Annexe 19 : Entretien narratif n°2 – Ludovic

Dispositif : enquête

Date de l’entretien : 20/03/06

Durée : 15-20’

Lieu : S

Transcription :

Conventions :

M : moi, l’interviewer

L : Ludovic, l’interviewé

Transcription – éléments du discours

  1. M : voilà donc euh je vous propose aujourd’hui de me parler de votre travail de maçonnerie, vous travaillez dans le gros œuvre, alors moi je ne suis pas du tout de la partie, je ne connais pas du tout la maçonnerie, mais euh je m’intéresse à ce que vous faites et j’aimerais bien, bien comprendre euh ce que vous faites dans le gros œuvre euh, alors je vous propose, si vous en êtes d’accord, de m’expliquer les différentes étapes par lesquelles on passe pour faire euh le gros œuvre hein [silence] alors c’est quoi le gros œuvre déjà euh ?
  2. L : le gros œuvre, c’est monter les parpaings
  3. M : monter les parpaings
  4. L : ouais, bah la première base c’est de implanter la maison
  5. M : implanter la maison
  6. L : ouais, implanter c’est, on appelle ça des, mettre des chaises dans les angles avec des pointes
  7. M : mettre des chaises, alors c’est quoi des chaises euh
  8. L : nous on appelle des chaises, c’est deux piquets en ferraille avec une planche
  9. M : ah oui
  10. L : on appelle ça une chaise
  11. M : d’accord
  12. L : on, on prend les mesures, on trace sur les planches, on met des pointes donc ça bouge plus
  13. M : hum, hum
  14. L : après le tracto-pelle y vient pour faire les fondations
  15. M : les fondations
  16. L : oui, nous on revient, on met des semelles, alors c’est de la ferraille
  17. M : alors les semelles c’est ?
  18. L : c’est de la ferraille
  19. M : c’est de la ferraille
  20. L : c’est de la ferraille pour mettre dans, dans les fondations
  21. M : ah oui
  22. L : oui c’est quand on voit de la ferraille avant le béton
  23. M : ah d’accord
  24. L : oui, après euh on coule
  25. M : alors couler, c’est quoi couler euh ?
  26. L : on coule euh les fondations
  27. M : ouais
  28. L : on met du béton dans, dans le, comment expliquer ça, dans les fondations
  29. M : ouais
  30. L : on met 25 d’épaisseur
  31. M : alors 25 euh cent-
  32. L : centimètres ouais
  33. M : centimètres
  34. L : ouais, en béton
  35. M : ouais
  36. L : on laisse sécher normalement euh, ça dépend des délais, des fois ça presse, des fois ça presse pas, alors après on revient monter les parpaings, 3, 3 rangs, on remblaye de sable
  37. M : 3 rangs euh
  38. L : de parpaings de 25
  39. M : 3 rangs, 3 les uns au-dessus des autres ?
  40. L : oui c’est ça
  41. M : ah oui d’accord
  42. L : tout autour
  43. M : oui, d’accord
  44. L : après on, on remplit de sable, on met les tuyaux
  45. M : hum, hum
  46. L : pour les eaux usées
  47. M : ah oui
  48. L : ouais, après on met les petites [planelles ?] de 5, des petits parpaings de 5 tout autour pour arrêter le béton
  49. M : hum, hum, pour arrêter le béton ?
  50. L : oui, au lieu de coffrer, on met, c’est des petits parpaings de 5
  51. M : alors coffrer faut que vous m’expliquiez L [rires]
  52. L : bah des fois c’est de mettre des planches
  53. M : ah oui d’accord
  54. L : on, c’est des petits parpaings, c’est plus vite fait, on remet du treillis, on remet du polyène, [inaudible] le treillis, le chaunage autour, les équerres, après on recoule 13 centimètres de béton
  55. M : oui
  56. L : après on laisse sécher la dalle, on revient monter les parpaings
  57. M : remonter, ah oui, donc la dalle, c’est un nouveau plafond ou ?
  58. L : la dalle c’est la première base quoi
  59. M : la première base
  60. L : oui, alors on coule, après on recommence à remonter les murs
  61. M : parce qu’y avait les fondations avant euh
  62. L : oui
  63. M : les fondations et la dalle
  64. L : la dalle oui
  65. M : et y’a 3 de, rangs de parpaings
  66. L : 3 rangs de parpaings
  67. M : entre les deux
  68. L : ouais, c’est ça
  69. M : hein
  70. L : en béton, et après on remonte les murs
  71. M : hum, hum
  72. L : jusqu’à 2m50, bah 2m51 parce que avec le plafond, faut mieux mettre 2m51
  73. M : ouais
  74. L : on arrose tout autour comme ça, après on met, soit des U ou des coffres de volets roulants
  75. M : alors des U ?
  76. L : des U c’est pour remplir le béton après, c’est pour faire des linteaux
  77. M : alors les linteaux, c’est un mot que j’avais souligné
  78. L : [rires] les linteaux c’est au-dessus des portes
  79. M : ah oui d’accord
  80. L : hum
  81. M : ah oui, oui
  82. L : c’est au-dessus des portes, on rempli ça de béton ou les coffres de volets roulants
  83. M : les coffres de volet roulant ?
  84. L : ouais c’est en [nom d’une matière - inaudible]
  85. M : hum, hum
  86. L : des volets roulants
  87. M : quand la toiture est penchée par exemple euh, ah non
  88. L : non, non, ça remplace les U
  89. M : d’accord
  90. L : on met ça, ça dépend des personnes qui veulent ça quoi
  91. M : oui, oui
  92. L : comme ça après on tourne une manivelle pis on [sort par derrière ?]
  93. M : oui c’est ça
  94. L : hum, une manivelle électrique maintenant, avec le moderne
  95. M : ouais
  96. L : alors après on remonte un, on refait un plancher dessus
  97. M : alors vous refaites un plancher ?
  98. L : on remet des poutrelles et des ourdis
  99. M : un plancher parce que y’a, y’a la dalle là, c’est pas le plancher la dalle ?
  100. L : ah non
  101. M : non
  102. L : le plancher c’est au-dessus
  103. M : le plancher c’est au-dessus, c’est le plafond quoi
  104. L : ouais c’est ça, c’est le plafond, on appelle ça le plancher
  105. M : ah ouais, vous appelez ça le plancher
  106. L : ouais, alors c’est avec des poutrelles et des ourdis entre les deux
  107. M : alors des ourdis ?
  108. L : des ourdis c’est les parpaings, avec deux petites hanches, on met ça sur les, les poutrelles
  109. M : hum, hum
  110. L : alors après c’est pareil on met la [farine ?], on coule, on laisse sécher
  111. M : ouais
  112. L : fin, on, on étaye avant pour protéger
  113. M : alors c’est quoi étayer ?
  114. L : étayer, on met des étais pour éviter que les poutres elles euh se cassent quoi
  115. M : alors les étais c’est quoi euh L ?
  116. L : c’est les étais euh, c’est un grand tube quoi, pis on visse
  117. M : un grand tube et on visse
  118. L : ouais, shai pas comment expliquer ça
  119. M : ouais
  120. L : [long silence] ouais c’est un étai, on appelle ça un étai
  121. M : ouais, et c’est pour éviter, vous disiez ?
  122. L : c’est pour éviter que les poutrelles se cassent quand on met le béton dessus
  123. M : hum, hum
  124. L : alors après on laisse sécher 3, 3 semaines
  125. M : hum, hum
  126. L : et on remonte les pignons après
  127. M : alors les pignons, va falloir que vous m’expliquiez également
  128. L : les pignons c’est, c’est en pointe
  129. M : ah oui, en pointe
  130. L : en pointe, alors une fois que les pignons sont montés les charpentiers ils arrivent
  131. M : hum, hum
  132. L : ils mettent leur euh, leur charpente, nous on revient pour coffrer les rempanages
  133. M : alors rempanages justement
  134. L : oui rempanages, oui, c’est les rampants parce qu’on monte en escalier
  135. M : ah oui
  136. L : pis on coffre de chaque côté, pis après ça fait lisse
  137. M : d’accord ouais
  138. L : alors après ça si y’a une cheminée, on fait la cheminée, alors après on fait les bandes de redressement
  139. M : les bandes de redressement
  140. L : oui pour que le menuisier y puisse poser sa fenêtre, c’est une petite bande de 10 qu’on fait tout autour des encadrements
  141. M : ah oui d’accord
  142. L : oui parce que si le mur est pas trop droit, ça redresse un petit peu
  143. M : hum, hum
  144. L : on met les appuis de fenêtre, les seuils, qu’est-ce qu’y a après ? bah pour nous c’est fini le gros œuvre, après c’est les ravalements qui reviennent
  145. M : alors les ravalements, qu’est-ce que c’est le ravalement ?
  146. L : c’est euh l’enduit
  147. M : l’enduit
  148. L : ça veut dire qui cache le parpaing quoi
  149. M : ah d’accord
  150. L : hum [silence] autrement euh c’est tout, je pense qu’on a fait le tour
  151. M : c’est une longue procédure hein ?
  152. L : oui, bah oui, oui
  153. M : ça vous prend combien de temps en tout ?
  154. L : ah ça dépend des maisons
  155. M : ça dépend des maisons
  156. L : ouais, une maison normale, un mois y’en a bien de fait, on a vu être sur, deux mois sur une maison quoi
  157. M : ah oui, hum, et vous êtes des équipes de combien à travailler sur une maison ?
  158. L : oh bien souvent on est que deux
  159. M : que deux
  160. L : souvent
  161. M : ah oui
  162. L : parce qu’on a un gros chantier à la M, ben on est trois quoi [silence] à la boîte on est 13, bah [on est que des hommes de toutes façons ailleurs ?]
  163. M : ah oui [très long silence] alors est-ce qu’on a fait le tour des mots que j’avais soulignés ? donc le gros œuvre
  164. L : le coffre
  165. M : coffrer, les linteaux, les pignons, c’est les pointes, c’est ça ?
  166. L : ouais c’est les pointes ouais, on monte en escalier
  167. M : c’est ça, les rempanages, les appuis ?
  168. L : c’est les appuis de fenêtre
  169. M : ah oui c’est ça, les seuils
  170. L : les seuils bah c’est euh au niveau de la porte d’entrée
  171. M : ah oui
  172. L : on fait des petits seuils comme ça
  173. M : hum, hum, pis les ravalements
  174. L : les ravalements
  175. M : ouais, d’accord, et c’est tout le temps la même chose ?
  176. L : de, oui pratiquement, y’a des maisons, on a plus de coffrage que d’autres
  177. M : ouais
  178. L : ça, ça dépend aussi de la maison
  179. M : alors coffrage, vous pouvez me rappeler parce que j’ai peut-être pas bien compris ?
  180. L : bah le coffrage c’est, si on a un côté à faire
  181. M : oui
  182. L : on met 4 planches pour faire un, un poteau carré, autrement si c’est un poteau rond, c’est un coffrage tout prêt
  183. M : ouais
  184. L : on a juste à couler dedans, du béton pis euh
  185. M : d’accord
  186. L : c’est pareil faut toujours mettre de la ferraille
  187. M : hum, hum, donc le fer avant le béton [silence] c’est ça ? la ferraille euh
  188. L : bah la ferraille, faut toujours mettre de la ferraille avant de couler de toutes façons
  189. M : c’est ça, c’est une règle
  190. L : ouais
  191. M : hum [long silence]
  192. L : si on veut mettre dans les normes, une maison ça tendance toujours à bouger
  193. M : hum, hum
  194. L : alors si [inaudible] [c’est embêté quoi ?]
  195. M : hum, hum [silence]
  196. M : et vous avez appris tout ça au CFA de BB alors
  197. L : oui on apprend ça sur le tas hein
  198. M : ah
  199. L : ouais, parce que au CFA [silence] c’est bien
  200. M : qu’est-ce que vous avez appris au CFA euh
  201. L : [silence] de toutes façons j’ai appris sur le chantier, au CFA après c’est, comment dire ? [silence] ils apprennent pas grand chose quoi là-bas
  202. M : ils apprennent pas grand chose
  203. L : non [très long silence]
  204. M : et c’était par alternance euh
  205. L : euh oui, on avait une semaine par mois, on avait trois semaines de boulot, une semaine de cours, pis après on revenait 15 jours au boulot, une semaine de cours
  206. M : hum, hum, et là où vous appreniez le plus c’était sur le chantier
  207. L : ouais sur le chantier
  208. M : hum, hum, vous aviez quel type de cours au CFA euh ?
  209. L : bah on avait des, des dessins
  210. M : des dessins, ouais
  211. L : des dessins pour euh, dessiner les plans, on avait français, maths, la pratique, ouais du sport on avait [silence] ouais c’est tout
  212. M : qu’est-ce qui vous plaisait le plus, vous euh
  213. L : bah moi c’était la pratique
  214. M : ouais
  215. L : c’était la pratique
  216. M : hum, hum [silence] et comment ça se passait la pratique euh, y’avait des ateliers ?
  217. L : ouais des ateliers ouais, on faisait des petites maquettes quoi, on montait un mur d’un mètre carré, pis après soit on mettait de la, de la brique, on enduisait
  218. M : hum, hum [silence]
  219. L : on faisait pas grand chose, souvent à la fin de la semaine, on n’avait pas le temps de finir
  220. M : ah oui
  221. L : on n’avait pas assez d’heures déjà pour commencer
  222. M : de pratique vous voulez dire ?
  223. L : ouais [très long silence]
  224. M : qu’est-ce qui vous plaisait dans la pratique euh ?
  225. L : bah déjà un maçon [inaudible] [très long silence] c’est toujours intéressant de voir ce qu’on fait déjà
  226. M : hum, ouais [silence] et quels étaient les cours que vous aimiez le moins euh au CFA ?
  227. L : bah le français, maths
  228. M : hum, hum
  229. L : le dessin ça allait à peu près
  230. M : ouais
  231. L : bah le sport j’aimais bien [silence]
  232. M : qu’est-ce que vous aimiez bien dans le sport ?
  233. L : bah le sport c’est du, du hand, du foot, saut en hauteur qu’on faisait
  234. M : hum, hum
  235. L : et du cross quoi
  236. M : hum, hum [silence]
  237. L : ça, ça me plaisait quoi le sport [long silence]
  238. M : y’avait juste en français et en maths que vous aimiez fin
  239. L : bah euh non, les profs y sont pas là déjà pour nous apprendre, déjà on était vite fixés, ils nous l’avaient dit, ceux qui savent pas lire ni écrire ils sont pas là pour apprendre, donc déjà, on avait déjà compris [silence] fin je me débrouillais mais bon, le temps que je comprenne tout, les heures elles étaient passées quoi
  240. M : hum, hum
  241. L : je me rattrapais sur la pratique [très long silence] autrement, c’est tout [long silence]
  242. M : et à l’école vous avez fait donc euh ce que j’ai entendu, ce que vous m’avez dit la, la fois dernière, une 6ème SES
  243. L : hum
  244. M : et après, comment vous avez continué ?
  245. L : bah j’ai été jusqu’en 5ème euh SES
  246. M : hum, hum
  247. L : pis à 16 ans j’ai commencé mon apprentissage
  248. M : c’est ça
  249. L : hum, bah déjà là-bas j’apprenais un petit peu le métier [long silence] j’ai appris aussi à faire du carrelage
  250. M : ah oui
  251. L : hum [silence] le carrelage c’était pas mon truc, c’était plutôt le, le maçon quoi
  252. M : hum, hum [silence] et c’est un rêve qui remonte à quand ça euh, le désir d’être maçon ?
  253. L : tout petit
  254. M : tout petit
  255. L : ouais, en plus j’avais mon père qu’était euh maçon, ça m’a toujours plu
  256. M : hum, hum, et vous l’aidiez sur des chantiers euh ?
  257. L : ah non, non
  258. M : non
  259. L : non, bah c’est quand même assez dangereux
  260. M : hum [très long silence] bien, on a fait le tour je pense euh L ?
  261. L : hum, bah oui
  262. M : les termes que j’avais pas bien saisis, donc vous m’avez appris beaucoup de choses sur la maçonnerie
  263. L : [rires]
  264. M : c’est un métier complexe hein euh
  265. L : ah bah oui c’est sûr
  266. M : ça s’apprend pas comme ça d’un coup
  267. L : non, non, non, on en apprend tous les jours
  268. M : on en apprend tous les jours ?
  269. L : oui, quand même, toujours les petites astuces qu’on faisait pas avant, qu’on fait maintenant
  270. M : ah oui, hum [long silence] on s’en tient là pour aujourd’hui euh ?
  271. L : bah oui, oui
  272. M : oui ? bon

Bilan :

Au début de l’entretien, L se montre volubile. Il m’explique, en des termes souvent techniques, les différentes étapes de son travail. Mais sur mes sollicitations, il parvient à expliciter ce que recouvrent les différents termes techniques (Cf . la chaise, la semelle, …). On note peu voire pas de silence. L se trouve valorisé par rapport à des connaissances qu’il maîtrise et fait découvrir à l’interviewer. Puis dans une seconde partie, quand il a eu fini de raconter le travail que comprend le gros œuvre, j’oriente l’entretien vers l’apprentissage de ces techniques, notamment au CFA. On note alors davantage de temps de silence, parfois de très longs temps. Je fais ressurgir un passé scolaire douloureux :

L : bah euh non, les profs y sont pas là déjà pour nous apprendre, déjà on était vite fixés, ils nous l’avaient dit, ceux qui savent pas lire ni écrire ils sont pas là pour apprendre, donc déjà, on avait déjà compris [silence] fin je me débrouillais mais bon, le temps que je comprenne tout, les heures elles étaient passées quoi

Ai-je fais ici violence à L par rapport à un passé qu’il ne voulait pas forcément aborder ? D’ailleurs, il évoque en premier les matières qu’il aime. C’est sur sollicitation qu’il est amené à parler des matières qu’il n’aimait pas. Je le force donc à aborder des difficultés douloureuses. L se trouve mis en défaut dans ses capacités.

Dans une troisième et courte partie, j’essaie de revaloriser L en le questionnant sur la genèse de son projet professionnel.

On note un fort contraste entre la première et la seconde partie de l’entretien : d’une voix assurée et continue, L passe à une voix plus faible, ponctuée de longs temps de silence.