- F : non
- J : c’est après il veut, il voulait, les policiers il a demandé à l’ambulance pour les aider, comme la voiture elle roule vite, il voulait les rattraper
- F : ah d’accord, donc l’ambulance est venue au secours de la gendarmerie
- J : ouais
- F : pour rattraper les voleurs
- J : ouais, c’est pour ça au début il s’est fait arrêter, c’est après hop les gendarmes ils ont demandé
- F : d’accord, j’crois que j’ai mieux compris là
- M : vous avez bien compris ce que J a
- F : alors est-ce qu’il faut que je raconte ce que j’ai compris pour vérifier ?
- M : oui, pourquoi pas, oui
- F : bon, donc voilà une ambulance qui est prise en flagrant délit, elle a roulé trop vite, donc y’a un radar qui le, qui la prend en photo et les gendarmes l’arrêtent et donc on se rend compte que ce serait bien pratique d’avoir une ambulance pour faire la poursuite des voleurs, donc les gendarmes demandent l’aide au conducteur de l’ambulance et ensemble ils vont réussir à attraper les voleurs et les voleurs se retrouvent en prison, voilà
- J : c’est ça
- F : c’est ça
- J : tout compris
- M : bon bah voilà, merci
Bilan : Progressivement, le travail a porté ses fruits : bien que le contenu de l’histoire racontée par J. reste pauvre, cette dernière devient de plus en plus explicite à mesure que nous avançons dans les diverses étapes. Mais une intervention active, de ma part, ou de celle du témoin candide, à chacune des étapes, reste de mise. Lors de la deuxième étape, dès que nous essayons de faire expliciter une anaphore non référencée, un nouvel implicite surgit dans le discours de J. La description de l’histoire reste assez sommaire. Au cours de la troisième étape, de nouveaux détails apparaissent permettant une nouvelle et meilleure compréhension de l’histoire. Mais beaucoup d’implicites demeurent, aussi nous sommes obligée d’intervenir pour amener J. à davantage d’explicitation. Une remarque de J. retient notre attention : il pensait que raconter l’histoire d’un film revenait simplement à dire le titre de ce film. Il a ici réalisé un apprentissage. Enfin, lors de la dernière étape, l’histoire nous semble correctement racontée, hormis l’anaphore « il », qui n’a pas de référent (il s’agissait du conducteur de l’ambulance). Le bilan pour le témoin candide est mitigé : celui-ci ne se base pas sur la compréhension anaphorique, qui correspond au niveau auquel nous nous plaçons, mais sur la compréhension inférentielle.
Notes
751.
BENTOLILA, A., De l’illettrisme en général et de l’école en particulier. Paris : Plon, 1996, p. 48-49.