a . Les représentations sociales : une théorie phénoménale

Les représentations sociales sont un phénomène (Moscovici, 1984b), elles seraient même le phénomène par excellence. Si nous nous référons à l’étymologie grecque de ce mot, phenomenon, le phénomène est ce qui apparaît, à l’opposé du noumène, qui est l’essence de l’objet que nous ne pouvons pas saisir de façon empirique. Le psychologue social, contrairement au philosophe, ne fait que comprendre le phénomène, en cela il est sophiste et bien éloigné du monde idéal de Platon48 (Billig, 1991b). Il n’est pas dans l’idéal, mais dans l’idéologie, il n’est pas dans le raisonnement, mais l’opinion (Billig, 1991a). Comme l’explique Moscovici (Moscovici, 1984b), les êtres humains ne comprennent la réalité qui les entoure que par l’image qu’ils se font des objets, mais cela n’est pas forcément une illusion : ces images deviennent des éléments à part entière de la réalité.

Si la phénoménologie est résolument tournée vers la réalité des objets, vers le monde qui entoure le sujet, comme en témoigne la mise à l’épreuve de la conscience par l’époché (Husserl, 1913), les représentations sociales ne s’intéressent pas tant aux représentations des objets, qu’au sens commun, c’est-à-dire à la logique argumentative, rhétorique, qui « habille » ces objets et qui en font des acteurs de la vie sociale. En effet, si la phénoménologie va jusqu’à reproduire une forme d’individualisme méthodologique, et ce de façon paroxystique avec la réduction méthodologique de Merleau-Ponty (Merleau-Ponty, 1944), quand bien même elle tendrait vers l’universel, les représentations sociales s’inscrivent, selon nous, dans une logique holistique. Billig (Billig, 1991c) va dans ce sens en disant que c’est bien la pensée publique qui permet la pensée intime, la pensée émerge de l’argumentation publique, mais aussi, bien sûr et avant tout pour Moscovici (Moscovici, 1998a), qui porte l’existence même d’une conscience non plus individuelle qui postule à l’universel, mais d’une conscience sociale qui, si elle est commune à toute société, n’est pas universelle en ce qu’elle est ancrée dans l’histoire et la culture. Cette approche phénoménologique permet d’introduire la notion si ce n’est d’inconscient, de non-conscient (Daanen, 2009) bien que Moscovici franchisse « cette limite » disciplinaire en évoquant l’inconscient (Moscovici, 1993c).

Les représentations sont donc le lien entre le visible et l’invisible, ce qui est explicable et étonnant… Et entre l’inconscient et le conscient, elles sont ce par quoi Moscovici essaye d’expliquer la question de l’origine de la société à maintes reprises (Moscovici, 1993b, 1993c, 1998a).

Notes
48.

D’ailleurs, aux colloques internationaux sur les représentations sociales de Rome (2006) et de Tunis (2010), les deux organisatrices qui ont ouvert ces colloques, Anna maria de Rosa et Dora Ben Alya, ont toutes deux repris au profit des psychologues sociaux l’allégorie de la caverne de Platon. Le prisonnier, affranchi de ses chaînes, serait un psychologue social (ou aussi un anthropologue, un sociologue ou autres). Cela nous semble relativement inexact et même contradictoire d’appliquer cette allégorie aux sciences humaines, qui, contrairement à la philosophie, et une chose est sûre, le prisonnier affranchi est un philosophe, Platon illustrant par là le destin tragique de Socrate - n’ont pas vocation à étudier le monde des idées, des choses en elles-mêmes, mais bien d’étudier la doxa, ce que fait le champ social de ces idées. Dans le premier cas, le philosophe a affaire à une vérité conceptuelle, idéale, dogmatique, dans le second cas, le scientifique social a affaire à une vérité que l’on pourrait dire pragmatique.