Annexe 16 : Entretien d’explicitation n°2 – Jérôme

Dispositif : enquête

Date de l’entretien : 18/02/06

Durée : environ 30 minutes

Lieu : S

Exercice : fiche écriture n°8 - Activité 2

Transcription :

Conventions :

M : moi, l’interviewer

J : Jérôme, l’interviewé

Discours Analyse
1 M : alors voilà donc on fait cet entretien J pour que vous compreniez bien comment vous faites pour euh faire des exercices, aujourd’hui on a fait un exercice d’écriture hein, et on fait cet entretien pour que vous compreniez bien comment vous faites et ça va vous aider peut-être à mieux vous comprendre dans ce que vous faites et moi ça va m’aider à mieux vous comprendre hein, et puis après peut-être que vous pourrez mieux réussir encore les exercices de lecture et d’écriture, d’accord ?
2 J : d’accord
3 M : c’est pour ça que je vous pose toutes ces questions-là, hein ?
4 J : d’accord
Je m’efforce de faire comprendre à J le sens de la tâche afin qu’il saisisse mieux le sens de mes questions qui peuvent lui paraître déroutantes. Comprendre comment on fait pour mieux se comprendre dans ce qu’on fait afin de mieux réussir ; également, m’aider à le comprendre.
5 M : donc je vous propose J, si vous en êtes d’accord, de revenir sur un moment de l’exercice, au moment où je vous ai demandé de tracer les lettres, hein, vous étiez assis à cette table-là avec des feuilles blanches, une feuille blanche comme ça, avec le crayon bleu, vous aviez le modèle ici, est-ce que vous retrouvez bien la situation ?
6 J : euh oui
Je recontextualise au maximum la situation de tâche pour aider J à accéder à une évocation de cette situation.
7 M : alors comment vous la retrouvez ? Est-ce que c’est par des sons : vous vous réentendez parler, vous réentendez la consigne : « J, tracez les lettres » ou est-ce que c’est par une image ?
8 J : par une image
9 M : par une image
10 J : ouais
J’essaie de faire qualifier cette évocation (visuelle, auditive / verbale) afin de soutenir l’évocation de J, voire de la renforcer.
Nous retrouvons, comme pour l’EdE1, un effet de récence parmi des modalités abstraites.
11 M : alors je vous propose J, si vous en êtes d’accord, de me décrire cette image
12 J : [silence] c’est euh une lettre
13 M : hum, hum
14 J : avec un crayon, j’ai fait la même lettre qu’y a à côté de moi
15 M : hum, oui
J semble décrire le déroulement de la tâche, non sur le mode du revécu, mais sur le mode normatif, celui de la consigne.
Le mot « décrire » est peut-être trop abstrait ?
16 J : [silence] avec le crayon, je bouge avec la main pour faire la lettre, soit côté droit, côté gauche, on peut écrire en deux sens
17 M : d’accord [silence]
J semblerait en posture évocative : en effet, son débit de parole se ralentit, par ailleurs, il s’exprime au présent de l’indicatif, avec utilisation du « je », ce qui témoigne d’une présentification d’un vécu. On note cependant un passage du « je », présent au vécu de la tâche, au « on » et à la généralisation qui suit. Autrement dit, le passage par l’évocation est furtif.
18 M : donc on va revenir juste au moment où vous avez tracé la première lettre, juste à ce moment-là, vous retrouvez bien ce moment de la première lettre ?
19 J : première lettre ?
20 M : oui
21 J : euh oui
22 M : la première lettre que vous ayez tracée, hein, comment vous avez fait pour tracer cette lettre ? juste à ce moment-là ?
J n’est plus en posture évocative. Je l’amène néanmoins à « retrouver le moment de la première lettre » [formulation maladroite, qu’il n’a pas l’air de saisir, en témoigne sa question]
23 J : [silence] j’ai regardé sur euh, sur euh, j’ai cop, sur euh une feuille blanche à côté de moi
24 M : ouais
25 J : et j’ai dessiné pareil, partir d’en bas, aller en haut, aller en bas [il accompagne ses paroles de gestes dans l’espace par lesquels il retrace la lettre en question]
26 M : hum, hum
27 J : la même lettre
J a du mal à traduire en mots un vécu en acte : les mots employés, flous, imprécis, achoppent à faire comprendre à l’interlocuteur de quelle lettre il s’agit. Par contre le geste permet de comprendre qu’il s’agit de la lettre « o ».
28 M : d’accord [silence] et comment ça s’est passé à ce moment-là, juste à ce moment-là ?
29 J : c’est bien
30 M : ouais et comment vous saviez que c’était bien ?
31 J : [silence] parce que j’ai, parce que c’était pareil que, que j’ai copié
32 M : hum, hum
33 J : la même lettre qui fallait faire
34 M : d’accord [silence]
J’essaie de faire expliciter le vécu du geste graphique, mais J énonce un jugement. Ma question était peut-être trop floue. Par ailleurs, j’aurais dû m’assurer qu’il était bien en évocation de la situation.
35 M : donc vous me disiez tout à l’heure que vous vous faisiez des images dans votre tête
36 J : [silence] ah oui, des, des images, ah oui, oui, oui
37 M : hein, oui, c’est bien ça ?
38 J : oui, ouais
39 M : je vous propose, si vous en êtes d’accord, de, de me dire quelles sont ces images dans votre tête
40 J : [silence] la lettre « v », la lettre « p », la lettre « a », la lettre euh [silence] « o »
Il aurait fallu mettre d’abord J en posture d’évocation avant de lui demander de décrire les images. Mais le vocabulaire est davantage adapté : au lieu de « décrire », je lui demande de me dire « quelles sont ces images » dans sa tête.
J décrit ce qu’il a compris du mot « images » : ce sont en fait des lettres.
41 M : alors comment vous saviez par exemple que c’était la lettre « o » ?
42 J : [silence] parce que j’ai, j’le savais en tête
43 M : vous le saviez en tête
Cette demande correspond à une prise d’information : « comment saviez-vous que ? »
44 M : et comment vous le saviez en tête ?
45 J : [silence] parce que j’ai regardé, j’ai regardé sur la feuille et sur la feuille, je me suis souvenu que c’était ça comme lettre qui fallait euh faire
46 M : vous vous êtes souvenu que c’était ça comme lettre qu’il fallait faire ?
47 J : ouais
Je lui demande de m’expliciter sa prise d’information.
48 M : et comment vous avez fait juste à ce moment-là pour vous souvenir de cette lettre
49 J : bah euh
50 M : dans votre tête ?
51 J : [long silence] l’alphabet
52 M : l’alphabet
53 J : ouais
54 M : c’est-à-dire ?
55 J : du début jusqu’à la fin
Je descends plus profondément dans l’explicitation.
Peut-on parler de prise de conscience lorsque J prononce les mots : « l’alphabet » ?
56 M : comment vous avez fait, est-ce que vous pouvez me décrire ce qui s’est passé dans votre tête ? l’alphabet ?
57 J : a, b, c, d, e, f, [silence] g ?, k, l, o, [silence] p, q, euh [silence], w, [silence] y, pff [silence]
58 M : donc c’est l’alphabet
59 J : ouais
60 M : que vous avez repris
61 J : un petit peu, pas tout mais un petit peu
Plutôt que de me décrire le vécu de son action, il met en œuvre devant moi cette action, en déroulant l’alphabet : je suppose que c’est ce qu’il a dû faire dans sa tête lors de l’activité.
62 M : et qu’est-ce que vous avez fait dans l’alphabet ?
63 J : [silence]
64 M : par rapport à la lettre « o » ?
65 J : a, b, [silence] la lettre « o »
66 M : hum, hum [silence] comment vous l’avez retrouvée la lettre « o » ?
67 J : en dessinant
68 M : en dessinant ?
69 J : ouais, la lettre
70 M : hum, hum
71 J : comme je la connais, si je la connaissais pas, je pourrais pas savoir
72 M : hum, hum
J’aimerais qu’il me dise qu’il a « déroulé » l’alphabet.
Je voulais qu’il me précise comment il venait de retrouver la lettre « o » à l’instant, dans sa tête. Ma question étant trop vaste, il revient au début de la tâche, ce qui nous éloigne de l’alphabet. On remarque qu’il retrouve la lettre « o » en la dessinant, soit une modalité kinesthésique.
73 M : alors je vous propose de voir, si vous en êtes d’accord, comment vous la connaissiez cette lettre « o » [silence] vous m’avez dit tout à l’heure c’était l’alphabet
74 J : ouais [silence]
75 M : alors ? [long silence]
76 J : un mot, pis dans le mot peut y avoir la lettre « o »
77 M : hum, hum
78 J : dans le mot
Je reviens sur la question de l’alphabet, afin de faire expliciter à J sa procédure. Ma question « alors ? » reste trop imprécise.
79 M : est-ce que vous avez un exemple de mot où y’a la lettre « o » ?
80 J : [silence] ovale
81 M : ovale, hum, et comment vous le savez là, juste à ce moment-là ?
82 J : parce qu’on entend le, le mot, on entend le mot « o »
Afin de mieux saisir les propos de J, je le fais exemplifier. Je le fais expliciter sa prise d’information : « comment vous le savez [qu’il y a la lettre « o »] ? »
Apparaît une confusion entre le mot et la lettre.
83 M : alors c’est quoi pour vous le mot ?
84 J : c’est « ovale »
85 M : le mot c’est « ovale »
86 J : on entend le mot « o »
87 M : le mot « o »
88 J : « o » ouais
89 M : d’accord, alors le mot c’est « ovale » ou c’est « o » ?
90 J : [murmure : « ovale »] le mot ? c’est « o »
91 M : c’est peut-être la lettre
92 J : ah oui, la lettre « o »
93 M : la lettre « o »
94 J : ouais autrement en entier ça fait « ovale »
Nous sortons de l’EdE à proprement parler pour entrer dans la sphère pédagogique, où je suggère à J que « o » est une lettre et non un mot.
95 M : c’est parce que vous réentendez le mot, la lettre « o » que vous vous dites que « o » est dans « ovale », c’est ça ?
96 J : ouais, c’est ça
97 M : donc vous réentendez la lettre « o »
98 J : peut y avoir plusieurs mots
99 M : ouais
100 J : peut y avoir des, « o », [silence] en haut
Je reprends le fil de l’EdE en reformulant (de manière un peu élucidante) les propos de J tenus juste avant l’intervention pédagogique. J acquiesce.
101 M : en haut, alors « en haut », on va s’arrêter justement à ce moment-là où vous dites « en haut », vous avez trouvé « en haut »
102 J : ouais
103 M : hein, comment vous avez fait dans votre tête pour retrouver « en haut » ?
104 J : parce que ça commence par un « o »
105 M : ça commence par un « o »
106 J : et pis faut trouver le truc [silence] le, la chose par un « o », comme « en haut », on va en haut, et la lettre c’est, y’a un « o »
Puisque J a du mal à expliciter la tâche, je lui demande d’expliciter une procédure immédiatement après l’avoir mise en œuvre.
107 M : et là, quand vous procédez comme ça, quand vous faites comme ça, est-ce que vous avez une image dans votre tête ou un son qui vous vient ? « en haut », est-ce que c’est une image, l’image du « o », ou est-ce que c’est le son du « o » ?
108 J : une image
109 M : une image
110 J : ouais
J’essaie de percevoir la modalité évocative, visuelle, auditive / verbale. J’inverse l’ordre des propositions : d’abord l’image, puis le son. L’effet de récence n’est plus visible ici, puisque J dit se faire une image du « o », ce qui peut paraître contradictoire avec ce qui a été souligné plus haut : c’est parce qu’il réentendait la lettre « o », qu’il pouvait se dire que « o » était dans un mot.
111 M : et quelle image, est-ce que vous pouvez me la décrire cette image dans votre tête ?
112 J : « en haut », on va en haut, on va en haut de, en haut [rire] de la chambre
113 M : hum, hum, on va en haut de la chambre
114 J : ouais
115 M : et qu’est-ce que vous voyez dans votre tête ?
116 J : autre chose ?
117 M : non, pour « en haut »
118 J : ah oui « en haut »
119 M : ouais
120 J : en haut du ciel
121 M : pour « en haut dans la chambre »
122 J : ah oui
123 M : « en haut de la chambre », qu’est-ce que vous voyez dans votre tête, qu’est-ce que vous avez vu, quand vous avez dit « en haut de la chambre » ?
Je me heurte à la même difficulté que celle rencontrée auparavant : il ne semble pas comprendre le mot « décrire », dans la consigne : « décrire une image », ou bien il essaie de donner un sens concret au mot dans une phrase.
124 J : [rires]
125 M : bah oui mes questions elles sont un petit peu bizarres
126 J : [rires] oui, oh
127 M : hein mais c’est pour essayer de comprendre comment vous faites
128 J : ah oui d’accord
129 M : et pour mieux vous aider justement, hein pour mieux vous aider, pour que vous vous compreniez mieux quand vous faites un exercice et puis pour que moi je vous comprenne mieux pour mieux vous aider
130 J : ah d’accord
131 M : hein ? d’accord ? C’est vrai que ça paraît bizarre comme questions
132 J : [rires] oui, c’est sûr
133 M : hein, vous êtes pas habitué
134 J : [rires] ah non pas du tout
135 M : non
Je quitte le cadre du questionnement pour entrer dans un processus de régulation : j’essaie de faire preuve d’authenticité en me centrant sur les difficultés d’un tel questionnement pour J.
136 J : [rires] en haut, en haut [silence] pour dormir
137 M : pour dormir ?
138 J : dans le, dans le lit
139 M : hum
140 J : ou en haut [rires] pour faire le ménage, en haut pour euh, pour euh fermer les volets, en haut pour se laver, en haut pour euh, pour euh faire de la tapisserie, en haut pour euh [rires] faire, écouter de la musique
141 M : donc là, vous avez des images ou des sons qui vous viennent quand vous dites tous ces mots-là, en haut pour faire la tapisserie, en haut, dans votre tête ?
142 J : pour faire ?
143 M : ouais, c’est des images ou des mots, des sons
144 J : [silence] c’est des mots
J poursuit ses associations d’idées, commençant toujours par « en haut » ; il se résout à poursuivre la tâche, tout en se montrant surpris de mon questionnement (en témoignent ses rires).
--- COUPURE --- Je tourne la cassette
145 M : vous disiez « en haut pour faire la tapisserie », « en haut pour la salle de bains », hein
146 J : ouais
147 M : qu’est-ce qui vous vient à ce moment-là, c’est, dans votre tête, c’est des images que vous voyez ou c’est des sons que vous entendez ?
148 J : des, des, des images
149 M : des images
150 J : ouais
151 M : alors je vous propose J, si vous en êtes d’accord, de me décrire ces images, dans votre tête
152 J : ouais, euh [silence] lavabo
153 M : alors lavabo, c’est une image dans votre tête ?
154 J : bah oui [rires]
155 M : vous aviez le lavabo
156 J : c’est un truc, c’est une image
157 M : vous voyez un lavabo
158 J : ouais
159 M : dans votre tête
160 J : ouais
161 M : hum, d’accord
162 J : bah on le, on le voit
163 M : hum, hum, vous le voyez
164 J : ouais
165 M : d’accord [silence]
J’en reviens toujours au même point de butée : je n’arrive pas à lui faire décrire ses images ; mais la formulation de ma question n’a toujours pas changé.
Je n’arrive pas à comprendre la réponse de J : « lavabo » ; il semble repartir sur une consigne donnée précédemment : « donnez des exemples de mots qui contiennent le son « o » ». Par ailleurs, je ne sais pas quoi faire de cette réponse, comment l’exploiter pour la suite de mon entretien.
166 M : donc vous avez retrouvé les lettres et notamment la lettre « o »
167 J : « o » ouais
168 M : hein, et on a vu un petit peu comment vous vous faisiez des images dans votre tête, hein, vous voyez, pour la salle de bains, le lavabo
169 J : ouais
170 M : hein, d’accord
Je récapitule.
171 M : alors dans l’exercice après, après tracer les lettres, on vous a demandé dans quel sens ça tournait euh alors, je vous propose J, si vous en êtes d’accord, de revenir à ce moment de l’exercice où on vous a demandé dans quel sens tournaient les lettres, hein, est-ce que vous retrouvez bien ce moment-là ?
172 J : ouais
173 M : ouais, comment vous avez fait pour retrouver le sens des lettres dans votre tête ?
174 J : parce que [silence] on commence par le cot, par un côté, un côté droite et un côté gauche, côté gauche là [geste] et côté droite là [geste], au début, avec la main, on dessine tout doucement pour faire la lettre
175 M : et comment vous saviez, alors vous commencez par quel côté ?
176 J : côté droite
Je passe à la deuxième consigne de l’exercice : « dans quel sens tournent les lettres ? ». Mise en évocation + demande d’explicitation.
J évoque-t-il quand il dit : « on dessine tout doucement » ? Le « on » généralise, tandis que le présent du verbe « dessine » amène à penser à une présentification d’un vécu d’action.
177 M : comment vous saviez que fallait commencer par le côté droite ?
178 J : sur la même feuille, sur la même [silence]
179 M : ouais
180 J : feuille, j’ai copié, sur une feuille la même lettre qui fallait faire sur la feuille, fallait que je copie
181 M : vous avez copié
182 J : ouais
183 M : et comment vous saviez que fallait commencer par la gauche, ou par la droite ?
184 J : par euh la gauche
185 M : la gauche
186 J : la gauche
187 M : comment vous saviez que fallait commencer par la gauche ?
188 J : parce que la feuille, faut commencer toujours au bout, à gauche et pour finir à droite, pour euh à droite
189 M : d’accord, c’est la feuille qui vous a aidé, hein ?
190 J : ouais, on écrit toujours sur la gauche
191 M : on écrit toujours à gauche pour aller vers la droite
192 J : ouais [silence]
193 M : d’accord
J décrit le « quoi » plutôt que le « comment ».
Emerge une confusion réciproque sur le côté par lequel J a commencé à tracer sa lettre ; mais je ne lui ai pas fait préciser de quelle lettre il s’agissait, d’où peut-être cette confusion.
Nous dérivons de la deuxième vers la troisième consigne : « dessinez la flèche qui indique le mouvement de la boucle ».
194 M : et dans quel sens ça allait ces lettres ?
195 J : [silence] à droite [silence] à l’envers et de l’autre sens, en bas et de l’autre, et en haut [silence]
196 M : est-ce que vous vous souvenez de la première lettre ?
197 J : [murmure : « première lettre euh »] « o »
198 M : « o », alors le « o », on va revenir juste à ce moment-là, je vous propose de revenir juste à ce moment-là, si vous en êtes d’accord, hein, juste à ce moment-là, comment vous avez fait pour dire dans quel sens tournait la lettre « o », juste à ce moment-là ?
199 J : parce que j’ai suivi avec le crayon, toc, la gauche, si c’était comme ça, c’était sur la droite
200 M : hum, hum, vous avez suivi avec le crayon
201 J : ouais
Je recentre l’entretien sur la deuxième consigne, tout en restant assez vague dans ma question. Je me centre ensuite sur une lettre en particulier, ce qui offre un meilleur support à l’évocation.
Le discours de J est très fortement contextualisé ; il fait des gestes pour appuyer son discours.
202 M : et comment vous avez fait pour suivre avec le crayon ?
203 J : [silence] la même lettre que j’ai copiée, la lettre qui correspond, j’ai copié sur une autre feuille et c’était côté droit et en suivant tout doucement avec le, avec le crayon
204 M : d’accord [silence]
J’essaie de fragmenter le vécu d’action, mais J ne répond pas directement à ce questionnement.
205 M : et comment vous saviez que c’était le côté droite ?
206 J : parce que [silence] j’ai commencé comme ça, toc, c’était le côté droite, toc, et en bas
207 M : qu’est-ce qui vous vient en ce moment à l’esprit en faisant ce geste, c’est des images ou des sons qui vous viennent ?
208 J : des euh images
209 M : des images, est-ce que vous pouvez me décrire ces images dans votre tête J ?
210 J : on commence par en bas, par en haut, et on descend, pis la lettre elle est dessinée, ça fait une lettre quoi [silence]
211 M : d’accord
Nouvel essai de fragmentation.
J reste fidèle à ses modalités évocatives : il voit des images. Mais est-il vraiment en évocation lorsqu’il dit : « on commence par en bas, … » ? En effet, il emploie un « on » de généralisation et non un « je » de singularisation.
212 M : et après dans l’exercice, après le sens des, des lettres, il fallait mettre une flèche pour dire dans quel sens ça tournait
213 J : ah oui
214 M : vous vous souvenez de ce moment-là ?
215 J : ouais
216 M : vous retrouvez bien ce moment-là ?
217 J : ouais
218 M : ouais, hein ? alors, si vous en êtes d’accord, je vous propose de me décrire comment vous avez fait pour mettre la flèche, sur la lettre « o » par exemple
219 J : ah la lettre « o » c’est [silence] en bas, euh à, ça tourne
220 M : ça tourne
221 J : ouais sur la gauche [silence]
J’aborde la troisième consigne, moins abstraite que la seconde. En effet, pour la seconde consigne, il s’agit de déterminer dans sa tête dans quel sens tourne la boucle, alors que pour la troisième consigne, il s’agit de tracer une flèche qui indique le mouvement. La deuxième consigne nécessite l’emploi d’un vocabulaire abstrait : « la boucle tourne dans le sens des aiguilles d’une montre, ou dans le sens contraire ». J préfère un vocabulaire plus concret : « ça tourne à droite ou à gauche ».
222 M : comment vous saviez là que ça tourne sur la gauche, c’est des images que vous vous faites dans votre tête ou des sons que vous entendez ?
223 J : des euh images
224 M : des images, mais des images de quoi, qu’est-ce que vous voyez ?
225 J : bah le, le, le « o »
226 M : vous voyez le « o », et qu’est-ce que vous voyez dans le « o » ?
227 J : un rond
228 M : un rond
229 J : qui tourne
230 M : qui tourne, et il tourne comment ce, ce rond ?
231 J : bah à droite, euh à gauche
232 M : à gauche
233 J : ouais
Ce questionnement n’apporte rien par rapport au précédent : on parvient à la même conclusion : la lettre « o » tourne sur la gauche.
234 M : comment vous saviez que ça tournait sur la gauche ?
235 J : en, en dessinant, en faisant le, la lettre
236 M : en faisant la lettre
237 J : ouais, ça allait sur la gauche
238 M : d’accord [silence]
C’est dans l’agir que J prend conscience du sens de rotation de la lettre.
239 M : est-ce que vous retrouvez les autres lettres ?
240 J : [long silence] « p »
241 M : « p »
242 J : [long silence] « l »
243 M : ouais, les flèches elles étaient dans quel sens, pour le « p » par exemple ?
244 J : à droite
 
245 M : hum, et comment vous le saviez ça ?
246 J : [silence] parce que j’ai suivi avec le crayon et re, regardé
247 M : vous avez regardé
248 J : euh la lettre
249 M : vous avez regardé la lettre
250 J : ouais, quel côté elle est située
251 M : comment ça quel côté elle est située J ?
252 J : sur la feuille
253 M : quel côté vous voulez dire si elle est située sur la droite ou sur la gauche ?
254 J : ouais
255 M : et elle était située de quel côté ?
256 J : côté droite
257 M : et alors qu’est-ce que vous avez fait puisqu’elle était sur le côté droite ?
258 J : j’ai fait une flèche
259 M : dans quel sens ?
260 J : à droite
261 M : à droite, donc c’était parce que la lettre était située sur le côté droit que vous avez fait une flèche sur la droite, c’est ça ?
262 J : ouais, en descendant, en tournant, j’ai fait une flèche, comme une euh, les aiguilles d’une montre
263 M : comme le sens des aiguilles d’une montre
264 J : ouais
265 M : et si la lettre avait été sur la gauche, comme le « o » par exemple, qu’est-ce que vous auriez fait ?
266 J : [silence] le, le contraire, en arrière
267 M : d’accord, donc c’est en fonction de la position de la lettre sur la feuille que vous faites une flèche ?
268 J : ouais
269 M : d’accord, c’est pas avec le crayon ?
270 J : euh non
271 M : non
272 J : si un petit peu
273 M : un petit peu avec le crayon
274 J : ouais, on repère un petit peu avec le crayon, y’a, y’a les deux
275 M : d’accord [silence]
J me décrit sa manière de faire pour déterminer le mouvement de la lettre : il suit la lettre du crayon et regarde où celle-ci est située dans la feuille, plutôt sur la droite, ou plutôt sur la gauche. Si la lettre est située à gauche, elle tournera sur la gauche (comme le « o ») et vice versa (comme le « p »).
Ici, les propos de J me permettent de m’auto-informer quant aux procédures qu’il met en place.
On ne peut pas parler de prise de conscience chez J : il est déjà conscient de cette procédure.
276 M : est-ce que vous voyez d’autres choses à rajouter J par rapport à tout ce qu’on a dit ce matin ?
277 J : euh [silence] non
278 M : non ? donc on s’en tient là ?
279 J : on s’en tient là
280 M : d’accord
Après avoir fragmenté, je réouvre, laissant à J toute latitude pour aborder d’autres points.
--- Vécu de l’entretien ---
281 M : alors comment vous avez vécu cet entretien J ?
282 J : ah bien
283 M : bien ouais
284 J : intéressant
285 M : intéressant, hum
286 J : ça fait, ça fait des choses
287 M : ça fait des choses ?
288 J : ouais
289 M : quelle chose ça fait J ?
290 J : bah d’apprendre et puis de savoir
291M : d’apprendre, de savoir
292 J : ouais, pour euh l’avenir
293 M : hum, hum, d’accord, et qu’est-ce qui était intéressant là ce matin ?
294 J : euh les lettres
294 M : les lettres, d’accord
L’entretien a produit un effet sur J : ça lui a fait des choses, telles qu’apprendre et savoir, ce qui semble important pour son avenir. Peut-être aurais-je dû creuser davantage cette dimension du vécu.

Bilan : Le contenu du discours de J. reste assez pauvre, le vocabulaire restreint. Nous remarquons que J a du mal à traduire en mots un vécu en acte (par exemple, quand il décrit le tracé de la lettre « o », les mots achoppent à restituer ce tracé, là où les gestes parviennent à nous faire comprendre de quelle lettre il s’agit ; un deuxième exemple nous est fourni lorsque J. dit que l’alphabet l’a aidé à retrouver la lettre « o » : plutôt que de dire qu’il a « déroulé » dans sa tête l’alphabet, il prononce devant nous l’alphabet, autrement dit, il agit plutôt que de parler, ce qui correspondrait à un degré d’abstraction supérieur (soit la thématisation)). Pour d’autres tâches, J. a besoin du support de l’action pour abstraire : ainsi, il a su qu’une lettre tournait vers la gauche en la dessinant.