Annexe 37 : Entretien d’explicitation n°3 – Martine

Dispositif : enquête

Date de l’entretien : 14/04/06

Durée : un peu moins de 30 minutes

Lieu : P

Exercice : Fiche lecture n°44 : « Lire avec un grand angle », exercice 1 : 6 listes comportant chacune 8 mots sont présentées. Il s’agit, pour chaque liste, de lire les mots rapidement en faisant glisser le regard le long du trait. Chaque mot doit être saisi en un seul coup d’œil. Il faut repérer l’intrus dans chaque liste.

Transcription :

Conventions :

M : moi, l’interviewer

Ma : Martine, l’interviewée

Discours Analyse
1 M : voilà donc on fait cet entretien euh Ma pour que, donc vous venez de faire un exercice de lecture
2 Ma : hum, hum
3 M : hein, et le but de cet entretien c’est que vous compreniez mieux comment vous avez fait pour euh résoudre l’exercice
4 Ma : d’accord
5 M : pis moi ça va me permettre de mieux vous comprendre
6 Ma : hum, hum
7 M : et peut-être que à travers ça, vous réussirez mieux d’autres exercices de lecture
8 Ma : hum, hum
9 M : semblables ou un peu différents
10 Ma : d’accord
11 M : hein, et puis, pour l’instant on ne se préoccupe pas des erreurs
12 Ma : hum, hum
13 M : c’est pas ça qui est important, ce qui est important, c’est comment vous avez fait pour euh résoudre l’exercice
14 Ma : hum, hum
15 M : hein ?
16 Ma : d’accord
17 M : d’accord ?
Je donne à Ma le sens de l’entretien. Il s’agit qu’elle comprenne les procédures qui l’ont amenée au résultat final. Il s’agit également qu’elle réussisse mieux d’autres exercices de lecture ; cela signifie-t-il qu’elle a moins bien réussi l’exercice qu’elle vient de réaliser ? J’insiste, enfin, sur le fait qu’on ne se préoccupe pas des erreurs : je ne l’avais mentionné que tardivement lors du premier entretien d’explicitation.
18 M : donc je vous propose Ma de revenir à un moment de l’exercice
19 Ma : oui
20 M : au moment où on vous demandait de balayer du regard la liste de mots
21 Ma : hum, hum
22 M : et on vous demandait de saisir en un seul coup d’œil chaque mot
23 Ma : oui
24 M : hein ? euh donc vous étiez assise là, vous aviez la fiche qu’était là, euh vous aviez des mots d’inscrits sur la fiche
25 Ma : hum, hum
26 M : vous retrouvez bien cette situation ?
27 Ma : oui
28 M : alors laissez revenir euh un mot de, de l’exercice
29 Ma : hum, hum, donc déjà
30 M : quel mot vous revient ?
31 Ma : bah le plus c’est euh tout ce qui comporte les transports en commun, la voiture, euh, tout ce qui est, tout ce qui vole, tout ce qui va sur la route euh
32 M : alors je vous propose de me dire un mot précis que vous avez retenu
33 Ma : alors euh « autocar »
34 M : « autocar » d’accord, alors comment vous avez fait pour saisir ce mot en un seul coup d’œil ?
35 Ma : alors c’est, c’est très simple euh, c’est qu’une question de logique, faut bien, faut bien regarder cette liste-là, et puis il suffit qu’on trouve le mot que je vous ai parlé qui est « autocar » qui correspond à la liste qu’y avait euh, et pour moi c’est, c’était, c’était facile mais euh la dernière liste était plus difficile
J’oriente Ma vers un moment spécifié, en m’efforçant de la placer dans une posture d’évocation.
Quand je lui demande quel mot elle a retenu, elle cite des catégories génériques : « les transports en commun » et non un mot précis. Elle se remémore néanmoins un mot en particulier : « autocar ».
Puis je la questionne sur la manière dont elle a procédé pour saisir ce mot en un seul coup d’œil. On notera la présence du « il faut ». Intervient également un jugement concernant la facilité ou la difficulté des listes de mots.
36 M : alors comment vous saviez que c’était facile ?
37 Ma : parce que j’ai, c’est comme euh une question de logique, d’attention euh c’est euh, c’est une question de, de comprendre le texte et de deviner pourquoi ils nous disent euh de trouver l’intrus
38 M : hum, hum
39 Ma : mais y’a certains trucs des fois c’est pas évident donc là j’ai su trouver le mot qui correspondait, qui n’allait pas euh pour moi ça a été assez, assez bien
40 M : d’accord
J’essaie de contourner les jugements précédents, mais ceux-ci reviennent dans la réponse de Ma.
41 M : alors je vous propose de revenir sur le mot « autocar »
42 Ma : oui
43 M : Ma, si vous en êtes d’accord
44 Ma : hum
45 M : et de voir comment vous avez fait pour le lire ce mot
46 Ma : comment j’ai fait pour le lire ? bah euh, pour moi ce mot-là veut dire « transports en commun » euh ça va sur la route et je sais que euh ça correspondait comme si on était à l’auto-école des trucs comme ça donc euh, en tous cas, des fois y’a des questions sur les autocars, quand ils sont à l’arrêt de quel côté est le clignotant donc moi je sais que ça correspond à, à des listes qu’étaient euh un peu plus par rapport à la route
47 M : hum, hum
48 Ma : par rapport à l’arrêt et franchement pour moi ça été facile
49 M : hum
J’oriente Ma vers la manière dont elle a fait pour lire le mot « autocar ». Une digression apparaît très vite : elle fait le parallèle avec l’auto-école, situation qu’elle vit présentement, et les questions de l’examen du code de la route. Un jugement réapparaît en fin de réponse.
Quand elle dit : « ça été facile », veut-elle parler de la lecture du mot (ce qui correspond à ma question), ou bien de la recherche d’intrus dans les listes ?
50 M : alors si je vous dis le mot « autocar », est-ce que ça vous fait dans votre tête une image ou ça vous fait un son ?
51 Ma : pour moi c’est, c’est comme une image, je vois à peu près, je vois qu’est-ce que c’est un autocar, déjà quand on se met dans, dans la tête ce que, on voit l’image de l’autocar, on sait un peu comment il est et qu’est-ce qu’il a à l’intérieur, des trucs comme ça donc euh
52 M : hum, hum, donc c’est une image
53 Ma : voilà
54 M : hein, et vous voyez l’autocar
55 Ma : hum, hum
56 M : d’accord
Ma répond sans détours à ma question : elle voit plutôt l’image de l’autocar. On notera, dans la réponse de Ma, le passage du « je » au « on ».
57 M : et comment vous avez fait pour lire le mot « autocar » ?
58 Ma : bah c’est en regardant la liste
59 M : oui
60 Ma : que j’ai vu le mot « autocar » euh qui est très bien, qui est bien, qui est écrit correctement, y’a pas de, de, comment dire, de fautes ni quoi que ce soit donc euh, pour moi c’est quelque chose qu’est bien quoi
61 M : qu’est bien, et comment vous savez que c’est bien ?
62 Ma : euh parce que en fait, l’autocar c’est, c’est, pff, comment dire euh, c’est un, c’est un véhicule qui peuvent, qui peuvent transporter des personnes euh, les emmener par exemple en bord de mer euh, tout en groupe, et ça c’est, c’est quelque chose qui est euh très facile à, à comprendre
63 M : hum, hum
64 Ma : donc euh
65 M : pour vous c’est un mot simple à comprendre
66 Ma : voilà
67 M : « autocar »
68 Ma : oui
69 M : hum, hum
70 Ma : donc c’est facile à comprendre, et pis au moins on sait à quoi il sert
71 M : hum, hum [silence] donc vous avez lu le mot « autocar »
72 Ma : oui
73 M : qu’était un mot facile pour vous
74 Ma : oui, oui, oui, et euh y’a aussi « hôtesse de l’air » bah euh, c’est ce qui correspond aux avions, donc c’est une personne qui, qui, qui demande aux passagers s’ils veulent boire quelque chose ou si, par exemple ils dorment les passagers, bah elle leur met une couverture sur eux, des trucs comme ça, donc euh
75 M : hum, hum
76 Ma : ça c’est bien des [inaudible] comme ça, pis au moins on sait qu’est-ce qu’on va trouver et qu’est-ce qu’on va pas trouver
77 M : hum, hum
Après cette incursion dans le domaine des images et des sons, je repose la même question qu’auparavant : « comment avez-vous fait pour lire le mot « autocar » ? ».
Pour répondre à ma question, Ma a besoin de passer par le sens du mot « autocar », ce qui donne l’impression d’une digression.
« autocar » est un mot simple à comprendre pour Ma. Sa signification lui est accessible.
Puis Ma évoque les mots « hôtesse de l’air » qui figurent dans la liste D. Il s’agit de mots simples pour Ma ; elle en donne d’ailleurs une définition.
78 M : et quel mot était difficile pour vous euh Ma ?
79 Ma : quel mot était difficile ?
80 M : dans ces listes ?
81 Ma : euh, pour moi, euh le seul qu’était plus difficile que j’ai pas trop, trop saisi, c’est « autodrome »
82 M : « autodrome », d’accord
83 Ma : à mon avis ça peut correspondre à la voiture de cheval
84 M : hum, hum
85 Ma : que autre, moi c’est ce que je vois, parce que j’ai jamais vu ce, ce mot-là, c’est la première fois que je le voyais
86 M : alors « autodrome », quand je vous dis « autodrome » ça vous fait une image ou ça vous fait un son
87 Ma : pour moi euh, ça me fait plutôt un son, voir plus aussi une image, mais je pense plus à un cheval qui transporte dans, dans la remorque arrière
88 M : hum, hum, hum, hum
89 Ma : je pense que ça doit être ça « autodrome », ça peut transporter un cheval dedans je pense
90 M : d’accord
91 Ma : donc euh
92 M : donc ça vous fait un son
Ma a besoin de donner sens aux mots, d’autant que le mot qu’elle évoque – « autodrome » - était difficile à saisir pour elle. On notera une possible confusion entre « autodrome » et « hippodrome ».
Quand je lui demande si elle voit plus une image ou elle entend plus un son, elle répond rapidement à la question et revient sur le sens du mot « autodrome » ; elle semble d’ailleurs préoccupée par la bonne réponse, en témoignent les nombreux : « je pense ».
93 M : et comment vous avez fait pour lire ce mot euh, Ma ?
94 Ma : comment j’ai fait ? bah c’est simple euh, dans la dernière liste, j’ai bien regardé, bien lu euh j’ai compris que ça tournait aux alentours de euh, de la voiture euh, et puis euh ça tournait aussi, à ceux qui prennent des passagers euh qui font du stop ou des trucs comme ça donc je pense que cette liste-là je l’ai bien comprise, bien lue et j’ai bien regardé quand même si je faisais pas d’erreurs ni quoi que ce soit mais bon, j’ai quand même un doute euh que je me suis trompée ou des trucs comme ça, donc euh je sais pas
95 M : hum, hum
96 Ma : mais sinon j’arrive bien à comprendre le sens des mots euh, c’est une question de logique
97 M : hum, hum, mais encore une fois on ne s’occupe pas des erreurs, hein euh
98 Ma : hum, hum
99 M : ce qui nous importe, c’est comment vous avez fait, hein
100 Ma : hum, hum
Ma ne répond pas directement à ma question. Elle revient sur le sens de la dernière liste de mots, puis fait intervenir un jugement : « je pense que cette liste-là je l’ai bien comprise ». On voit poindre une centration sur la bonne ou la mauvaise réponse, ce que je tente de désamorcer en rappelant qu’on ne s’occupe pas des erreurs, mais des procédures qui ont conduit au résultat.
101 M : et là je vous posais la question « comment vous avez fait pour lire le mot » en fait, hein
102 Ma : bah franchement quand on, on est à l’école depuis longtemps, quand on a été à l’école depuis assez longtemps, on sait quand même euh lire tout ce qui est mot, complément et tout ce qui s’ensuit euh, franchement on arrive à lire correctement les mots qui, qui sont dans la liste
103 M : hum, hum
104 Ma : et pour moi, c’est rien que des mots de, des, des listes de mots dont y’a un intrus, et ça je l’avait déjà fait à l’école donc euh
105 M : hum, hum
106 Ma : pour moi ça a été facile, donc euh, c’est, c’est vraiment simple comme tout et ça a beaucoup de choses qui veulent comprendre, qui veulent comprendre des objets ou des trucs comme ça donc je pense que j’ai bien, bien saisi les colonnes, les mots, et j’ai défini, j’ai enlevé l’intrus donc euh je pense que
107 M : hum, hum, hum, hum, d’accord
Après cette mise au point, je repose ma question : « comment vous avez fait pour lire le mot ? ». Elle répond d’une voix forte, avec un ton d’agacement, que quand on a été à l’école, on est capable de lire correctement les mots. A-t-elle compris, à travers ma question, que je la sous-estimait ?
L’exercice a ramené Ma à une situation déjà vécue à l’école (ce qui explique d’ailleurs pourquoi je consacrerai un entretien au vécu de la scolarité). De nouveau, elle fait intervenir un jugement : « ça a été facile […] c’est vraiment simple comme tout ».
108 M : alors justement, je vous propose maintenant de, si vous en êtes d’accord Ma, de revenir à un moment de l’exercice
109 Ma : oui
110 M : où on vous disait qu’il y avait un intrus dans chaque liste
111 Ma : oui
112 M : hein, est-ce que vous vous souvenez d’un, d’un intrus ?
113 Ma : je me souviens d’un intrus ? bah déjà dans la liste A, y’a « fauteuil », dans la liste B, y’a « corbeau », euh, dans la liste C euh [silence] euh je sais plus, je sais dans la liste B y’a « corbeau » donc euh ce qui n’est qu’un oiseau qui vole quoi euh
114 M : hum, hum
115 Ma : donc ça rien à voir dans la liste B euh tss, tss, tss [silence] [d’une voix basse] je réfléchis euh déjà euh, il y a dans la liste euh, comment dire euh, la dernière liste euh c’était euh, ah je sais plus euh [silence] « autographe » à la dernière liste
116 M : hum, hum
117 Ma : donc pour moi c’est quelqu’un qui demande un autographe à une personne connue, comme, tel un acteur
118 M : hum, hum
119 Ma : ou une chanteuse ça dépend [d’une voix basse] euh dans la liste euh [silence] dans la liste euh [silence] je cherche euh, non y’a que ces trois mots-là que j’ai pu retenir euh de ces listes
120 M : hum, hum, d’accord, ouais, donc vous avez bien retrouvé ces trois mots-là
121 Ma : hum, hum
122 M : hein euh
123 Ma : dans chacune des listes
J’incite Ma à se mettre dans une posture d’évocation en lui faisant rappeler un intrus. Je note que le son de sa voix diminue, que les silences apparaissent. Elle parvient à rappeler les intrus « fauteuil » (liste A), « corbeau » (liste B) et « autographe » (dernière liste). Concernant les mots « corbeau » et « autographe », elle en donne une définition.
124 M : prenons le mot « corbeau » par exemple
125 Ma : hum
126 M : comment vous avez su que c’était un intrus euh ce mot ?
127 Ma : bah j’ai, quand j’ai vu ce qu’ils mettaient dans cette liste-là, j’ai, ce mot-là n’a rien à voir avec des trucs euh de transport en commun, des avions, des trains ni quoi que ce soit, donc ça n’a rien à voir du tout euh pour moi c’est un oiseau, c’est un animal
128 M : hum, hum
129 Ma : et pour moi c’est un animal qui vole, qui va dans les airs, d’accord, mais dans la liste où est-ce que j’ai vu ça, euh ça correspond pas du tout à ce qu’ils y avaient mis
130 M : hum, hum
131 Ma : franchement euh, pour moi c’est l’intrus hein, « corbeau » euh, pour moi c’est un oiseau qui vole euh dans les airs, qui se perche sur les toits ou sur les fils euh
132 M : hum, hum
133 Ma : ça c’est un mot qui ne correspond pas du tout à cette, à la liste que je vous ai dit
134 M : hum, hum [silence]
Ma explique que le mot « corbeau », qui désigne un oiseau, ne correspondait pas aux autres mots de la liste qui renvoyaient à des transports en commun. Elle insiste sur la définition du mot « corbeau ».
135 M : et euh « autographe », comment vous avez su euh que c’était un mot qu’était intrus dans la liste ?
Ma : bah c’est simple déjà dans tout ce que ils ont mis dans cette liste-là, euh des fois ça parlait de voiture, ça parlait de, de personnes qui faisaient du stop euh ça parlait de euh, de quelque chose qui roule quoi euh et euh, autographe euh ça a rien de très spécial mais euh comme je vous ai dit tout à l’heure c’est une personne qui demande un autographe à un acteur connu euh pour dire euh, pour définir que bah voilà moi je suis connu et je voudrais un autographe à mon nom ou au nom de quelqu’un euh, pour moi « autographe » ça rien à voir avec la liste qui a été demandée, donc pour moi ça a été facile
136 M : hum, hum
137 Ma : au départ, j’ai hésité, mais je me suis dit : « autodrome, c’est plus pour transporter les chevaux », donc je me suis dit : « autographe n’a rien à voir avec ce qu’y a » donc euh, mais je me suis posé des fois, je me suis posé la question « est-ce que ce mot-là ne [inaudible] très spécial par rapport aux autres, ce qu’ils ont eu, ce qu’ils avaient mis
138 M : hum, hum
139 Ma : mais sinon euh j’ai bien su répondre euh à ces listes et on verra après ce que cela donnera
140 M : hum, hum, hum, hum, d’accord, donc en fait le mot intrus ne correspondait pas aux autres mots ?
141 Ma : hum, hum, bah oui, oui, oui, c’est ça
142 M : c’est ça ?
143 Ma : oui, oui
144 M : hein
145 Ma : en fait, faut bien lire la liste, regarder s’il le faut, deux ou trois fois, pour bien répondre
146 M : hum, hum
147 Ma : donc je pense que j’ai bien répondu et on verra
148 M : d’accord
Afin de répondre à ma question, Ma commence par ressortir la catégorie générique correspondant aux mots de la liste, en déclinant des exemples (« ça parlait de voiture […] de personnes qui faisaient du stop ») ; puis elle définit le mot « autographe », en disant qu’il n’a rien à voir avec la liste des autres mots. Elle décrit son cheminement de pensée : ainsi, au départ, elle a hésité entre « autographe » et « autodrome ». Puis elle se centre sur le résultat : « on verra après ce que cela donnera ».
149 M : alors je vous propose Ma de revenir, si ça vous convient, à un moment de l’exercice, un petit peu avant, où on vous demandait de suivre euh le trait avec les yeux euh, donc vous aviez la fiche qu’était là, y’avait des listes de mots avec des traits qui coupaient les mots par le milieu
150 Ma : hum, hum
151 M : hein, euh, comment vous avez fait pour faire glisser votre regard le long du trait ?
152 Ma : bah moi franchement comment j’ai fait euh, j’ai bien regardé et euh quand on m’a dit de faire ça, bon bah je l’ai fait et euh pour moi c’est, c’est au moins euh en faisant mot par mot
153 M : vous avez fait ça mot par mot ?
154 Ma : oui, oui
155 M : hum
156 Ma : et comme y’a le trait au milieu, ça veut dire qu’il faut suivre du début à la fin de chaque colonne et trouver bien sûr l’intrus
157 M : hum, hum, hum, hum
158 Ma : oui c’était facile
159 M : c’était facile
160 Ma : oui
161 M : et comment vous saviez que c’était facile euh Ma ?
162 Ma : comment je savais ? bah c’est simple euh, quand on regarde bien au départ la liste, on se dit ça c’est pas possible, ça ne correspond pas, y’a toujours un point où est-ce qu’on peut toujours trouver un intrus ou quelque chose qui va pas bien avec ce qu’y a dans la liste
163 M : hum, hum
164 Ma : donc pour moi c’était facile, et le trait noir ça, c’est pratique pour certaines, certaines personnes pour euh se guider par rapport euh à ce qu’y a comme mot
165 M : hum, hum, ça vous a aidée le trait ?
166 Ma : non, moi je sais lire donc euh y’a pas de souci, donc moi c’est plus les mots qui, que j’ai lus, le trait j’y ai pas prêté attention, donc euh
167 M : hum, hum
168 Ma : c’est plus les mots
Ma question se heurte vite à un point de butée, celui des connaissances en acte : « quand on m’a dit de faire ça, bon bah je l’ai fait ».
Un jugement intervient : « c’était facile », que j’essaie de contourner. Apparaît alors une généralisation, à travers l’emploi du « on ».
Le trait séparant les mots en leur milieu n’a pas aidé Ma dans la mesure où elle sait lire ; ce trait peut aider certaines personnes qui ont davantage de difficulté à lire.
169 M : alors vous disiez « je, je sais lire », qu’est-ce que c’est que lire pour vous ?
170 Ma : moi, qu’est-ce que c’est lire pour moi ? bah déjà d’avoir été au moins à l’école pour lire, pour des fois pour certaines personnes ils ont jamais été à l’école donc c’est, c’est un point euh qui est très important pour certaines personnes de savoir lire, et puis euh au moins avec ça on peut faire des, des, on peut écrire un texte, on peut écrire beaucoup de choses
171 M : hum, hum
172 Ma : pour moi lire c’est ça, c’est bien lire, par exemple shai pas moi, si y’en a qui ont pas encore appris euh, qui débutent euh sur des livres comme euh, shai pas moi, je vais prendre un exemple du livre de mon fils
173 M : hum, hum
174 Ma : par exemple euh Gafi c’est un fantôme et ça c’est très bien à lire euh, à lire correctement et pis euh, petit à petit y’a du grand texte et après, ça va tout seul après
175 M : hum, hum
176 Ma : mais ce qu’est bien pour les personnes euh, moi j’ai commencé avec euh un livre, c’est euh, oh ça date vraiment, c’est « Béatrice, son papa et sa maman » donc euh je connais bien ce livre-là donc euh et euh franchement ces livres-là aussi sont bien pour apprendre à lire, à écrire
177 M : hum, hum
178 Ma : et franchement euh, j’avais débuté avec ce livre-là et pour moi c’était bien
179 M : hum, hum
180 Ma : c’est pratique
181 M : hum, hum
Quand je demande à Ma ce qu’est lire pour elle, cette question la ramène à un vécu scolaire, celui de son fils, tout d’abord, à travers son manuel de lecture, le sien ensuite, dont elle rappelle le titre. Elle ne répond pas comme je l’aurais souhaité à ma question, elle fait plutôt une digression. Avoir été à l’école lui a permis d’apprendre à lire ; elle mesure toutes les conséquences de cet apprentissage dans la vie de tous les jours.
182 M : alors on va prendre un exemple de mot qu’on pourrait lire
183 Ma : oui
184 M : comme le mot « autodrome »
185 Ma : oui
186 M : qu’est-ce que c’est pour vous que lire le mot « autodrome » ?
187 Ma : bah voilà, le mot « autodrome », qu’est-ce que lire ce mot-là ? bah déjà faut euh, faut faire déjà par syllabes
188 M : hum, hum
189 Ma : donc euh pour moi euh, par rapport à ça faut bien regarder les lettres, faut faire par les syllabes et après le lire en entier
190 M : hum, hum
191 Ma : donc faut bien le comprendre pour de, pour savoir ce que c’est, donc euh, et ça je, j’avoue que mon petit garçon V c’est ce qu’il le fait
192 M : hum, hum, donc faut regarder les lettres, les syllabes
193 Ma : hum, hum
194 M : et puis faire le mot et comprendre le mot
195 Ma : exactement
196 M : c’est comme ça que vous faites ?
197 Ma : pour moi, c’est comme ça que je fais et mon fils lui c’est par euh, par euh, il fait euh lettres, il regarde les lettres, il essaie de composer par syllabes et après il essaie de le lire en entier le mot
198 M : hum, hum
A travers l’utilisation du terme « syllabe », Ma montre qu’elle maîtrise un certain métalangage relatif à la langue.
La description des procédures à l’œuvre pour lire le mot « autodrome » montre que Ma fait appel à une procédure d’assemblage (d’abord les lettres, puis les syllabes, puis le mot en entier, enfin la compréhension du mot).
199 Ma : et c’est très bien qui, c’est bien quand même d’apprendre à lire dans certains, dans certaines conditions
200 M : hum, hum
201 Ma : donc c’est quand même un début de faire tout ça
202 M : hum, hum
203 Ma : donc c’est beaucoup de choses pour certains, mais d’autres y’en a qui savent lire depuis euh, depuis l’école étant jeunes, donc euh, d’autres qui n’ont pas pu lire, d’autres qui n’ont pas appris et pour moi c’est ce qui est arrivé à ma mère
204 M : hum, hum
205 Ma : donc au départ y avait, elle avait euh quelqu’un qui savait, qu’était là pour l’aider à lire, à écrire et à compter, et du jour au lendemain, cette personne là elle est partie et euh maman, ma mère en fait n’a pas su apprendre correctement les choses, donc c’est pour ça que je remercie quand même E de l’avoir aidée à comprendre, à lire et à compter, c’est ce qu’ils ont fait et maintenant, elle s’en sort très très bien, je suis fière d’elle
206 M : hum, hum
207 Ma : c’est pour ça que maintenant pour moi E c’est vraiment quelque chose de formidable
208 M : hum, hum
209 Ma : et ça aide beaucoup, même pour le code ou quoi que ce soit, ça aide beaucoup
210 M : hum, hum
211 Ma : donc c’est vraiment super
Une nouvelle digression apparaît, à travers une généralisation : il y a ceux qui savent lire depuis l’école (l’école leur a donc appris à lire), il y a d’autres personnes qui n’ont pas pu lire, d’autres qui n’ont pas appris. L’école et son rôle apparaissent au centre des préoccupations de Ma.
Puis Ma se centre sur sa mère qui n’a pas appris à lire, puis sur l’AFB qu’elle remercie pour son rôle joué auprès de sa mère et auprès d’elle.
212 M : d’accord, donc en fait si je reprends un petit peu ce que vous avez dit Ma
213 Ma : hum
214 M : euh vous avez euh lu les mots, donc lu les mots c’est-à-dire pris les lettres puis les syllabes puis le mot en entier, puis vous avez compris le mot euh pour vous c’était facile
215 Ma : hum, hum
216 M : hein euh, le mot intrus c’est le mot qui ne correspondait pas aux autres mots dans la liste
217 Ma : hum, hum
218 M : hein, et vous n’avez pas eu besoin du trait pour vous aider parce que vous savez lire
219 Ma : exactement
220 M : hein euh, voilà, c’est ça ?
221 Ma : oui, bien sûr
222 M : oui, est-ce que vous avez autre chose à rajouter par rapport à l’exercice ?
223 Ma : pas du tout
224 M : non ?
225 Ma : non, bah tout est correct donc euh
226 M : d’accord
227 Ma : pour moi ça va
228 M : donc on s’en tient là pour aujourd’hui ?
229 Ma : oui
230 M : d’accord
Dans ma récapitulation, je reprends les propos qui m’ont intéressée par rapport à mon objectif : élucider les procédures mises en œuvre par Ma lors de la résolution de l’exercice de lecture. J’élude tous les propos connexes qui m’apparaissent comme des digressions. Ma peut penser, à travers cette récapitulation tronquée, que je ne l’ai pas entièrement écoutée.

Bilan : Les situations d’exercice de lecture puis d’entretien ramènent Ma à l’école, que ce soit l’auto-école, avec l’examen du code de la route, ou bien l’école qui apprend ou non à lire, écrire et compter. Ces situations sont très connotées affectivement puisqu’elle évoque l’apprentissage de la lecture-écriture pour son fils ou pour sa mère. Cette connotation affective apporte de nombreuses digressions, éloignant Ma de l’évocation. Une attitude plus directive de ma part aurait peut-être permis que ces digressions se manifestent moins, mais aurait renforcé la dichotomie entre les sphères cognitive (convoquée lors de l’EdE) et affective. Il s’agirait de construire un entretien dans lequel les deux sphères ne s’excluent pas mutuellement.