a . Le développement économique et la double prolétarisation des femmes

Comme le montrent quelques chiffres éloquents, si les femmes sont la moitié de l’humanité, elles sont plus que faiblement présentes dans les statistiques qui décrivent l’activité humaine. 1 % des propriétés mondiales sont possédées par elles, et elles ne touchent que 5% de la totalité des salaires versés, alors qu’elles ne fournissent pas moins des 2/3 de la force de travail. Sur la totalité des personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, 70% sont des femmes, et la pauvreté des femmes augmente plus vite que celle des hommes (ATAC, 2004). Les femmes ne sont donc ni propriétaires des terres qu’elles cultivent, ni de leur propre force de travail qui est gratuite. Ainsi, si c’est la question de l’aliénation qui est posée pour le travailleur homme, c’est bien celle, triviale, de la rémunération qui l’est pour les travailleuses, qui avec une rémunération nulle, seraient plutôt des esclaves. Elles sont présentes principalement dans les secteurs qui ne sont pas régis par les lois de l’économie marchande, notamment l’agriculture vivrière, secteurs qui, tant qu’ils sont dans les mains des femmes (ou pourrions-nous dire, tant qu’ils sont peu lucratifs sont laissés aux soins des femmes) sont de toute façon perçus comme étant dans la continuité des activités de la sphère domestique. Le problème majeur étant que les femmes entretiennent des terres et des biens dont elles ne sont pas propriétaires mais dont elles tirent leur subsistance ainsi que celle de leur famille, et bien qu’elles soient les exploitantes de ces biens, elles ne sont pas admises à prendre la parole sur la scène publique. Ainsi, ne faut-il pas segmenter ce qui est de l’ordre de l’accession aux droits économiques et civiques. Les deux sont intimement liés.

Pour ce qui est de la situation en France, 80% des travailleurs à temps partiels sont des femmes ce qui représente 30% de l’ensemble des travailleuses. Les écarts de salaire entre les hommes et les femmes restent en moyenne entre 25 et 10%. 80% des personnes travaillant au SMIG sont des femmes et enfin 70% des pauvres sont des femmes. La situation n’est donc guère plus réjouissante à l’échelle de l’hexagone23.

Les femmes ont donc été les grandes oubliées du développement et de l’histoire des civilisations (Fraisse, 1998, Perrot, 2006). Nous ne referons pas l’histoire des femmes et des civilisations ici, nous exposerons juste et analyserons en quoi cet enjeu de la place des femmes dans le développement puis dans le développement durable est crucial.

En effet, il est important d’introduire la variable sexe quand il s’agit d’aborder les questions de la croissance et du développement parce que, comme le montrent les chiffres sus mentionnés, les femmes ne jouissent pas de cette croissance économique et de ce progrès des civilisations au même titre que les hommes. Or ces questions qui sont abordées bien souvent sous un angle neutre et universel cachent ce phénomène. Le développement, la croissance, le progrès etc. ont toujours été menés par et pour des hommes, qui sont en capacité d’intervenir dans les sphères économiques, politiques et sociales, laissant aux femmes le soin de travailler et de s’ajuster aux exigences qu’imposent les différentes révolutions techniques. Il faut attendre Marx et Engels pour que cette mise au travail des femmes, voire, leur esclavage, au service des ambitions masculines soit dénoncée, dans Le manifeste du parti communiste (Marx & Engels, 1848) notamment. Comme le dit Engels dans L’origine de la famille, de la propriété et de l’État (Engels, 1884) la femme est la prolétaire du prolétaire. Marx et Engels montrent comment les femmes sont exploitées par le système économique et capitaliste comme elles le sont dans la sphère familiale. La sphère économique, comme la sphère domestique, est régie par un système patriarcal.

La sphère économique capitaliste, loin d’être un moyen et un outil d’émancipation possible pour elles, se transforme en un outil de domination de plus. C’est en vertu de cette analyse que les Black feminist studies reprendront cette idée que le travail joue un rôle plus qu’ambigu dans l’émancipation des femmes. Si les femmes blanches de classe moyenne et bourgeoise ont cherché à s’affranchir de l’emprise morale et donc financière des hommes via l’exercice d’une activité professionnelle, les femmes noires et pauvres quant à elles, contraintes d’enchaîner les journées de travail aliénantes et sous-payées, confrontées à la société occidentale raciste et sexiste, perçoivent le travail comme une aliénation de plus et non comme un moyen d’émancipation (Dorlin, 2008, Hill Collins, 2000).

Notes
23.

Source INSEE