Annexe 39 : Entretien sur le vécu des difficultés en lecture-écriture – Yvonne

Date de l’entretien : 20/02/08

Durée : 1h20

Lieu : S

Note : les noms de personnes et de lieux ont été anonymés

Transcription :

Conventions :

C : Christelle, l’interviewer

Y : Yvonne, l’interviewée

Transcription – éléments du discours

1 C : Alors Y est-ce que vous pourriez témoigner euh autour de vos difficultés de lecture et d’écriture ?

2 Y : d’accord, alors moi je me suis trouvée [inaudible] à l’école parce que j’arrivais pas à suivre

3 C : hum, hum

4 Y : donc la maîtresse bah quand y’avait du calcul ça allait très bien parce que j’arrivais bien, mais quand il arrivait des dictées ou quelque chose comme ça « bon bah au lieu d’amuser les autres va dont à la porte de l’école », c’était la porte de la classe

5 C : hum, hum

6 Y : comme ça j’amusais plus personne

7 C : hum

8 Y : ah bah j’ai fait des fugues

9 C : bah oui

10 Y : de l’école parce que des fois j’en avais marre d’être dehors pis je revenais des fois une heure après, on m’avait appelée bah j’étais pas là, je me refaisais repunir encore, donc euh j’avais des difficultés à cause de ça, j’ai appris qu’avec une maîtresse d’école

11 C : hum, hum

12 Y : et je devais avoir 13 ans, bon bah elle, elle m’a dit : « je te mets pas au fond de la classe, je te mets à côté de mon bureau, comme ça tu feras pas rire la classe puisque tu seras devant »

13 C : hum, hum

14 Y : donc là j’ai appris, j’ai resté même le soir en études, pour qu’elle puisse me faire, me débrouiller, mais j’avais une maman qu’était très dure, elle ne, ma maman ne voulait pas que j’apprends, donc elle faisait le potin le soir quand j’arrivais de l’école, mon père avait [inaudible] parce que mon père était illettré, il ne savait pas lire puisqu’il a jamais été à l’école, donc sur la secousse euh il avait trouvé la maîtresse et la maîtresse lui avait dit : « c’est dommage parce que on pourrait faire un effort avec cette [inaudible] » il voulait pas, il voulait pas

15 C : hum, hum

16 Y : donc sur la secousse j’ai quitté l’école j’avais 14 ans en juin, donc à, fin juin et le premier juillet je suis allée travailler en ferme

17 C : hum, hum

18 Y : parce que je voulais pas rester à la maison avec ma mère, que j’avais une mère qu’était très dure et ç’aurait pas, je m’entendais pas avec elle, alors j’aimais mieux quitter la maison que de rester à, à soigner mon papa

19 C : hum, hum, donc vous quittez en fait le milieu familial à 14 ans

20 Y : oui, à 14 ans, donc j’ai été 18 mois en ferme, je me suis occupée d’enfants, j’ai été en stage chez les, chez les sœurs euh pour apprendre la couture, alors euh j’y ai été 18 mois, en une fois par semaine et la sœur me faisait lire

21 C : hum, hum

22 Y : parce qu’elle voyait que j’en avais besoin, mais bon, on n’apprend pas comme ça à lire ni à écrire, alors en lecture j’arrivais quand même à lire des mots mais pas, pour les écrire j’y arrivais pas

23 C : hum, hum

24 Y : c’était impossible d’arriver à écrire un mot, le [in] je le confondais, le « a » alors j’arrivais pas à écrire, ça m’intéressait pas, j’écrivais pas, mais je lisais quand même des mots comme j’arrivais à lire

25 C : hum, hum

26 Y : comme maintenant, c’est le moment de le dire [rires]

27 C : hum, hum

28 Y : mais bon bah j’ai eu toujours ce problème là, après j’ai donc été travailler chez euh, chez un cordonnier à S, j’ai été 18 mois aussi, mais là j’étais pas bien, c’était pas, ça me plaisait pas, la patronne elle me faisait que des réflexions pis que, que j’aimais pas alors euh un jour je l’ai envoyée balader et je suis partie

29 C : hum, hum

30 Y : parce que moi fallait pas me chercher, je savais faire mon travail, et après j’ai été chez des, chez de la noblesse, mais comme j’arrivais pas à répondre au téléphone et écrire qu’est-ce que les gens me disaient, elle m’a gardée que 18 mois aussi, après je suis venue dans un restaurant à NG, des routiers, donc j’ai été jusqu’à 18 ans dans ce café et après je suis partie avec un, un copain sur SN, et à 20 ans je mettais mon premier enfant au monde

31 C : hum, hum

32 Y : alors euh j’ai, j’ai beaucoup, ça m’a beaucoup empêchée de travailler parce que la lecture c’était tout, écrire les mots et tout, bah j’étais pas capable, mais ça m’a pas empêchée de gagner ma vie à droite à gauche, sans me déclarer j’ai passé toute ma vie comme ça

33 C : hum, hum

34 Y : mais enfin bref, je travaillais, alors euh une fois sur D j’avais mon gars tout petit que j’emmenais dans un landau, j’allais faire des heures de ménage, et non c’était, dans ce restaurant café qui faisait épicerie, y’avait une épicerie, et un jour elle me dit comme ça euh : « je vais bien à la coiffeuse Y, je voudrais bien que vous savez peser avec la balance », alors j’ai dit : « si vous me faites voir, je vais peut-être y arriver », elle m’a fait voir, j’ai réussi alors après elle m’a laissée toute seule dans le magasin, dans le café restaurant et tout ça, euh elle me laissait toute seule, j’avais pas de problème

35 C : donc elle vous a fait confiance

36 Y : elle m’avait fait confiance et quand les mots étaient mal écrits, bon bah comme j’avais écrit déjà quelques lettres en me relisant je comprenais qu’est-ce que j’avais écrit, et pis y’avait des fautes alors je lui disais : « c’est untel qui m’a fait crédit » alors elle mettait la somme

37 C : hum, hum

38 Y : alors après elle m’a fait un carton avec les noms des gens, quand les gens me disaient leur nom, je mettais une croix et je mettais qu’est-ce qui me devaient, parce que quand on m’avait dit le nom, bah je savais sur le papier où est-ce qu’il était écrit

39 C : elle vous a aidée à contourner vos difficultés

40 Y : oui beaucoup même, j’ai détourné beaucoup oui

41 C : alors vous détourniez, oui, par exemple Y ?

42 Y : oui moi je détournais par laquelle en disant comme ça : « bon je ne sais pas lire mais si vous m’expliquez, je ferai le travail »

43 C : hum, hum

44 Y : toujours euh quand on m’avait expliqué quelque chose euh j’étais sûre de réussir

45 C : hum, hum

46 Y : alors après j’ai mis un deuxième enfant, puis un 3ème, puis un 4ème, puis un 5ème, puis un 6ème parce que j’ai été 6 fois enceinte, donc 4 enfants vivants, 2 décédés à la naissance, alors donc j’ai élevé mes enfants, mais quand il a fallu que euh, j’ai eu ma deuxième fille qu’avait de la difficulté à l’école et on m’avait parlé de la mettre dans une école d’arriérés et ce mot-là m’a fait mal, alors c’est là que j’ai pris le courage avec mes deux mains, j’ai dit bon bah je vais aller trouver le maître d’école, je vais lui expliquer que moi je sais pas lire, que mon mari y peut pas s’en occuper parce que il avait le nez dans la boisson, donc ça passait, ses enfants, il ne s’occupait pas de ses enfants, j’ai été trouver le maître d’école et là à l’école on m’a dit comme ça « ben vous voyez votre gars il a des problèmes pareil que votre fille, vous m’auriez dit quand votre gars commençait à lire, bah on aurait pu lui apprendre », alors après ils se sont occupés de mes deux autres filles, et ma fille a quand même été dans une classe mais ils appelaient ça euh une classe de soutien et elle a appris le métier de maçon et carreleur et elle a appris avec euh, je suis divorcée, donc mon deuxième mari s’est occupé de mes enfants, à les remettre au niveau d’école

47 C : hum, hum

48 Y : donc on allait en réunion et le professeur expliquait à mon deuxième, mon copain euh qu’est-ce qui fallait faire à ma fille et donc il l’a débrouillée

49 C : votre deuxième mari a aidé euh votre fille euh

50 Y : oui et les deux autres, mes deux autres elles ont été, elles ont été jusqu’à l’école du CAP, elles ont un, des CAP

51 C : ouais

52 Y : mais pas la deuxième [silence]

53 C : d’accord

54 Y : parce que moi y’avait que la lecture, alors je faisais lire mes enfants tout haut parce que j’avais quand même, dans ma tête j’arrivais quand même à les comprendre, et quand la lecture était lue tout haut comme ça je savais si y’avait pas une liaison qui collait pas, parce que quand la liaison collait pas, je leur disais : « bah oui y’a quelque chose qui va pas là, recommence la phrase »

55 C : hum, hum

56 Y : parce que ça me sonnait mal à l’oreille

57 C : hum, hum, hum, hum

58 Y : alors euh je les faisais répéter, autrement je m’en occupais, les devoirs faits, fallait faire les devoirs, et pis quand euh, pour lire sur leurs cahiers, c’étaient eux qui me lisaient

59 C : c’est ça

60 Y : fallait pas me, fallait pas dire comme ça : « bah non j’ai pas ça à faire, ça sera pour un autre jour » « non, non, je dis, y’a ça à faire, même que c’est pour demain, on le fait ce soir »

61 C : alors comment vous saviez Y ?

62 Y : bah parce qu’elles me lisaient leur programme d’école

63 C : hum, hum, d’accord

64 Y : alors ça le programme et pis fallait pas que, fallait pas qu’ils arrivent à me rouler parce que je le voyais sur leur figure que y’avait quelque chose qu’ils cachaient, ça j’étais très, très à cheval dessus, alors donc, bah j’ai élevé mes enfants euh en allant travailler chez les autres euh en les, en faisant beaucoup de choses parce que j’ai fait beaucoup de travail, et à 40 ans, donc euh j’ai, j’ai été apprendre à conduire, donc j’ai fait beaucoup de moniteurs pour voir si ils étaient sympas, si ils étaient pas sympas, si ils ne rouspétaient pas quand les gens sortaient et tout, de leur voiture et tout, donc j’en ai trouvé un à S, et quand j’ai trouvé, j’ai été voir une patronne à, où que je travaillais, si elle peut venir avec moi parce que j’ai trouvé quelqu’un, je crois qu’il va pouvoir me comprendre lui

65 C : hum, hum

66 Y : alors donc j’ai été et pis je lui ai dit : « je viens mais je ne sais pas lire, je ne pourrai pas lire qu’est-ce qu’y a sous les diapos »

67 C : hum, hum

68 Y : parce que je savais que c’étaient des diapos à cette époque là mais j’aurais pas su lire la phrase, mais bon comme il la lisait, alors bah j’écoutais bien qu’est-ce qui disait et je répondais aux questions

69 C : hum, hum, donc il vous lisait la phrase

70 Y : oui il lisait la phrase et là une fois que c’était lu bah le panneau il était dans ma tête, alors euh ben euh j’ai passé trois fois mon code

71 C : hum, hum

72 Y : au bout de trois fois je l’ai eu et pis ma conduite trois fois aussi

73 C : et vous l’avez eu

74 Y : et je l’ai eu, jusqu’à 40 ans on n’avait pas de voiture, donc on n’avait que des mobylettes, pour aller se promener avec les enfants c’était pas pratique

75 C : hum, hum, et qu’est-ce que ça vous a fait d’avoir eu votre permis euh

76 Y : alors bah moi c’est pareil euh j’avais des gens qu’étaient très méchants à côté de moi pis qui savaient que je savais pas lire alors on avait été dire que l’illettrisse elle n’aurait pas eu son permis, alors quand je l’ai eu, je suis revenue avec mon « A » avec, dans mes sacoches parce que j’avais été avec ma voiture, mon, ma mobylette pour passer mon permis de conduire, j’ai été acheter mon « A », je suis arrivée chez la patronne où que je travaillais, j’ai dit : « tiens, je l’ai mon permis », ah bah elle dit : « tant mieux, parce qu’elle dit au moins c’est un soulagement » vraiment je l’ai, je l’ai travaillé mon permis et mon code

77 C : hum, hum

78 Y : alors sur la secousse quand je suis arrivée chez moi, j’ai pris le téléphone et pis j’ai téléphoné à cette personne-là bah je lui ai dit « tiens », j’ai dit « tu sais, faut pas savoir lire pour apprendre, savoir conduire, parce que maintenant j’ai mon permis, l’illettrisse elle a son permis, mais toi tu l’auras jamais », pis elle l’a jamais eu non plus

79 C : hum, hum

80 Y : et elle savait lire

81 C : hum, hum, donc quelque part une revanche euh

82 Y : oui une revanche de dire ben tiens [silence] et 8 jours après j’avais ma voiture, neuve dans la main, le soir de mon permis de conduire, j’ai conduit une euh, une euh, une BX d’un vieux gars qui prêtait jamais sa voiture à quelqu’un, il m’a fait confiance

83 C : c’est ça, il vous a fait confiance

84 Y : ouais il m’a fait confiance, il m’a dit : « bah tu nous emmènes boire un pot », j’ai dit : « non je conduirai pas ta voiture », mais en revenant il a fallu que je la conduis parce que il s’est mis à côté, mon mari s’est mis derrière, et moi je suis, il a dit : « tu montes au, tu montes au volant, tu la conduis »

85 C : hum, hum

86 Y : et de SN, j’ai été acheter ma voiture à SN et je suis revenue avec ma voiture

87 C : hum, hum [silence]

88 Y : c’était vraiment euh de sortir de la ville, passer la ville pour, ça ça m’a fait peur mais bon bah j’ai réussi, j’étais contente de moi, et pis maintenant je peux aller n’importe où

89 C : hum, hum

90 Y : bah dans une année j’ai eu tout hein, parce que le moniteur ben c’était comme ça que ben, je lui [inaudible] quand euh il me disait l’heure, c’était l’heure c’était pas après l’heure hein

91 C : hum, hum

92 Y : non je suis jamais arrivée en retard, toujours

93 C : vous étiez bien à l’heure

94 Y : oui, toujours à l’heure, ponctuelle, bon pour aller travailler fallait être ponctuel même que j’avais pas des heures fixes moi, parce que je travaillais si on veut presque bénévolement mais bon bah je faisais mon travail et on me payait, mais j’étais toujours à l’heure [mise en avant d’une qualité : la ponctualité – qui vient contrebalancer les difficultés de lecture et écriture] je n’aimais pas arriver en retard, ça fait strict euh sur le point de vue de la vie

95 C : c’est ça, strict sur le point de vue de la vie

96 Y : oui

97 C : c’est-à-dire ? est-ce que vous pouvez développer un petit peu Y ?

98 Y : bah tenir un cahier de comptes euh, euh fixe dans mon travail de maison euh, je mettais des heures partout pour euh dire ben à telle heure tu feras ci, à telle heure tu feras ça parce que une chose des fois à 9h30 j’étais partie de la maison, je revenais qu’à midi, mais fallait que tout soit fait, tout soit prêt, fallait que ça soit ponctuel dans ma maison

99 C : donc vous aviez un emploi du temps

100 Y : hum [silence]

101 C : là vous parliez de vos stratégies euh Y

102 Y : oui

103 C : par exemple faire lire les enfants tout haut

104 Y : parce que une chose, je comprenais la lecture en, comme ça je savais qu’ils avaient au moins lu et je savais que la lecture elle était faite avant [inaudible]

105 C : hum, hum, est-ce qu’y a d’autres stratégies que

106 Y : y’a d’autres euh, d’autres trucs euh, si je voyais même que, si on me disait comme ça euh : « tiens ton gars on l’a vu dans tel endroit » euh je tâchais de savoir euh qu’est-ce qui s’était passé ce jour-là avec mon gars

107 C : hum, hum

108 Y : tu vois je tournais autour du pot, je savais qu’il était à cet endroit-là et qu’il aurait pas dû être, je tournais autour du pot jusqu’à temps qui m’avoue hein, c’était plus fort que moi, fallait que je savais

109 C : hum, hum

110 Y : et fallait qui me le dise

111 C : hum, hum, mais par rapport à la lecture ou l’écriture euh

112 Y : ah pour les enfants c’était très dur hein

113 C : oui

114 Y : s’ils avaient quelque chose à écrire, même des lignes hein, ils les copiaient hein, alors là euh, moi j’ai eu des neveux et des nièces euh, j’étais pareil avec mes neveux et mes nièces hein quand ils étaient à la maison hein, ah oui, oui, fallait qu’ils apprennent hein, un jour j’en ai eu une, une nièce qu’avait été plus de 15 jours à la maison et la maîtresse avait trouvé ça drôle qu’elle faisait ses devoirs pendant ces 15 jours-là, elle a dit « oui je suis chez ma tante, il faut faire les devoirs », bah oui, fallait faire les devoirs

115 C : donc vous étiez stricte, fallait que les enfants

116 Y : oui fallait que les enfants apprennent, parce que moi j’étais trop malheureuse à cause de tout ça hein, parce que moi j’ai pas eu une maman qui m’a dit : « bah je vais t’apprendre à lire, je vais t’apprendre à écrire » non « fais ci à la maison, fais ça » mais pas

117 C : hum [silence]

118 Y : tu vois j’ai appris à tricoter euh avec des mémés, j’ai pas appris avec ma mère, et ma mère savait très bien tricoter

119 C : hum, votre mère, comme vous disiez tout à l’heure, voulait pas que

120 Y : fallait faire le nettoyage à la maison, fallait faire la lessive, fallait faire tout, tout son travail, mais ça donnait du mal hein

121 C : hum, hum

122 Y : on a été 7 chez nous, elle s’est jamais occupée de nous, c’était de sa personne qu’elle s’occupait, c’était tout, pour moi c’était le contraire, je, je voulais m’occuper, et notre papa il aurait su lire, sûrement qu’on aurait appris à lire, parce qu’il était plus proche de nous que notre maman

123 C : hum, hum, il était plus proche euh

124 Y : oui

125 C : c’est ça

126 Y : oh oui en cuisine il nous expliquait comment qui faisait ci, comment qui faisait ça, il était [pire ?] que notre maman [silence]

127 C : d’accord euh

128 Y : alors à E, je viens depuis 2000 à E

129 C : vous venez depuis 2000 ouais

130 Y : alors j’ai fait un gros progrès, si je peux dire, j’ai voulu venir à E, je suis venue de mon propre chef parce que je voulais apprendre, c’est peut-être pour ça que je suis dure envers moi, je suis dure envers moi

131 C : hum, hum, alors comment vos difficultés ont évolué au fur et à mesure du travail à E ?

132 Y : à E, ah bah oui, beaucoup, 2000, 2001, 2002, pendant les 2 premières années que je suis venue, ça a beaucoup évolué, et pis après j’ai eu les uns et les autres comme ça mais ça été stable

133 C : hum, hum [silence] d’accord

134 Y : parce que comme on dit euh chacun apprend, moi, moi j’ai pas de difficulté parce que, vu que j’explique comment que je veux apprendre, je sais pas si t’as vu ça, toi ?

135 C : si j’ai vu ça, c’est-à-dire euh ?

136 Y : bah si tu t’en es aperçu

137 C : oui

138 Y : et qu’est-ce que je veux faire

139 C : oui tout à fait

140 Y : eh ben je l’ai toujours dit hein, bah c’est ça, c’est ça, c’est pas autre chose

141 C : vous avez des objectifs euh

142 Y : oui des points de vue que je veux atteindre et pis c’est tout, je vais peut-être pas faire un sans faute quelque part, mais bon, je veux réussir

143 C : hum

144 Y : et je m’en étais donné pour 5 ans

145 C : votre projet c’était de

146 Y : de travailler pendant 5 ans

147 C : travailler pendant 5 ans

148 Y : pis au bout de 5 ans, je voulais pu venir à E, mais j’y suis quand même encore

149 C : alors justement comment vous voyez l’avenir ?

150 Y : mais une chose je veux apprendre parce que j’arrive pas encore

151 C : hum, hum, alors quelles sont vos difficultés actuellement euh ?

152 Y : écrire

153 C : écrire

154 Y : oh bah oui, écrire, le plus gros maintenant c’est écrire, c’est pu lire [silence]

155 C : et c’est quoi dans l’écrire ?

156 Y : bah écrire euh bah une lettre toute seule, envoyer un courrier, même lire, même écrire qu’est-ce que je ferais dans une journée, ça j’aimerais ça

157 C : hum [silence]

158 Y : mais bon, j’ai fait du progrès, y’a pas que ici à E qu’on me dit ça euh, on me le dit dans ma vie de tous les jours que j’ai fait des progrès, parce que une chose je suis toujours en contact avec des gens, et ils voyent bien que y’a du progrès de fait et moi je trouve que j’en ai encore pas assez

159 C : alors d’autres personnes vous renvoient le fait que vous avez fait des progrès

160 Y : ouais

161 C : hein, qui sont ces personnes et qu’est-ce qu’ils disent de vous ?

162 Y : ben mes enfants euh

163 C : oui

164 Y : mes petits-enfants disent comme ça « mémé c’est bien d’avoir été apprendre à lire et à écrire » parce que des fois [inaudible] comme ça « si t’apprends pas à l’école tu seras comme moi » alors ils veulent pas

165 C : d’accord donc vos enfants et vos petits-enfants vous renvoient le fait que vous avez fait du progrès

166 Y : même mes gendres, moi j’ai un gendre euh il me le dit : « faut quand même avoir de la volonté d’aller à E comme vous avez fait » parce que c’est pas à 50 ans que je suis venue hein, c’est à 60

167 C : hum, hum [silence]

168 Y : 59, à 59 ans hein, tout ça pour savoir lire et écrire

169 C : hum, un long parcours

170 Y : ouais [silence] un parcours qu’a beaucoup été avec des embûches

171 C : avec des embûches

172 Y : parce que quand on sait pas lire et écrire euh, ça, ça met beaucoup de choses euh, moi j’aurais dû travailler à la P, j’avais été faire des tests, les tests [prononce : « textes »] étaient bien réussis mais l’écrit était pas réussi

173 C : ah oui

174 Y : c’était pas reconnu à cette époque là

175 C : hum, hum [silence]

176 Y : mes joints étaient bien comptés mais l’écriture était mauvaise

177 C : hum, hum

178 Y : donc je suis pas rentrée

179 C : donc vos difficultés c’était l’écriture en fait, pas le calcul ?

180 Y : non

181 C : c’est ça

182 Y : moi j’ai pas de difficultés en calcul

183 C : hum, hum, vous me parliez tout à l’heure de la balance dans l’épicerie

184 Y : de la balance, ben de la balance à l’épicerie c’était pour euh, parce que c’était une euh balance qui pesait et qui disait des prix, bah t’as vu ça quelquefois c’était un grand truc comme ça là

185 C : hum, hum

186 Y : et y’avait le poids et ça donnait ton prix

187 C : hum, hum

188 Y : voilà, tu vois ?

189 C : hum, hum

190 Y : à 100 grammes près t’avais presque le prix tu vois

191 C : ouais c’est ça, donc pas de difficultés au niveau du calcul

192 Y : non

193 C : mais plus de l’écriture

194 Y : de l’écriture, lecture et écriture, le calcul même à l’école j’avais 10 sur 10, je cherchais les solutions dans le problème, je mettais avec les mots que je trouvais dans, pis je faisais mon problème, j’avais de la ruse

195 C : de la ruse

196 Y : oui, pour écrire les mots

197 C : c’est-à-dire de la ruse, est-ce que vous pouvez m’en dire plus Y ?

198 Y : et ben dans un texte j’arrivais à trouver des mots qui pour moi faut mettre dans la phrase de calcul

199 C : dans la solution vous voulez dire ?

200 Y : dans la solution [silence] je rusais

201 C : et comment vous vous y

202 Y : et même dans mon travail j’ai beaucoup rusé parce que j’étais pas du premier abord que je disais je savais pas lire ni écrire

203 C : hum, hum, et comment vous rusiez alors Y euh ?

204 Y : bah je, comment je te dirais, bah je disais pas tout de suite voilà [inaudible] [silence] c’était un petit peu après au bout de 8 jours que je disais : « bah oui mais je peux pas écrire, je vous donne le nom de la personne mais j’ai pas pu l’écrire

205 C : d’accord, donc vous avez beaucoup parlé

206 Y : et même au téléphone, si je prenais la boule de fort, puisqu’on a tenu une société de boules de fort quand la personne me, me téléphonait et que euh elle me disait son nom, et pis je le faisais [changer ?] je lui disais « bah faut m’épeler votre nom », alors il mettait son nom, je l’écrivais pis bah quand mon mari il arrivait je lui disais « tiens bah y’a untel qu’est venu qui veut changer de place dans le tableau, alors tu te débrouilles », vu qu’il avait le nom euh c’était tout ce qui comptait hein

207 C : hum, hum [silence] d’accord donc vous avez tenu une société de boules de fort

208 Y : hum

209 C : donc c’était une activité euh

210 Y : bah mon mari c’était lui qu’était, qu’était, comment que c’est, concierge, parce que dans les boules de fort c’est ça

211 C : ouais

212 Y : et moi je l’aidais, je n’étais pas payée puisque on n’en payait qu’un sur les deux, alors je l’aidais, mais quand y’avait un coup de téléphone à prendre fallait que je le prends comme mon mari

213 C : hum, hum

214 Y : comme euh le trésorier, je sais pas s’il a appris que je ne savais pas lire, vu, vu que y’avait les sous dans la caisse, il s’embêtait pas si j’avais écrit le bon nom du client qui devait des sous hein, lui il regardait pas ça hein, bon bah c’étaient les sous qui comptaient, c’était pas mon écriture euh, moi je tenais le bar tous les, pendant les vacances, pendant les trois semaines de vacances de mon mari, j’ai jamais eu une parole d’un client mal intentionné, parce que personne a jamais su que je ne savais pas lire ni écrire [silence]

215 C : c’est pas toujours forcément évident de dire que

216 Y : non ça c’est pas évident [silence] dire qu’on a des difficultés c’est très dur

217 C : dire aux autres euh c’est difficile

218 Y : c’est très difficile, parce que des fois, on se fout de toi, comme là cette fille avec mon permis de conduire

219 C : oui voilà dont on avait parlé

220 Y : voilà, moi avant de venir à E, à l’association, j’avais entendu des personnes dire : « ah E, c’est ci, c’est ça, patati, patata », moi je savais qu’on apprenait à lire et à écrire, donc moi c’est tout ce qui m’intéressait, c’étaient pas les cancans qui m’avaient été dit au bar qui m’intéressaient hein, non, non, non, pas du tout ça hein [silence] quand mon mari est tombé malade, moi il fallait que, j’avais beaucoup de papiers euh, de, de [inaudible] qu’arrivaient, que fallait remplir et pis tout, ça me cassait la tête ces papiers-là et quand il a été en invalidité euh j’avais commencé déjà à E, parce que moi sans contact de personne je ne vis, je ne vis pas, faut que je suis en contact de quelque chose, alors c’était, la seule solution bah c’était de venir à E pour apprendre à lire pis de voir du monde

221 C : hum, hum, vous aviez deux motivations : à la fois apprendre à lire et voir du monde

222 Y : oui et voir du monde, causer de ci, de ça, moi les petits noms ça m’intéresse pas le petit nom des gens, parce que je m’en rappelle pas des petits noms, je suis incapable de dire un petit nom de l’association, ce matin, on a parlé avec quelqu’un qui venait ici avant, tu sais celui qui s’occupait de P, un monsieur très costaud

223 C : oui

224 Y : bah il est branché sur l’oxygène maintenant

225 C : ah bon ?

226 Y : il a deux bonbonnes, tu vois, ça faisait longtemps que je l’avais pas vu et il était à A et quand je les ai aperçus, j’ai tout de suite été vers eux, je connais bien sa femme vu qu’elle venait à E aussi, elle venait à E, et j’ai été vers eux [inaudible] pis j’ai jamais pu dire ton nom, « C » m’est pas revenu à la tête, pis j’ai rencontré des anglais aussi et j’ai jamais pu dire ton nom

227 C : d’accord donc E pour avoir des contacts et apprendre euh à lire, hein, euh, en dehors d’E, quelles activités est-ce que vous avez ?

228 Y : ah, bah c’est bien ça, l’entretien de la maison

229 C : l’entretien de votre maison

230 Y : l’entretien de mon jardin

231 C : d’accord

232 Y : hein, et je tricote, beaucoup, et je fais mon raccommodage de mes affaires, donc si j’ai un pantalon trop haut, je le raccourcis, je fais des beaux ourlets, c’est tout, parce que j’ai appris, quand on apprend quelque chose et ben on le fait, pas besoin d’aller voir une couturière pour raccourcir, même changer une fermeture éclair de pantalon, je le fais

233 C : hum, alors est-ce que vous allez vers d’autres associations qu’E ?

234 Y : non, non

235 C : non, non ?

236 Y : non parce que je vois que j’ai pas besoin d’autres associations

237 C : et dans votre vie, est-ce que vous avez été, vous avez eu d’autres activités euh, vous avez été vers d’autres associations ?

238 Y : non j’ai jamais été vers d’autres associations, j’ai toujours trouvé des heures de ménage en fait, tout le temps en contact avec des personnes âgées, aller aider des personnes âgées, si on me demandait pour aller plumer des canards, j’allais plumer des canards, pourvu que je gagnais ma petite croûte, c’était mon argent de poche, j’en faisais qu’est-ce que je voulais, je m’habillais, je m’achetais qu’est-ce que je voulais, j’habillais mes enfants, je faisais qu’est-ce que je voulais [silence]

239 C : donc surtout des contacts dans le milieu professionnel

240 Y : oui, travail

241 C : dans le travail

242 Y : dans le travail, j’ai toujours aimé le travail

243 C : hum, hum, et qu’est-ce que les autres disaient de vous ?

244 Y : euh les personnes ?

245 C : pensaient de vous ou disaient de vous ?

246 Y : ah bah moi partout où que j’ai été, j’ai été bien vu hein, parce que une chose euh, y’avait même pas besoin de me dire euh, si on me disait : « Y, tu fais les carreaux », bah tu sais ils avaient pas besoin de me dire : « tu feras le dessus de l’armoire » hein il était fait hein, parce que j’aimais pas voir un dessus d’armoire sale euh, c’était plus fort que moi, les personnes âgées qui m’employaient, elles voulaient pas [inaudible] les femmes qui venaient chez les gens, parce qu’elles ne faisaient pas tout le travail, de toutes façons elles disaient : « Y aujourd’hui tu fais notre cuisine à fond », et ben c’était de déplacer tout et de mettre tout dans le milieu de la maison et tout nettoyer hein, moi c’était du gros boulot, je ne savais pas qu’est-ce que c’était de faire que dans un petit coin

247 C : donc vous faisiez sérieusement euh

248 Y : mon travail, c’est pour ça que bien souvent les gens me gardaient, moi j’ai eu des personnes, il a fallu que je quitte la région de D pour venir par ici pour arrêter de travailler pour eux hein

249 C : hum

250 Y : oui, oui bah c’était comme ça euh, dès que je mettais les pieds dans une maison j’y restais hein, parce que la personne elle savait que ben Y elle aurait fait [inaudible], à P c’était une petite commune qu’on avait, shai pas de 800, 800 habitants, y’avait une petite école qui faisait les 3, la maternelle, le primaire jusqu’à 12 ans, puisqu’à 12 ans ils allaient à Saint [inaudible] les enfants, bah quand la femme qui faisait la cantine malade, bah la cuisine elle était bonne à faire à fond

251 C : hum, hum

252 Y : alors on m’avait demandé, j’avais tout nettoyé ça à fond je faisais à manger pour les enfants en même temps hein, fallait faire à manger pour le midi, je faisais et je mettais moins de temps qu’elle et tout était propre, nickel, souvent les femmes elles disaient ça : « quand on arrive dans la cantine, on ne voit pas les grandes marmites », elles sont déjà lavées les grandes marmites, tu vois c’était le travail, oh bah les marmites vont traîner, non, non, non, moi jamais, même à mettre euh allumer le four et pis mettre les plats euh dans le four tiède, que ça reste chaud hein, elles n’en revenaient pas les filles, même les femmes qu’étaient là elles disaient comme ça : « mais moi [inaudible] »

253 C : hum, vous faisiez du gros travail

254 Y : oui mais bien

255 C : vous vous donniez à fond

256 Y : à fond, et je prenais pas plus dur hein, non, non, non, c’est pas dire, ben, le congélateur je le vidais et je le nettoyais à fond, je remettais les aliments après hein, et je mettais moins de temps qu’elle, à la mairie souvent on m’a dit : « bah comme que ça se fait, vous avez, vous avez fait une heure de moins qu’elle » [silence]

257 C : hum, hum, d’accord

258 Y : et même moi je savais m’organiser euh

259 C : donc vous abattiez un gros travail euh

260 Y : oui en peu de temps

261 C : en peu de temps

262 Y : c’est ça oui, très avantageuse

263 C : et par

264 Y : partout où j’ai passé, ça été ça, même à la ferme au, quand j’ai eu 14 ans, donc je suis arrivée pour une 3ème naissance et ben le patron fallait qui quittait ses bottes pour rentrer à la maison hein parce que c’était trop propre, il avait jamais vu ça [rires] mais partout on me le disait

265 C : hum, hum, donc vous étiez bien vue partout

266 Y : oui partout

267 C : et par rapport à vos difficultés en lecture et en écriture qu’est-ce que les autres disaient de vous euh ?

268 Y : et ben ça posait des problèmes parce que j’étais pas capable, comme là chez monsieur [inaudible] j’étais pas capable de répondre, de répondre au téléphone et de prendre le nom, mais là c’était pareil, c’était euh, on me disait « vous avez une demi-heure pour nettoyer le four » elle pouvait venir passer son doigt [réaction de défense par rapport aux difficultés que je souligne : elle souligne ses points forts pour contrebalancer ses difficultés par ailleurs] et même sa mère, sa belle-mère elle disait comme ça : « moi cette fille-là je la garderai, même qu’elle répond pas au téléphone », mais elle, elle voulait pas « moi il me faut quelqu’un qui répond au téléphone et qui prend les notes » moi j’étais pas capable [silence]

269 C : d’accord

270 Y : moi j’ai travaillé au bureau de tabac à N, moi c’était pareil, j’étais en cuisine, je faisais les chambres des gars et tout, parce que y’avait des chambres dans cet hôtel-là et j’ai jamais eu un mot [silence] et partout où que j’ai passé euh les dernières personnes que j’ai faites, il a fallu que je quitte D pour les laisser hein, j’ai eu une personne, je l’ai eu plus de 9 ans, que j’allais presque une fois par semaine chez celle-là [silence]

271 C : d’accord très bien

272 Y : et toujours en train de me dire comme ça : « t’es une éclair, t’es une éclair », bah tu me vois dans Super U, comme dit P « 10 minutes dans le magasin, Y elle a fait ses courses »

273 C : hum, hum

274 Y : ah oui, oui, oui, je connais le magasin par cœur, je sais où je vais, j’ai ma liste de commissions, bon je fais là, là, là, pis ça y est

275 C : alors comment vous faites pour faire vos courses aussi vite euh Y ?

276 Y : et ben parce que j’ai des points de repère dans le magasin, pis qu’est-ce que j’ai marqué sur ma liste de commission, même qu’elle était mal écrite parce que moi j’ai travaillé avec des traits et des bâtons hein euh ben mes commissions, moi j’ai eu des gens à m’emmener en commissions euh, la femme du coiffeur, et ben c’est pareil, quand j’allais faire mes courses j’étais toujours la première à arriver à la voiture parce que je connaissais mes courses par cœur, et je les faisais qu’au mois

277 C : alors des traits et des bâtons, c’est-à-dire euh ?

278 Y : bah parce que « haricots verts » bah il était mal écrit, alors je faisais, je mettais « haricots verts » pis je faisais des bâtons, le sucre, je faisais des petits carrés ou des petits points, tu vois j’avais plein de méthodes comme ça

279 C : de méthodes oui, de stratégies

280 Y : oui

281 C : on en revient aux stratégies

282 Y : oui, oui, des choses en point ou, même mon tricot euh des tricots, des points que je voyais sur quelque chose, et ben j’étudiais et je faisais les dessins [silence] faut vraiment qu’il soit compliqué pour [inaudible] je ne savais pas qu’est-ce que c’était qu’une [inaudible] [rires] tu vois c’était plein de choses comme ça, bah les mémés que j’allais, je faisais leur com, leur combinaison en laine pis fallait faire des diminutions pour le soutien-gorge, et ben c’était moi qui leur faisait [silence] oh bah Y, elle allait finir

283 C : donc vous saviez faire beaucoup de choses

284 Y : ah oui, beaucoup de choses

285 C : en dehors de la lecture et de l’écriture

286 Y : oui

287 C : qui nécessitaient pas

288 Y : la lecture et l’écriture, non, non [silence]

289 C : d’accord

290 Y : toujours je disais comme ça « bon c’est pas parce qu’on sait pas lire qu’on n’arrive pas », et bien des fois, ma fille, ma deuxième, elle disait ça : « et toi t’arrives bien, alors pourquoi moi j’arriverais pas ? », même mes enfants ils [inaudible] comme ça

291 C : c’est ça, ils disaient de vous euh que euh

292 Y : je lisais pas, je n’arrivais pas à écrire, mais je me débrouillais quand même

293 C : c’est ça, vos enfants vous le renvoyaient ça ?

294 Y : oui, oui, oui [silence] c’était euh, c’était le moment de le dire euh, c’était, ils me faisaient jamais de reproches que je ne savais pas lire, même mon premier mari, jamais il m’a fait de reproches que je ne savais pas lire, lui pourvu qu’il avait son manger de fait, le repassage de son linge dans l’armoire euh, ses bleus raccommodés euh [silence] c’est comme mon deuxième, c’est pareil hein, il a voulu m’apprendre avec les enfants, mais je voulais pas me mettre au rang de mes enfants

295 C : c’est ça, pas se mettre au même rang que les enfants

296 Y : non

297 C : devant lui vous voulez dire ?

298 Y : bah avec, faire une dictée avec mes enfants, bien des fois il me l’a dit : « tiens bah fais la dictée avec les enfants », « mais non prends moi à part »

299 C : et votre mari acceptait euh

300 Y : de me prendre à part ? non « si tu fais, tu fais en même temps que tes enfants »

301 C : hum, hum, c’était la condition

302 Y : oui, mais mon premier, jamais il m’en a parlé, tu vois quand ça commençait les carnets de chèques et ben il m’avait fait euh un, un bouquin, de 1 à 100, alors comme il dit « quand c’est 101, tu rajoutes ton 1 », tu vois, il m’avait expliqué et il m’avait tout fait mon mari, et je l’ai toujours, tu vois

303 C : hum, hum

304 Y : c’est des choses qui m’ont beaucoup servi à la maison quand j’envoyais des chèques

305 C : c’est ça, votre mari, votre premier mari puis votre deuxième mari vous ont beaucoup aidée

306 Y : beaucoup

307 C : par rapport à vos difficultés, sans pour autant se plaindre que euh, de dire de vous

308 Y : bah de dire : « bah elle sait pas lire ou elle sait pas écrire », jamais il n’en a été question [silence] même mon deuxième mari, lui il voulait que je fais une dictée en même temps que mes enfants et ça je ne le voulais pas

309 C : alors pourquoi vous, qu’est-ce qui vous freinait euh ?

310 Y : qu’est-ce qui me freinait ? bah c’est parce que je voulais pas que mes enfants disent comme ça : « ah bah oui t’as fait tant de fautes et pis nous on en a fait moins », ça je ne le voulais pas, et quand il leur faisait une dictée, je restais jamais dans la même pièce, tu vois j’allais dans le salon et je me mettais à tricoter, qu’est-ce qui faisait avec mes enfants, il corrigeait leurs devoirs, tu vois même corriger leurs devoirs, moi ça m’est arrivé avec une de mes filles, de mettre les « s », ben un jour il lui a frotté les fesses, mais elle est partie très vexée ma fille tu vois il l’avait touchée, c’était pas leur père, il avait pas à faire ça, elle est partie en colère, elle est partie, elle est montée en haut, voilà quand elle a été calmée j’ai dit : « tu descends et tu viens faire corriger tes devoirs parce qu’ils sont pas finis d’être corrigés », si j’avais pas été dans la cuisine [inaudible] rien du tout hein, je savais qu’il avait pas fini avec elle, quand elle est passée dans le salon j’ai dit : « tu t’excuseras », fallait qu’elle s’excuse hein, je ne lui faisais pas de cadeau

311 C : hum, hum, parce que vous disiez tout à l’heure vous étiez stricte

==================COUPURE : je tourne la cassette=========

312 Y : bah je dis oui parce que je ne voulais pas que vous soyez comme moi, hein, ça je ne voulais pas pis ça me plaît pas

313 C : alors on a beaucoup parlé du passé Y euh des enfants, de vos fils, vos filles euh

314 Y : maintenant [Y dirige l’entretien, c’est aussi l’objectif d’un entretien non-directif]

315 C : maintenant qu’est-ce que vous diriez de vous aujourd’hui ?

316 Y : ah bah je suis autrement

317 C : vous êtes autrement ?

318 Y : ah bah oui, je suis plus autonome, même pour faire ma liste de commissions, y aura pas de fautes comme y’avait avant pis j’ai plus besoin des traits

319 C : hum, hum

320 Y : mais tu sais que ça m’a manqué

321 C : ah oui, ça vous a manqué ?

322 Y : ah oui, de bah peut-être euh la « chaîne des savoirs » je l’ai commencée en 2000, en 2001, 2002, j’ai dit à F et à A V, je me suis même mis à pleurer en disant : « bah oui F, j’apprends à lire, j’apprends à écrire, mais y’a des fois y’a mon passé qui me revient »

323 C : hum, hum, qu’est-ce qu’il vous dit à ce moment-là votre passé ?

324 Y : bah y me dit « tu marches avec des bâtons et maintenant t’écris » et quand y’a des fautes, surtout quand y’a des fautes que je corrige, j’ai pas bien écrit le mot et pis que mon mari voit ça, il dit : « dis donc y’a une faute hein, tu chercheras dans ton dictionnaire comment ça s’écrit », alors ça c’est vexant

325 C : vexant

326 Y : oui, très vexant, qu’avant quand je faisais des bâtons il me disait rien

327 C : hum, hum, donc peut-être un mari plus exigeant ?

328 Y : oui, sur le papier de courses, alors maintenant je suis devenue fainéante que c’est lui qu’écrit quand il va chercher quelque chose dans la réserve

329 C : hum, hum

330 Y : tu vois ? parce qu’avant j’avais pas de reproches, pis maintenant dès que j’ai fait quelque chose qu’est mal écrit, je lui dis : « tu me le dis », alors maintenant quand il va chercher quelque chose dans la réserve, comme là il avait été chercher une boîte de, de fruits au sirop, bah le cocktail, il l’avait pas marqué, pis ce midi quand je suis arrivée de courses j’ai dit comme ça : « tiens ça ça manquait sur la liste », j’ai dit : « t’avais pas dû savoir écrire » [rires]

331 C : hum, hum

332 Y : mais je deviens méchante hein

333 C : donc plus autonome, mais davantage, on vous fait peut-être davantage de reproches euh

334 Y : bah mon mari, sur la liste de commissions parce que y’a que ça qu’il voit écrit hein, mais il, de même si j’ai des papiers d’E à traîner, il regarde qu’est-ce que je fais hein, t’en fais pas hein, il est pas sans regarder, parce qu’une fois t’avais pas corrigé le haut de la lettre là, les mots que j’avais écrits en tête, il m’a dit : « t’avais corrigé en bas, mais t’avais pas corrigé en haut » et il me les avait corrigés, il est malin par derrière, il regarde hein, faut que je laisse rien à traîner si je veux pas qu’il voie

335 C : hum, hum, et euh

336 Y : pour lire le journal bah maintenant je le lis tout haut, quand je vois un article qui me plaît bah je le lis tout haut, le dimanche quand P amène le jour-, le HA [un quotidien local], alors si je vois quelque chose sur S pis ça intéresse tout le monde, je baisse la télé, je me mets à lire l’article tout haut qu’avant je l’aurais pas fait, je baisse, je mets la télé sans son et je lis l’article, comme ça P il en profite et mon pa-, mon mari en profite, on fait des lectures à deux

337 C : hum, hum, donc y’a des choses que vous faites aujourd’hui que vous ne pouviez pas hier

338 Y : pas avant

339 C : c’est ça

340 Y : avant de venir à E, tu m’aurais pas fait lire quelque chose devant quelqu’un, je lisais pour moi, mais je lisais pas pour d’autres, et tous mes papiers que j’avais à remplir, j’allais chez ma fille à N hein [silence] et c’est elle qui remplissait tous mes papiers, et avant sur D quand les enfants étaient petits, j’avais une femme où j’allais faire les ménages, j’emmenais tout mon courrier chez elle, c’est elle qui me le faisait tout [silence] et j’ai toujours fait les commandes avec des bons de commande [silence] parce que j’aime pas faire les magasins

341 C : hum, hum, alors que pourtant, il fallait écrire sur les bons de commande

342 Y : ah bah oui mais j’écrivais bah « pantalon » et qu’est-ce qu’y avait de marqué, je lisais, je me débrouillais à lire qu’est-ce que y’avait, bah « pantalon » c’était, si sur le dessin y’avait un pantalon, par la lettre A, je savais que c’était un pantalon où y’avait le A, y’avait de la ruse hein, moi je faisais mes bons de commande, je les envoyais et, parce que les réductions à 10%, 20%, ça me posait pas de question, je faisais comme dans mes, dans mes problèmes, je cherchais le mot

343 C : le mot pour la solution du problème

344 Y : hum [silence]

345 C : d’accord, donc on a parlé un petit peu de ce que vous diriez de vous aujourd’hui hein

346 Y : ah bah aujourd’hui c’est mieux

347 C : aujourd’hui c’est mieux

348 Y : bah oui parce que je vais te lire euh si mon affaire est en coton ou en polyester ou en, en d’autres fibres, ça j’ai pas de problème là-dessus hein maintenant [silence] peut-être que j’hésite sur certains, sur certains mots

349 C : oui

350 Y : parce que une chose euh y’a encore des mots j’ai de la difficulté à lire, surtout quand c’est un « p », un « s », un « p » et pis un « a » admettons, bah je sais pas comment que ça fait, bah c’est très dur pour moi ça, pis avec ça y’a des noms qui sont anglais, qui font des pièges [soupir]

351 C : d’accord, donc vos difficultés sont moins importantes, mais il en reste quand même

352 Y : il en reste encore, hum, et en écrit beaucoup, moi je dis beaucoup en écrit

353 C : alors comment vous envisagez l’avenir euh Y ?

354 Y : l’avenir ?

355 C : oui

356 Y : bah elle est tracée maintenant mon avenir moi, je suis en retraite, je dois suivre maintenant ma route hein

357 C : d’accord, alors suivre votre route, c’est-à-dire ?

358 Y : et ben faire toujours mes cahiers de comptes, ça c’est très intéressant, de marquer tout ce que, bah quand je fais des commissions en liquide faut marquer sur une feuille blanche euh : « tel jour j’ai acheté du pain, tel jour » ça c’est marqué hein, pourquoi ? parce que une chose euh ça aujourd’hui j’ai été faire des commissions euh ce soir ça va être marqué sur mon, sur mon papier hein, je vais regarder le prix des commissions que j’ai achetées pour comparer aussi maintenant, qu’avant je faisais pas ça [silence]

359 C : et par rapport à E, comment vous voyez un peu votre avenir ?

360 Y : à E ?

361 C : oui

362 Y : bah faut pas y venir tout le temps hein, peut-être que si, mais pour faire pas le même travail hein, parce que la compagnie d’E me manque déjà peut-être [rires]

363 C : hum, hum, on avait évoqué les deux objectifs d’E, à la fois apprendre à lire et à écrire et les contacts en même temps

364 Y : oui les contacts

365 C : donc vous pensez que euh vous allez savoir lire et écrire avec E, mais vous aimeriez garder les contacts

366 Y : oui, oui, comme lundi je suis venue, j’ai réparé un meuble donc à la directrice, et il est venu quelqu’un qui est venu avec des crêpes faites maison, et on s’est régalés avec les anglais, j’ai fini avec des anglais, parce qu’ils aiment bien avoir le contact avec les anglais

367 C : et alors les anglais ou d’autres apprenants d’E, qu’est-ce qu’ils disent de vous euh ?

368 Y : bah moi, je sais pas qu’est-ce qu’ils disent de moi

369 C : ou qu’est-ce qu’ils pensent de vous euh ?

370 Y : j’en sais rien, je leur demande pas hein, d’abord on parle jamais de notre travail d’E quand on discute d’E, euh avec quelqu’un à E, même euh la chaîne des savoirs hein, quand on se rencontre on va pas parler de la chaîne des savoirs hein, ça c’est une chose que je n’aime pas aborder dans la rue

371 C : hum, hum

372 Y : sauf ce matin on en a parlé parce que on se trouvait avec des gens qui ont été apprenants à E et formateurs, là c’est autre chose, c’est pas pareil, et pis on était dehors, on était sur le parking, mais dans le magasin, je l’aurais pas abordé

373 C : c’est difficile pour vous de

374 Y : je n’aime pas qu’on m’aborde euh sur le principe d’E dans une salle d’attente ou dans un commerce, E passe en deuxième position, sur un parking je veux bien en discuter mais pas autrement [silence]

375 C : d’accord

376 Y : que comme je dis, moi mes gendres, à part mes gendres qui me disent que c’est bien qu’est-ce que j’ai fait, que fallait quand même en avoir parce que tout le monde ne se [dit ?] pas comme ça [silence]

377 C : d’accord, donc vous m’avez parlé un petit peu de euh l’avenir, de vos projets

378 Y : hum, bah c’est de réussir mes projets

379 C : réussir

380 Y : ah oui, réussir à me débrouiller toute seule, je voudrais bien, mais j’ai quand même rempli des papiers pour ma retraite et pis j’ai bien réussi

381 C : hum, y’a des choses que vous réussissez bien

382 Y : que je réussis toute seule, mais faire des lettres euh, si faut, comme là bah, tu vois j’ai pas encore eu de réponse de mon courrier qu’on a fait la, la mutuelle

383 C : hum, hum

384 Y : j’ai pas eu de réponse [silence] y’en a une qui va peut-être falloir qu’on écrive aussi, faut que je voie ça avec la directrice, écrire à la, au, à l’Etat pour des, des subventions de l’Etat

385 C : d’accord, alors si on va un petit peu en dehors d’E euh, quel regard portez-vous sur la société ?

386 Y : moi j’ai aucun regard

387 C : vous avez aucun regard

388 Y : non, non, les gens y sont comme y sont hein, ils sont vulgaires, ils sont vulgaires, euh ça me sonne mal à l’oreille mais j’irai pas leur dire

389 C : hum, hum

390 : [silence] non, parce que maintenant c’est, c’est beaucoup de vulgaire dans la rue, mais moi tu me feras pas descendre d’un trottoir pour que, si je suis sur un trottoir, je ne descendrai pas du trottoir pour laisser des jeunes passer, je passerai entre les jeunes, ça une chose je n’y fais pas de cadeaux hein, des fois j’ai ma copine elle rouspète, mais je dis : « mais j’ai pas à me déplacer hein », si dans le temps t’aurais laissé la personne âgée sur le trottoir, tu serais descendu du trottoir, oui tu vois j’ai pas de cadeaux à faire, parce que elle, elle fait des cadeaux, elle va avoir 80 ans cette année, elle va descendre du trottoir pour laisser un groupe de jeunes passer, moi je [inaudible] tu vois ?

391 C : hum, hum

392 Y : je suis quand même euh, je suis en ruse, parce que on me manque de respect

393 C : hum, vous avez des principes

394 Y : oui, bah si je vois quelqu’un qui ouvre sa porte avant moi, je vais la laisser la personne euh, je vais pas faire comme y’en a, des fois on doit ouvrir la porte de voiture et pis on va ouvrir la porte en même temps, non moi je regarde avant d’ouvrir la porte

395 C : d’accord

396 Y : parce que comme on dit [inaudible]

397 C : d’accord, donc vous ne portez aucun regard sur la société

398 Y : non, non, moi dimanche j’avais un petit passage comme ça à descendre de mon HLM, le gars il était en train de nettoyer sa voiture, il habite même pas dans cette HLM là parce qu’il était chez sa copine, il embarrassait tous les escaliers avec son aspirateur et tout, tout le passage, alors quand j’ai eu passé j’ai dit comme ça : « ben, on manque de culot », c’est tout ce que j’ai dit « on manque de culot » parce qu’on aurait très bien pu prendre tous les escaliers

399 C : d’accord

400 Y : y’a un manque de savoir-vivre maintenant pff [silence] souvent on voit le jeudi les tasses, comme samedi j’ai encore fait la vaisselle dans le coin là-bas, moi je comprends pas ça, ici les gens y doivent être paresseux

401 C : hum, et comment vous parleriez de votre intégration dans la société aujourd’hui ?

402 Y : shai pas

403 C : vous savez pas

404 Y : non, ben le samedi ça passe très bien avec les jeunes [i.e. « société » = « E » Cf. plus loin « société de boule de fort » = « association »], avec le groupe du samedi j’ai jamais de réflexions tu vois déjà, y’en a eu qu’un une fois, bah y s’est calmé hein, il a été trouver MC, MC elle a dit : « c’est Y qui décide pour le café », tu vois ?

405 C : hum, hum, est-ce que vous vous sentez intégrée dans la société ?

406 Y : oh bah dame même si je suis pas intégrée hein, pff, ça, ça passe à côté de mes, à côté de mes pompes là, si on trouve que j’ai dit que un mot de travers et pis que ça pas plu bah tant pis hein

407 C : hum, hum, vous passez outre

408 Y : oui c’est ça, c’est au-dessus de ma pointe de chaussures, si je dis à quelqu’un qu’est-ce que, d’abord moi je suis franche, je vais dire franchement à la personne euh, bah dis euh, t’aurais pu faire ça, pis c’est tout, point à la ligne hein, bah le mardi que je suis venue là, que j’ai parlé pour le café, et ben toute la vaisselle n’a pas été faite hein

409 C : hum, hum

410 Y : parce que j’ai bien vu les tasses que j’ai mis sur la table, faut pas me prendre [rires] pour une imbécile hein, parce que je sais qui c’est qu’avait pas lavé sa tasse, je l’ai dit mercredi à E, tu vois, on m’a dit : « bah dis donc Y tu savais les tasses que t’avais mis sur la table ? », j’ai dit : « bah oui », pas besoin de me faire un dessin hein

411 C : c’est quelque chose d’important pour vous, le café et la vaisselle

412 Y : oui, ça c’est très important

413 C : alors qu’est-ce qui est important dans ça euh ?

414 Y : la propreté, tu vois, parce qu’hier j’ai quand même été chercher une tasse, parce que lundi avec les anglais, parce que c’est moi qui leur offrait le café, parce que y’en avais une qu’avait amené des crêpes, donc j’ai dit « je vais offrir le café », et ben j’ai été chercher les tasses, ben y’avait deux tasses qu’étaient pas propres, j’ai mis dans le plateau à côté, parce que c’est pas dur de prendre le gratton pis de laver la tasse [silence] mais je suis peut-être un peu trop maniaque, d’abord souvent on me le dit

415 C : hum, hum, c’est ce que disent certains de vous euh ouais

416 Y : trop maniaque, parce que si t’es pas maniaque dans une association, parce que moi j’ai travaillé quand même euh à la boule de fort, hein, j’aurais eu ma table dégueulasse et que les gars ils seraient venus, ils auraient dit, hein, parce que moi j’ai eu des réflexions hein quand on est arrivé à, à la M là, maintenant on peut venir avec un autre costume du dimanche parce qu’on veut pas se salir, alors ça voulait dire, ça voulait tout dire, avant ils pouvaient pas venir avec leur costume

417 C : hum, hum, à la M c’est une société

418 Y : de boule de fort

419 C : de boule de fort, donc vous alliez là-bas euh ?

420 Y : non je, je l’ai tenu ça

421 C : ah oui d’accord

422 Y : alors les tables, comme le dessous des tables, j’avais tout lavé moi quand je suis arrivée, j’ai passé des jours et des jours à nettoyer l’association, la société parce qu’elle était pas propre

423 C : d’accord, donc la propreté c’est quelque chose de très important pour vous Y

424 Y : pour moi oui, moi j’aime pas voir des, des chewing-gum sous les tables, ça j’ai une horreur de ça, quand je touche à une table j’aime bien que pff [silence] et même quand je faisais la cantine, les femmes elles me le disaient : « Y, vous êtes trop maniaque »

425 C : hum, hum [silence] on en revient à ce qu’on disait tout à l’heure effectivement, hein, y’en a certains qui disent euh, qui disent de vous que vous êtes peut-être trop maniaque

426 Y : hum, mais moi j’ai dit euh : « pourquoi aller mettre un chewing-gum sous une table quand tu peux le mettre dans un cendrier ? » un chewing-gum c’est sale, ça a été dans ta bouche, dans la salive de la personne, tu vois sous une table ? [silence]

427 C : hum, hum, d’accord très bien, vous

428 Y : moi je sais que j’ai mangé du chewing-gum, et ben toujours je prenais un petit bout de journal, hop je roulais mon chewing-gum et dans la poubelle, moi à la M, le gars qui ouvrait la porte pour fiche son mégot par terre, devant la porte de la M, y se faisait engueuler hein, « et y’a pas assez de cendriers ? » que je faisais, et surtout qu’on ne laissait jamais, jamais de mégots dans les cendriers, parce qu’on avait une horreur mon mari et moi de laisser des mégots dans les, c’était, y’en avait un, hop, c’était mis dans la boîte en fer en dessous, pour qui, pourquoi ? euh, on n’aimait pas voir les cendriers sales, alors les gars le disaient : « ah, il va vider encore le cendrier » ou « Y elle va encore vider le cendrier », elle va le nettoyer

429 C : d’accord, donc Y on a vu beaucoup de choses euh

430 Y : voilà et moi j’ai toujours été, j’ai été élevée chez une mère qu’était très maniaque

431 C : hum, hum, d’accord, donc on en revient à votre histoire

432 Y : oui

433 C : votre maman très stricte euh

434 Y : très stricte, très maniaque euh et tout, et moi j’en ai gardé des souvenirs, et je suis pas, comme elles disent mes filles, « maman elle est maniaque mais elle a pas le torchon tous les jours dans les mains », parce que la maniaquerie c’est le torchon [inaudible] les gens qui sont très maniaques c’est ça, pas moi, j’aime que ça soit propre mais je prendrai pas le torchon tous les jours, tu vois ? j’aime avoir une vaisselle propre, ça la vaisselle, j’ai une horreur, même une poêle, tu vois tu fais cuire quelque chose des fois et ben il reste des taches, et ben va falloir que je prends de l’Ajax, passer de l’Ajax pour que ça soit propre, je suis très maniaque, bah même mon mari y me le dit hein [silence]

435 C : bien

436 Y : bah c’est peut-être parce que j’ai été habituée comme ça, parce que moi, j’avais pas une mère maniaque dans son armoire ou dans son linge, elle était pas maniaque, parce que toujours elle me disait comme ça : « ah, tu vas venir en vacances, tu vas ranger mon armoire », moi c’est des [rires]

437 C : hum, hum, d’accord, donc on a vu

438 Y : les slips et les slips, les maillots de corps et les maillots de corps, les chaussettes et les chaussettes, alors là, je vais te dire que, pour mes enfants, j’avais ma fille, ma deuxième fille, elle était un petit peu fourre-tout comme ça, et ben quand j’ai divorcé de [inaudible], elle partait tous les 15 jours à Q, combien de fois qu’elle a trouvé son linge sur son lit en arrivant, j’allais, je faisais des piles sur son lit, quand elle arrivait : « t’as encore mis tout le linge sur mon lit », moi je lui disais « t’as qu’à ranger ton armoire », elle savait pas ranger son armoire

439 C : hum, hum, d’accord, bon

440 Y : j’étais déjà stricte sur ce sujet-là avec mes enfants et tout petits, oh oui ils avaient 7 ans euh ils rangeaient leur linge dans leur armoire, tu vois ?, oui tout petits ils ont commencé à ranger, plier leurs chaussettes, oh, comme elle me dit ma fille : « on mettait nos chaussettes comme ça pis on faisait [gestes] hop, pis en deux, pis en deux, pis fallait les rabattre et pis tourner [inaudible] », y’en a qui font des nœuds, bah moi je préfère quand elles sont pliées, d’abord tu dirais que ça a été repassé, mes filles me le disent encore : « ah les sacrés chaussettes, qu’est-ce qu’on les maudissait nos chaussettes «  [rires]

441 C : bon

442 Y : oui j’ai toujours, est-ce que j’ai été maniaque toute gamine tu vois, parce que ma mère, pour ranger son armoire, non, elle était zéro

443 C : hum, hum, donc vous étiez stricte avec vos enfants pour la propreté et pour la lecture et l’écriture et pour les devoirs

444 Y : pour les devoirs

445 C : les devoirs d’accord

446 Y : fin le jour qu’ils ont eu chacun leur chambre, ou, c’est quand j’arrive avec mon deuxième mari, on a réparé la maison, chacun avait sa chambre, j’aime mieux te dire que le mercredi fallait qu’ils nettoyent leur chambre à fond et j’allais et je passais le doigt comme, comme quand j’allais travailler, je passais le doigt pour savoir si c’était propre, c’était comme ça que je faisais avec les enfants

447 C : bien, alors Y, on a vu un petit peu ce que vous avez pu dire de vos difficultés, ce que vous avez pu dire de vous même euh, on a vu ce que d’autres personnes comme euh vos employeurs ou votre mari pouvaient dire de, de vous même euh on a vu un peu votre histoire, votre parcours, on a vu votre avenir, vos projets euh, vos activités en dehors d’E euh la société, est-ce que vous voyez d’autres choses à rajouter par rapport à ce témoignage sur vos difficultés ?

448 Y : non

449 C : non ? vous pensez qu’on a fait le tour ?

450 Y : oui

451 C : oui

452 Y : oui, pis comme j’ai des copines euh, moi j’ai toujours eu des copines plus vieilles que moi, je fréquente personne, c’est 80, y’en a même une 97 ans

453 C : hum, hum

454 Y : tu vois ? et je suis fidèle, tu vois, la dame elle est en maison de retraite, elle ne vois plus, mais à peu près tous les 2 mois je vais la voir hein, tu vois je la laisse pas tomber, des fois elle me le dit : « oh ça fait longtemps » oh bah je lui dis « je vais vous dire à peu près la date que je suis venue hein », ah oui je suis très, très ponctuelle euh [silence] et pourtant je leur en fais hein, je le [inaudible] à la vieille fille là qu’habitait pas loin de chez nous quand on était à la M là, si je voyais que les volets étaient pas ouverts j’allais voir hein, ah oui, oui, oui

455 C : hum, hum, et vous parliez de vos difficultés avec euh

456 Y : ah oui, avec elle

457 C : hum, hum

458 Y : et maintenant elle me le dit « ça vous a fait du bien d’aller à E », même d’avoir pu, parce que des fois je lui lis des articles qui l’intéressent, comme y’en a un sur [inaudible – Y fait du bruit avec un objet sur la table], je vais l’emmener pis je vais le lire [inaudible]

459 C : donc elle a pu voir vos progrès, d’accord

460 Y : parce que quand je lui avais annoncé, elle avait dit « je suis contente de vous si vous [inaudible – Y chuchote] », je suis toujours encouragée, et je suis prête euh, moi maintenant j’en parle un petit peu plus des fois quand il vient du monde chez nous de l’association d’E, je dis c’est pas un déshonneur d’y aller, même y’en avait une qui vient le samedi matin pour l’ordinateur là, se servir d’un ordinateur, elle me dit comme ça : « si Y, je vais à E maintenant » [rires] tu vois ? et pourtant on habitait dans notre HLM, on l’a quittée, et je lui avais fait voir mon dictionnaire électronique là, ça l’avait beaucoup intéressée aussi, ouais comme on dit y’a des choses que, moi je dis faut laisser aux gens un temps de réflexion, parce que ça fait 3 ans qu’elle a quitté l’HLM, oh oui 3 ans, elle fait que de commencer à E, ça leur fait du bien aux gens, moi je dis y’a pas que d’apprendre à lire et à écrire à E, on peut se servir d’un ordinateur, d’apprendre à se servir d’un ordinateur, ou des jeunes pour le code, parce que des leçons de code et ben ça coûte, pis ici bah y sont gratuits, bah y’en a qu’une qui arrivera pas c’est celle qu’était avec nous tout à l’heure, elle aura jamais son code elle pff, elle a trop la tête en l’air, elle je me méfie quand je cause, y’a des choses qu’elle a entendu mais qu’elle répète de travers, ça je me méfie

461 C : bien Y, voyez-vous autre chose à

462 Y : non, à dire

463 C : non bah je, je vous remercie

464 Y : oui