Le poème est promesse de bonheur, ce « bonheur d’expression » qu’évoque Francis Ponge dans Matière et mémoire, ou les lithographes à l’école, et qu’il reconnaît dans la pratique lithographique de Jean Dubuffet, disant que « ce qui importe, c’est le bonheur d’expression » (M.M., p. 3). L’émotion, saisie par la raison, par le langage, par le travail d’écriture, comme le dessin absorbé par la pierre lithographique, se transmet du poète au lecteur. Mais cette émotion initiale est rectifiée, cette matière brute est travaillée, passée au filtre de la mémoire et de la raison, comme en témoignent les feuillets de notes manuscrites. C’est par les sens que le poète découvre sa pensée, mais c’est par l’esprit qu’il l’organise.
Jean Dubuffet transfigure le réel par l’intermédiaire de la pierre, il explore les mystères et les merveilles du monde minéral. Le peintre, puis le poète, se frayent un chemin dans la technique, la rencontre nourrit l’entreprise poétique : « la peinture enflamme l’écriture »552. Un lien réciproque s’établit, une correspondance entre deux expressions qui s’interpellent, s’interrogent et se répondent. Jean Dubuffet nous livre des instantanés du quotidien, pris sur le vif, ces moments sont captés par la matière, gravés dans la pierre puis le papier, imprimés par le poète dans la mémoire. Francis Ponge, comme la pierre lithographique, travaille la surface des mots, révèle ainsi leur profondeur, comme l’encre est déposée, absorbée et refoulée ensuite en surface. Le poète met en scène un apprentissage, celui du peintre, apprivoisant la pierre. Julien Gracq, dans son texte « Une Œuvre amicale », dit ainsi que « l’on pénètre dans l’atelier de Ponge comme on pénètre dans l’atelier des peintres qu’il a si volontiers fréquentés. »553
Nous commencerons par étudier le principe lithographique, avant de nous pencher sur la pratique particulière du peintre. Puis nous scinderons l’analyse génétique en deux séquences d’écriture, avec d’une part l’étude des notes de travail, qui mettent en lumière les progrès de l’idée, et de l’autre celle de la phase de rédaction.
Alain – Propos de littérature, p. 12.
Gilles Deleuze – « La Peinture enflamme l’écriture », in. Deux régimes de fous et autres textes, pp. 167-172.
Julien Gracq – « Une Œuvre amicale », in. L’Herne, p. 28.