2. Portrait de l’œuvre.

Cette œuvre nous invite donc à découvrir un dialogue demeuré inédit et dont l’histoire est singulière, puisque le texte et l’image n’ont jamais été à nouveau réunis, et ce malgré la notoriété toujours croissante de ses deux co-signataires. Car Jean Dubuffet, fondateur de l’art brut et partisan – paradoxalement – d’un art qui combine matière et esprit327, et Francis Ponge, poète du « parti pris des choses » et du « compte tenu des mots », n’étaient à l’époque de l’édition de Matière et mémoire, ou les lithographes à l’école que peu connus du grand public. La parution de l’ouvrage semble ainsi marquer un tournant dans leurs carrières respectives, chacun conférant à l’autre son appui. C’est justement à partir de l’année 1945 que tous deux s’imposent, lentement mais sûrement, comme des figures établies du panorama littéraire et artistique. Il est donc étonnant qu’une réédition de cet album n’ait jamais été proposée, malgré la richesse de ce type de collaboration, que met en évidence Yves Peyré dans son article « Le Livre comme creuset » :

‘Le « Livre de dialogue » permet de saisir la constance et la profondeur, et, pour le dire d’un mot, la nécessité, du rapport poésie / peinture. Il met en avant un compagnonnage permanent, une amitié idéale et réelle qui remonte à Mallarmé / Manet et qui nourrit toutes les novations successives : on ne sort pas du besoin de se confronter, le livre prolonge et pérennise l’idée de duo, de la poésie à la peinture et réciproquement, il établit un lien, il est cette fragilité du papier qui entend ne pas être moins qu’un tombeau, qui est tout autant le corps respirant d’un murmure prononcé dans le partage.328

Il était donc nécessaire de rendre accessible cette œuvre dans son ensemble, dans son intégralité, elle qui n’avait jusque là bénéficié que d’une diffusion confidentielle ou partielle. C’est là précisément ce qui a motivé ce projet de recherche. Car bien que le texte du poète ait été réintégré successivement dans Le Peintre à l’étude et L’Atelier contemporain, il a toujours été séparé, « mutilé »329 de son pendant lithographique, et par là même d’une partie de sa signification. Privé du dialogue initial il devient « commentaire d’une absence, description d’un invisible »330 : ainsi l’on ressent, à la lecture du texte de Francis Ponge – et ce malgré son indépendance affichée – le manque d’un référent dont il est sans cesse question.

Notes
327.

« L’acte de Dubuffet fait apparaître dans la matière les pouvoirs discriminateurs de l’esprit », Joë Bousquet, « À partir de Dubuffet », in. D’un Regard l’autre, p. 66.

328.

Yves Peyré – « Le Livre comme creuset », in. Le Livre et l’Artiste, p. 57.

329.

François Chapon – Le Peintre et le Livre : « Celle-ci se refuse à dissocier le contenu littéraire et le contenu plastique du livre […] D’aucune façon, ne pourrait être isolé, à moins de mutilation, tel ou tel élément. », p. 48.

330.

Gilbert Lascault – « Aventures d’une horizontale », in. Écrits timides sur le visible, p. 50.