Annexe 35 : Entretien d’explicitation n°1 – Martine

Dispositif : enquête

Date de l’entretien : 10/03/06

Durée : environ 25 minutes

Lieu : P

Exercice : Fiche écriture n°46 – Transports (choisir un trajet)

Transcription :

Conventions :

M : moi, l’interviewer

Ma : Martine, l’interviewée

Discours Analyse
1 M : donc Ma je vous propose cet entretien euh pour que vous puissiez, suite à cet exercice, mieux comprendre comment vous avez fait dans l’exercice et mieux vous comprendre
2 Ma : d’accord
3 M : hein dans l’exercice et ce qui vous permettra peut-être de mieux faire d’autres exercices de lecture et d’écriture hein
4 Ma : d’accord
5 M : et moi ça me permettra de mieux vous comprendre
6 Ma : d’accord
7 M : hein, parce qu’on aurait pu faire l’exercice et pis s’en arrêter là, mais c’est tout aussi intéressant de se dire euh comment j’ai fonctionné dans cet exercice, comment j’ai fait pour fonctionner dans l’exercice, hein, d’accord ?
8 Ma : d’accord
9 M : c’est pour ça que je vais vous poser toutes ces questions
J’essaie de donner du sens aux questions qui vont suivre, à l’entretien qui va se dérouler, sachant qu’avant de faire l’exercice, j’ai déjà travaillé sur le sens de l’entretien.
Quand je dis : « ce qui vous permettra peut-être de mieux faire d’autres exercices de lecture et d’écriture », cela pourrait sous-entendre que Ma n’a pas bien réalisé l’exercice de lecture et d’écriture proposé. Par ailleurs, je n’introduis pas le fait qu’on ne se préoccupe pas des bonnes ni des mauvaises réponses, mais qu’on travaille sur le comment, la procédure qui a amené au résultat. On le verra, cela tracassera Ma ensuite.
10 M : donc je vous propose, si vous en êtes d’accord, de revenir Ma au moment où je vous ai demandé d’observer le document, vous étiez assise là, à cette table-là, vous aviez le document sous les yeux euh, vous retrouvez bien la situation ?
11 Ma : très bien
Peut-être aurait-il fallu ajouter : « de revenir au tout début de l’exercice quand je vous ai demandé d’observer le document ». Ici, je recontextualise la situation afin de favoriser une évocation chez Ma. Apparemment, elle retrouve très bien la situation.
12 M : oui, comment vous la retrouvez, est-ce que c’est des images que vous vous faites dans votre tête ou est-ce que c’est des sons que vous entendez euh c’est-à-dire euh vous me réentendez vous dire la consigne : « Ma observez bien ce document » ou vous vous réentendez parler dans votre tête ?
13 Ma : euh bah en fait pour moi euh, ça me permet de mieux me situer par rapport à ce que cet exercice demandait et de voir et de comprendre le sens des phrases, des questions qui sont posées et ce qu’elles veulent dire, donc euh
Poursuivant le fil de l’évocation, j’essaie d’en faire préciser la modalité par Ma.
Sa réponse me déroute : à quel référent renvoie l’anaphore « ça » dans « ça me permet » ?
14 M : mais vous avez vu plutôt des images dans votre tête ou des
15 Ma : non c’est pas des images, c’est pas, ça se mélange pas dans ma tête, mais j’essaie de comprendre à quel moment je dois faire ceci, cela et j’essaie de mémoriser le nom des villes, je regarde bien déjà, d’abord euh l’image, je mémorise bien les villes tout ça et après je lis le texte et je le fais
16 M : hum, hum
Je pose de nouveau ma question. Pour Ma, quand on a des images dans sa tête, c’est que ça se mélange.
Ma explicite la procédure qui l’a amenée à commencer à faire l’exercice.
17 Ma : donc pour moi ça a été pour moi ça a été facile cet exercice donc euh, c’est vrai que quand j’étais au collège on faisait pas toutes sortes de trucs comme ça, on n’avait pas besoin de ça ni d’autre chose, on avait simplement, quand le maître nous donnait des exercices à faire, fallait qu’on les fasse, donc euh c’est comme si on me donnait quelque chose à faire, je faisais
18 M : hum, hum
19 Ma : donc ça change rien
Ma émet un jugement de valeur sur l’exercice : « ça a été facile ». Par ailleurs, cette situation lui évoque le collège quand le maître donnait des exercices et qu’il fallait les faire. Quel est le message sous-jacent dans ces propos de Ma ? Quel souvenir garde-t-elle du collège, du maître et des exercices à faire, pour lesquels on ne peut donner son avis ?
20 M : on va revenir si vous voulez au moment où vous dites : « je mémorise le nom des villes »
21 Ma : hum
22 M : hein, donc vous retrouvez bien cette situation quand vous dites : « je mémorise le nom des villes » ?
23 Ma : oui
24 M : hein, donc vous mémorisez le nom des villes, comment vous faites pour mémoriser le nom des villes ?
25 Ma : c’est simple, je regarde ce qu’y a sur l’exercice et je vois à quel mom, à quel endroit je dois passer pour euh arriver à Brest quoi
26 M : hum, hum
27 Ma : donc si admettons je pars de Rennes, je regarde quel est le chemin le plus court pour y arriver donc euh, ça je mémorise très bien, donc pour moi, c’est, c’est facile
J’aurais plutôt dû poser la question : « qu’est-ce que mémoriser pour vous ? »
La réponse de Ma me déroute : elle reprend les consignes de l’exercice, plutôt que de décrire comment elle s’y prend pour mémoriser le nom des villes.
28 M : et quand vous avez observé ce document, vous aviez le document là sous les yeux, hein
29 Ma : oui
30 M : par quoi avez-vous commencé ?
31 Ma : déjà, j’ai commencé par le plus grand, donc au moins je sais à quoi m’en tenir si je prends le parcours le plus grand
32 Ma et M : [parlent en même temps]
33 M : du premier exercice, du premier exercice Ma
34 Ma : ah
35 M : voilà, je vous ai demandé tout à l’heure dans le premier exercice, observez bien ce document, y’a des noms en caractère gras, des noms en lettres majuscules
36 Ma : bah ça c’était facile pour moi, parce que quand c’est écrit en, en caractère gras, je sais que c’est un trait plus épais, d’autres, c’est moins épais et en majuscules, d’autres c’est en traits plus fins, donc je me suis bien repérée là-dessus et j’ai bien compris le sens des phrases, les significations et au moins j’ai compris le [inaudible] qu’il fallait que je fasse quoi, pour moi c’était facile
J’essaie une nouvelle question afin de voir si Ma va mieux y « accrocher ».
Un quiproquo surgit : il s’agit d’une question valable pour le premier exercice.
Une dimension narcissique apparaît : « je me suis bien repérée là-dessus », S.E. : « j’ai des potentialités, des capacités, malgré mes difficultés ». Mais Ma contourne la question : « par quoi avez-vous commencé ? »
Apparaît, comme une litanie dans les propos de Ma : « pour moi c’était facile ».
37 M : d’accord, c’était facile
38 Ma : oui
39 M : et comment vous saviez que c’était facile Ma ?
40 Ma : bah pour moi c’était euh le fait de bien regarder l’exercice que j’avais à faire, de comprendre le sens de la question qu’ils me propo, qu’ils me posaient et une fois que j’avais bien mémorisé cette question, je faisais le travail, je faisais le travail, donc pour moi c’était simple et puis j’ai bien répondu - je pense du moins, je pense que y aura pas de souci avec cet exercice que j’ai fait
J’abandonne – momentanément – ma question précédente : « par quoi avez-vous commencé ? » pour me centrer sur le jugement : « c’était facile ».
Ma est centrée sur l’exactitude des résultats à l’exercice : c’est à ce moment que j’aurais dû dédramatiser cette question pour la focaliser sur la procédure qu’elle a mise en œuvre pour réaliser la tâche.
41 M : et tout à l’heure quand je vous ai mis le document sous les yeux, vous aviez la carte sous les yeux, par quoi avez-vous commencé euh à regarder, à observer ?
42 Ma : déjà, ils m’ont posé la question, par rapport au premier exercice, les noms en caractère gras, j’les ai bien mémori, j’ai bien regardé où est-ce qu’ils étaient placés, après ils m’ont demandé ceux qui étaient en majuscules, donc c’est-à-dire les départements
En fait, l’observation de Ma a suivi la consigne. Elle personnifie d’ailleurs la consigne : « ils m’ont posé la question ». On retrouve peut-être ici la référence au maître.
43 M : hum, hum, et comment vous saviez que c’étaient les départements Ma ?
44 Ma : bah c’est simple « Côtes d’Armor » c’est un département, « Morbihan » c’est un département euh « Loire-Atlantique » c’est un département et l’« Ille-et-Vilaine » c’est un département aussi, donc c’est simple, c’est en gros et c’est en trait plus fin et moins épais que le caractère gras
45 M : hum, hum
46 Ma : c’est tout simple
47 M : d’accord
48 Ma : donc bah moi je pense que si admettons j’ai un itinéraire à faire, je le fais avant de partir, donc c’est tout simple
Ma se base ici sur une référence à des connaissances théoriques, un savoir acquis avant l’exercice.
Des jugements de valeur sur l’exercice interfèrent constamment : « c’est tout simple ». S’agit-il ici d’un mécanisme de défense lui permettant de se protéger des difficultés qu’elle peut éprouver pour réaliser telle ou telle tâche de lecture ou d’écriture ?
49 M : tout à l’heure vous me parliez de mémoriser
50 Ma : oui
51 M : qu’est-ce que c’est pour vous mémoriser ?
52 Ma : et ben mémoriser c’est euh, pour moi, en quelque sorte, bien regarder l’itinéraire qu’on va prendre, voir à, par quelle route on peut prendre pour arriver le plus vite
53 M : hum, hum
54 Ma : pour moi c’est ça et au moins on mémorise le trajet qu’on doit prendre selon où ce qu’on doit aller et on marque toutes les villes qu’on doit, par où on doit passer, donc pour moi c’est, c’est de mémoriser les villes qui sont importantes ou euh par où je dois passer, c’est tout simple, ça c’est une question de mémorisation
55 M : c’est une question de mémorisation
56 Ma : hum
57 M : d’accord
58 Ma : on sait qu’on a des trucs à mémoriser, on note, on sait que à tel endroit on va passer, pour moi c’était ça
59 M : d’accord
Ma reprend le déroulement de l’exercice pour expliquer ce qu’est pour elle mémoriser. Elle a besoin de ce support concret de l’exercice pour expliquer quelque chose de plus abstrait.
60 M : et donc comment vous avez fait ensuite, on vous posait la question euh, enfin je vous propose de revenir sur un moment de l’exercice où on vous demandait lors de la première activité de repérer les trois villes les plus importantes, vous retrouvez bien la situation ?
61 Ma : oui
62 M : hein, on vous demandait de repérer les trois villes les plus importantes, comment vous avez fait à ce moment-là pour repérer les trois villes les plus importantes ?
63 Ma : bah c’est simple, elles étaient en caractère gras, trait plus épais, et il suffit de regarder devant moi que les villes les plus importantes sont en caractère gras
J’ai un débit langagier trop rapide, ce qui accélère le rythme de l’entretien.
Peut-on parler d’évocation lorsque le temps de la phrase change soudain, passant de l’imparfait au présent : « elles étaient en caractère gras… les villes les plus importantes sont en caractère gras » ?
64 M : comment vous saviez ça que les villes les plus importantes étaient en caractère gras ?
65 Ma : bah c’est simple, il suffit de bien regarder le nom, comment il est écrit et comment il est disposé, donc pour moi c’était facile
66 M : le nom comment il est écrit et comment il est disposé
67 Ma : voilà
68 M : donc comment il est écrit, c’est-à-dire ?
69 Ma : bah déjà rien que de, comment j’ai vu euh pour moi le nom de la ville il était en caractère gras, c’était plus facile à retenir, que bah si on aurait des, des, des villes importantes d’accord mais qu’étaient en toutes petites lettres, mais en caractère gras mais bon des fois c’est pas évident ça je l’avoue, mais là euh sur ce plan là, pour moi ça a été facile, c’était pas méchant, c’est juste que fallait mémoriser un peu euh cet itinéraire là et puis
Ma procède à des généralisations dans sa réponse à ma question : « donc comment il est écrit, c’est-à-dire ? » : on le remarque notamment par l’emploi du « on », impersonnel.
« Des fois c’est pas évident, ça je l’avoue » : cela vient contrebalancer les expressions « c’est simple », « pour moi c’était facile ». Cela est de l’ordre d’un aveu, donc un mécanisme de défense semble à l’œuvre quand elle s’exclame : « c’est simple ».
« C’était pas méchant » : Ma a dû avoir une réaction d’angoisse lorsque je lui ai présenté l’exercice, ce qu’on peut recouper avec l’idée que celui-ci évoque une situation scolaire, avec un maître et des exercices à faire.
70 M : hum, hum, vous parlez du deuxième exercice là
71 Ma : je parle en gros de les deux
72 M : ah d’accord, en gros des deux, parce que là on essaie de voir le premier plutôt, on essaie de voir le premier plutôt, de se pencher sur le premier, comment vous avez fait, donc en fait, si je comprends bien, euh vous avez commencé par observer les mots en caractère gras
73 Ma : voilà
74 M : ceux qui sont écrits plus gros
75 Ma : oui
76 M : hein, et vous vous êtes dit : « ça c’est les trois villes les plus importantes »
77 Ma : c’est vrai
78 M : parce qu’ils sont en caractère gras
79 Ma : hum, hum
80 M : hein, voilà comment vous avez fait pour le premier exercice
81 Ma : voilà
J’essaie de recadrer l’échange : nous parlons du premier exercice.
Je récapitule une partie de sa procédure pour parvenir au résultat du premier exercice. Cette récapitulation aurait gagné à être enrichie davantage.
82 M : et maintenant on va se centrer sur le deuxième exercice, donc je vous propose de revenir, si vous en êtes d’accord, au deuxième exercice, au moment où on vous demande de repérer le trajet Rennes – Brest
83 Ma : oui
84 M : hein, comment vous avez fait, vous retrouvez bien la situation ?
85 Ma : oui
86 M : comment vous avez fait pour euh trouver l’itinéraire Rennes – Brest ?
87 Ma : bé c’est simple, j’ai commencé par voir, en commençant par le haut, parce que les deux routes elles y mènent, mais le seul truc qu’est, qu’est le plus long, c’est en partant par le haut parce que y’a plus de villes et y’aura certainement plus de bouchons ou shai pas quoi dans cet itinéraire là que l’autre côté
88 M : hum, hum
89 Ma : pour moi l’itinéraire le plus court bah c’est en bas, en passant par euh, ce que j’ai noté, donc euh pour moi c’était facile cet exercice
90 M : hum, hum
Ma ne répond pas directement à ma question, mais plutôt à la question présente dans la consigne : « quel est l’itinéraire le plus long ? », peut-être pour avoir une réponse de ma part quant à la solution.
91 Ma : c’est comme si j’étais à l’école
92 M : hum, hum, ça vous fait penser à une situation d’école
93 Ma : voilà
94 M : hum, hum, et ça vous fait quoi de penser à une situation d’école ?
95 Ma : ça me fait rien du tout, moi pour moi, c’est comme si on m’avait demandé un exercice à faire, que je l’ai re, que je l’ai fait et y’a plus qu’à vérifier, donc maintenant, c’est comme si je me remettais dans quelque chose et que bah fallait que je le fasse, donc euh on suit quelque chose de très précis
Suite aux propos de Ma, je décide de sortir du cadre de l’EdE pour explorer plus avant ses représentations sur l’école.
Ma revient sur l’analogie qu’elle fait entre cette situation d’exercice et la situation d’école. « ça ne me fait rien du tout » -> ici entrerait en jeu le mécanisme de défense de dénégation ; le « rien » cache en réalité une souffrance scolaire passée (peut-être interroger Ma sur son vécu scolaire) – elle a été orientée en SEGPA.
Elle insiste également sur le caractère contraignant de l’exercice : « fallait que je le fasse ».
« Y’a plus qu’à vérifier » : encore une fois surgit l’angoisse de l’erreur que j’aurais dû prendre en compte.
96 M : d’accord, et comment vous avez fait pour repérer le premier itinéraire, celui qui passait par le haut ? Comment vous avez fait pour le repérer ?
97 Ma : bah c’est simple, il suffit de regarder Rennes, de regarder Brest où est-ce qu’il t’ait, de commencer à écrire les villes, le, le départ, et après en notant toutes les villes qui correspondent pour arriver à Brest et ça c’est le trajet le plus long donc euh [silence] et on mettra plus de temps
98 M : comment vous avez fait pour repérer l’autre trajet ?
99 Ma : et ben, il suffisait de bien regarder, on notait, j’ai noté la ville, les autres villes qui suivaient et Brest [Ma fait des gestes sur la table, pour montrer le trajet], ce qui paraît plus logique et plus court, y’aura certainement des, comment dire, des lieux-dits ou des agglomérations donc euh des villes où est-ce qu’on entre en agglomération avant d’aller à Brest
C’est en écrivant les villes et en regardant la position respective de Rennes et de Brest que Ma a pu déterminer le premier trajet Rennes – Brest. Ma exprime une information satellite de l’action : le déclaratif, à travers des savoirs réglementaires : il y aura certainement des lieux-dits, des agglomérations avant d’entrer à Brest.
A noter : le passage (furtif) du « on » au « je ».
100 Ma : et ça ces trucs là, c’est ce qui nous demandent des fois, c’est rare, au code
101 M : ah oui
102 Ma : moi je mémorise bien tout ça, bon bah hier soir je me suis remise un peu dans mon code et je mémorise tout ça que le soir, donc avant de me coucher et c’est pareil pour ça, c’est comme si je prenais un itinéraire pour aller à tel endroit, je note toutes les villes importantes, je les affiche dans mon, dans la voiture, je sais à quelle grosse ville je dois passer, à quel endroit et par où passer, donc pour moi c’est, c’est vite fait, donc faut bien regarder par où faut passer pour y aller, donc euh c’est tout simple
Ma fait une nouvelle digression qui montre l’importance du code dans sa vie. Est-ce que ces situations de code lui rappellent l’école également ? A travers les expressions : « c’est tout simple », « c’était facile comme exercice », veut-elle me prouver qu’elle peut réussir alors qu’elle est en situation difficile (enfants placés, difficultés d’apprentissage du lire-écrire) ?
103 M : hum, d’accord, et quand vous avez fait les deux itinéraires, qu’est-ce qui vous venait dans votre tête, est-ce qu’y avait des images qui vous venaient, des images des villes, des lettres, ou des sons qui vous venaient dans votre tête ?
104 Ma : non pour moi c’est ni des sons ni des, ni les villes, pour moi c’étaient des itinéraires qui fallait prendre pour aller à cet endroit donc euh
105 M : mais admettons quand vous avez vu le mot euh : « Rennes »
106 Ma : oui
107 M : hein vous l’avez observé, quand est-ce que vous l’avez observé le mot : « Rennes » ?
108 Ma : tout de suite
109 M : tout de suite
110 Ma : ah oui, oui, quand y’a eu la question de retrouver quel itinéraire doit prendre entre Rennes et Brest et qu’ils marquent le chemin le plus court, l’itinéraire le plus court j’ai tout de suite tilté donc euh, j’ai tout de suite vu que fallait partir de Rennes et regarder l’itinéraire le plus court que j’ai trouvé après, donc j’ai bien vu que en prenant l’itinéraire en haut c’était plus long et en prenant l’itinéraire en bas c’était plus court
111 M : hum, hum, et quand vous avez vu le mot : « Rennes », est-ce qu’il y a une image qui est venue dans votre tête, l’image du mot « Rennes »
112 Ma : non
113 M : ou est-ce que vous vous êtes prononcé le mot « Rennes » dans votre tête ?
114 Ma : j’me suis plutôt prononcé le mot « Rennes » dans ma tête, mais quand j’ai vu le mot « Rennes », je sais, je savais à quoi m’en tenir
115 M : c’est-à-dire vous saviez à quoi vous en tenir ?
116 Ma : par rapport à l’itinéraire qui fallait prendre en partant de Rennes
117 M : hum, hum
118 Ma : c’est simple : l’itinéraire c’était Rennes – Brest, donc c’était tout simple, il fallait que je trouve le plus court, et j’ai tout de suite commencé par le plus long pour voir où est-ce que ça allait me donne, m’amener et par quelles villes fallait que je passe pour y arriver, et en passant par le plus court c’était plus simple, donc on verra bien si j’ai bon, j’ai bon
J’essaie de réintroduire les modalités visuelles et auditives / verbales dans mon questionnement. Ma n’a pas l’air de bien comprendre la question ; elle n’est pas non plus dans une posture évocative.
J’essaie alors d’introduire ce questionnement à partir d’une situation plus simple : que s’est-il passé dans sa tête quand elle a observé le mot « Rennes » ? D’emblée, elle fait une digression que j’accepte (j’aurais dû la recadrer). Suite à cette digression, je repose ma question : elle répond qu’elle s’est plutôt prononcé le mot « Rennes », mais elle digresse très vite. Le nœud du questionnement n’est pas là pour elle, dans l’image ou dans le son mais dans le quoi. D’où peut-être un certain agacement quand elle me réexplique la consigne et la manière dont elle a procédé face à cette consigne : « c’est simple : l’itinéraire c’était Rennes – Brest… ». J’ai la sensation de deux discours en parallèle : un sur le comment, un autre sur le quoi.
119 M : oui ça c’est pas très important
120 Ma : non
J’aurais dû faire davantage attention au statut de l’erreur dans cette tâche et l’entretien qui suivait.
121 M : alors comment vous saviez lequel était le plus long et lequel était le plus court ?
122 Ma : alors déjà j’ai bien regardé mais j’ai préféré vérifier par moi-même, donc euh, je savais que c’était en bas le plus court mais j’ai préféré vérifier et en être sûre
123 M : hum, hum
124 Ma : être sûre de moi que c’était l’itinéraire le plus court et l’autre le plus long, donc moi j’ai vérifié par moi-même et j’en ai obtenu un résultat
125 M : alors comment vous avez vérifié Ma ?
126 Ma : bah c’est simple, il suffit de prendre Rennes, Brest et de prolonger les villes les plus importants ou alors d’aller par le plus court si c’était tout un itinéraire à noter, c’est comme si je partais quelque part en notant les villes
127 M : vous vous êtes retrouvée dans la situation de quelqu’un qui allait partir quelque part ?
128 Ma : voilà et notait toutes les villes avant d’y aller, qui prévoyait, comme si il partait en vacances, donc euh, pour moi c’était ça
Ma est toujours centrée sur la sphère déclarative (Cf. « il suffit »). Mais je ne la place pas en évocation de la situation.
Notons l’intéressante analogie avec « la situation de quelqu’un qui allait partir quelque part ».
129 M : et comment vous saviez que l’itinéraire du bas était le plus court ?
130 Ma : bah c’est simple y’a pas beaucoup de villes et pour moi l’itinéraire du bas c’était euh de Rennes à Brest eh ben y’avait quoi : deux villes ? Et tandis que pour aller de Rennes à Brest par le haut, y’en avait plus, donc euh, pour moi c’était tout simple
C’est au nombre de villes traversées que Ma déduit la longueur de l’itinéraire.
131 M : d’accord, et puis à un moment donné vous avez écrit sur la feuille des noms de ville
132 Ma : oui
133 M : sur cette feuille blanche avec le crayon euh, vous retrouvez bien la situation euh
134 Ma : hum, oui, oui
135 M : euh comment vous avez fait pour écrire les noms des villes ?
136 Ma : bah, comment j’ai fait ?
137 M : oui
138 Ma : c’est simple, il suffit de, de bien regarder d’où on part, par où on part, on passe et où est-ce qu’on va aller, où est-ce qu’on va aller, par exemple si c’est Rennes-Brest, de Rennes on note toutes les villes qui, qui y’a sur la carte
J’essaie de placer Ma en situation d’évocation en lui faisant retrouver un moment particulier. Mon questionnement induit une réponse déroutante, centrée non sur le comment, mais sur le quoi (sphère, encore une fois, des savoirs déclaratifs). Ma n’est pas dans un moment spécifié, mais généralise (Cf. « par exemple »).
139 M : mais comment vous faisiez justement pour noter : « Rennes » par exemple, le mot « Rennes », comment vous avez fait pour le noter sur la feuille ?
140 Ma : c’est simple, c’est tout simple, donc euh pour moi Rennes c’est euh, c’est, c’est, c’est tout simple c’est peut-être plusieurs lettres
141 M : oui plusieurs lettres oui
142 Ma : mais c’est un mot simple
143 M : c’est un mot simple
144 Ma : ah oui, oui, y’a peut-être des consonnes, des voyelles mais euh moi ce que je regarde c’est d’où je pars, je note la ville, je suis le trajet qui m’est convenu pour arriver à Brest bien éventuellement [silence]
Ici, Ma reste prisonnière de son jugement et ne peut accéder à l’action. J’aurais dû lui poser la question : « comment vous savez que c’est un mot simple ? ». Ensuite, une nouvelle digression apparaît.
145 M : d’accord, donc si on résume un petit peu, dans ce deuxième exercice, vous avez commencé par regarder euh Rennes, vous avez tout de suite su quel était l’itinéraire le plus long et quel était l’itinéraire le plus court et vous avez préféré commencer par le plus long
146 Ma : voilà
147 M : et noter les villes les unes après les autres comme si vous étiez dans la situation de partir en vacances euh de partir en voyage euh vous avez noté les noms des, des villes directement hein, pour vous c’était simple, « Rennes » c’est un mot simple hein, donc vous avez noté le nom des villes et puis après vous avez fait la même chose pour l’itinéraire le plus court, et vous saviez que c’était l’itinéraire le plus court parce que y’avait moins de villes, moins d’agglomérations, hein, voilà
148 Ma : c’est exact
149 M : alors est-ce que vous avez d’autres choses à rajouter euh Ma par rapport à cet exercice ?
150 Ma : non
151 M : qu’on n’aurait pas abordées ?
152 Ma : non bah y’a rien de très concret donc euh, moi je pense avoir raison
153 M : d’accord
154 Ma : on verra bien
155 M : très bien, sachant que le but de l’entretien c’est pas de se dire est-ce qu’on a raison ou est-ce qu’on a tort, le but c’est de savoir comment on s’y est pris, le but c’est pas de voir si y’a une bonne réponse ou une mauvaise réponse, ça on s’en moque un petit peu, de la bonne et de la mauvaise réponse
156 Ma : oui
157 M : hein le but c’est de voir comment on a fait, hein d’accord ?
158 Ma : d’accord
159 M : on s’en tient là Ma ?
160 Ma : on s’en tient là
161 M : voilà
Je récapitule pour clore l’entretien.
On peut relire l’entretien à la lueur de l’expression : « moi je pense avoir raison », comme si Ma avait voulu tout au long de l’entretien me prouver qu’elle n’avait pas commis d’erreur. Mon couplet sur le statut de l’erreur vient un peu tard…