C . Le développement durable : une notion critiquée et contestée

a . Le développement en question

La décroissance …

La notion de développement durable trouve ses plus ardents adversaires chez les écologistes radicaux qui critiquent la notion même de développement, mais aussi chez les écologistes plus modérés qui se méfient de cette notion qu’ils qualifient le plus souvent de « tape à l’œil ». Brice Lalonde, qui fut le ministre français de l’environnement entre 1987 et 1992, a refusé de publier le rapport Brundtland en France. La traduction paraîtra donc au Québec aux éditions du Fleuve (Brundtland, 1988), ce qui montre la résistance de l’écologie au développement durable. Notons au passage que le texte du rapport Brundtland est introuvable à l’heure actuelle en librairie en France. Nous devons nous contenter de travailler sur des documents internet. Ceci dit, bien que développement durable ne soit pas synonyme d’écologie, il n’est pas pour autant son antonyme.

Mais les écologistes sont pour la plupart des ardents défenseurs de la décroissance, qui déconstruit la notion de développement présentée depuis l’après-guerre comme universelle et naturelle par les sociétés industrielles. Notion de développement qui a supplanté celle de progrès mais qui a su remplir exactement la même fonction que cette dernière : établir une classification des pays du monde selon une échelle qui ne tient compte que de leur valeur économique. Les anciens pays colonisés deviennent des pays sous-développés au regard du système de valeurs occidental. Ce développement fut annoncé par le président des États-Unis, Truman en 1949, lors du traditionnel discours sur l’état de l’Union. Il est présenté comme naturel et universel, et devait être une solution économique aux problèmes politiques dans la mesure où la prospérité économique était selon lui la meilleure garantie de paix. Les 40 années de guerre froide qui succèderont à ce discours ne semblent pas lui avoir donné raison… Un rapport du CEPAL8 (2002)9 montre que le sous-développement résulte du développement dans la mesure où les pays développés se sont développés aux dépens des pays sous-développés, dont les ressources naturelles et humaines sont surexploitées. Donc le développement, loin d’être une solution, est ce qui cause les problèmes d’inéquités sociales et écologiques. Il faut attendre les années 90 pour qu’un nouvel indicateur de développement, l’IDH (Indice de Développement Humain), tienne compte non seulement d’indicateurs économiques, mais également d’indicateurs de développement social (taux d’illettrisme, espérance de vie…). Notons que cet IDH a été décliné en ISDH (Indice Sexospécifique de Développement Humain) ce qui a permis de mieux appréhender la réalité des inégalités des hommes et des femmes face au développement. Cet IDH ne balaye pas pour autant la notion de stade de développement encore très présente dans la terminologie employée dans les instances internationales.

Il s’agit donc pour les tenants de la décroissance de dénoncer cette surenchère occidentale du point de PNB et du point de croissance. À ce titre, ils reprennent l’analyse marxiste qui consiste à dire que la création de valeurs et de richesses ne peut se faire que par une spoliation et une exploitation de la force de travail et de la Terre. Toujours plus de croissance et de développement suppose toujours plus d’exploitation de cette main d’œuvre et des ressources naturelles. Un tel système économique ainsi fondé sur le développement doit sans cesse trouver de nouvelles ressources à exploiter, transformer et vendre, et trouver ou organiser les conditions sociales pour que les Hommes soient corvéables. Le développement, loin d’être universalisable, n’est en fait possible que si des grandes inégalités sociales sont créées. Bonnevault (Bonnevault, 2003, p. 109) souligne que seulement 20% de la population mondiale peut profiter de ce développement, les classes riches et moyennes des pays du Nord et les classes dirigeantes des pays du Sud. Reste à savoir si ce chiffre de 20% est un chiffre absolu qui ne pourra pas progresser selon le mode de développement des sociétés actuelles, ou ce chiffre est relatif à l’accession au rang de pays développés des grands pays comme la Chine, l’Inde et le Brésil ? Le développement est-il amené à se développer ou est-il un gros gâteau que l’on doit se partager ?

En tous cas, cette analyse du contenu des modes de développement, ainsi que la déconstruction idéologique de ce mode de développement, qualifié d’insoutenable par Bonnevault (Bonnevault, 2003, p. 197), permet à ce dernier de conclure son ouvrage comme suit :

‘« Le processus de développement, loin d’être la condition naturelle et universelle de l’humanité, constituait un projet typiquement occidental dont les origines correspondent à l’émergence de l’économie comme catégorie centrale de la vie sociale, et dont le mécanisme fondamental est en définitive le prélèvement sur l’Homme et la nature pour assurer une croissance économique infinie, considérée comme intrinsèquement " bonne " et " nécessaire " ». ’
Notes
8.

La Commission Economique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes

9.

La mondialisation et le développement. Disponible :

http://www.cepal.org/publicaciones/xml/7/10037/sintesisFRANCES.pdf