1. Chronique d’une rencontre.

‘Notre contact avec l’œuvre est une rencontre. Toute rencontre est rencontre d’un autre, d’une altérité. C’est par où elle est une épreuve de la réalité.36

Notre intention est, dans cette première partie, de fournir au lecteur le plus d’éléments possibles concernant l’album dont nous présentons l’édition. Nous devrons ainsi prendre en compte le contexte historique de sa composition et les conditions matérielles de sa conception. Nous nous attacherons à présenter et à expliquer la genèse, les circonstances de l’élaboration de cet ouvrage, mais aussi celui de chacun de ses éléments (lithographies, notes, textes…). Il s’agit donc, dans la mesure du possible, de dégager de façon précise l’historique du projet, et la part prise par chacun dans l’élaboration et la conception de l’album ; d’esquisser, comme le disait Max Loreau, une « chronique de la création »37 de cet ouvrage. Car Matière et mémoire, ou les lithographes à l’école, à la fois album et livre de peintre, est une manifestation des relations ambivalentes qu’entretiennent entre eux les artistes et les poètes, comme le montre ici Yves Peyré :

‘Le "livre de dialogue" reste une manière imprévisible et intrigante de se lier, d’en venir à être ensemble pour deux créateurs autonomes s’en remettant à des expressions que presque tout oppose. Quand deux individus se rencontrent aussi soudainement, aussi nécessairement, il se dégage de leur dialogue une part de violence qui se nourrit de sentiments multiples et contradictoires : à la fois fascination, attrait, affection, agacement, incompréhension, révolte, fureur et tendresse. C’est une vraie relation, nullement superficielle, qui est alors en cause, quelque chose comme l’amitié ou l’amour peuvent en donner l’idée. De plus cette aventure est très souvent partagée par des tiers.38

Cette œuvre est donc le fruit d’un travail de collaboration, d’un dialogue à quatre mains, mais aussi à quatre voix. L’artisan peintre et le poète amateur de lithographies ont été guidés, conseillés par deux hommes avertis. Tout d’abord Jean Paulhan, qui, nous le verrons, se pose ici en commanditaire, puis en conseiller des deux parties, au fil des confidences épistolaires. Et ensuite Fernand Mourlot, l’imprimeur lithographe, qui imposera au peintre un certain nombre d’exigences à caractère technique ou d’ordre commercial ; tous deux mentors, l’un savant et l’autre spécialiste, vont influer de manière significative sur la genèse de l’œuvre. Nous avons choisi de commencer cette étude par une chronologie divisée en trois périodes, la première concernant l’élaboration du projet, qui va jusqu’en septembre 1944, la seconde nous renseignant sur le temps de la composition du texte et des lithographies, que nous avons délimitée entre septembre 1944 et novembre 1945, et la dernière, qui concerne à la fois la réception de l’album et sa postérité. Cette chronologie sera suivie d’une description sommaire de l’œuvre, afin que le lecteur possède tous les éléments indispensables à la compréhension de cette relation qui ressemble au premier abord à un « dialogue de sourds ».

Notes
36.

Henri Maldiney – L’Art, l’éclair de l’être, p. 10.

37.

Max Loreau – « Chronique de la Création », in. Jean Dubuffet, Délits, déportements, lieux de haut jeu, p. 9.

38.

Yves Peyré – « Le Livre comme creuset », in. Le Livre et l’Artiste : actes de colloque, p. 59.