b . Les représentations sociales: outils de recherche

Tout l'intérêt aussi bien de l'étude des représentations sociales que leur utilisation comme instruments de recherche est que le chercheur en sciences sociales appréhende la réalité des phénomènes sociaux en contexte. Loin de la psychologie de laboratoire, l'étude des représentations sociales suppose une approche « du terrain », « hors-les-murs » de l'université. Il ne s'agit là aucunement de disqualifier une approche aux dépens de l'autre mais plutôt de les voir de façon complémentaire : « [...] l'attitude à l'égard d'un objet social dépend aussi d'un contexte où l'objet est saisi. » (Moscovici, 1961, p. 184). Autrement dit, l'approche en laboratoire, permet de révéler des régularités, voire des lois, de la psychologie, mais dans ce contexte de laboratoire, sont épurées du social. C'est ce complément d'analyse, dont le psychologue social ne peut pas faire l'économie, que les représentations sociales permettent d'étudier, les objets sociaux n'existant pas de façon abstraite. Dans cette continuité, Jovchelovitch (2007) fait des représentations sociales la possibilité de connaître l’humain autrement que par les théories cognitives, de laboratoire donc, mais aussi d’envisager l’être humain comme connaissant autrement qu’avec la seule cognition, coupé des passions. La connaissance est une œuvre humaine. Il n’y a donc pas de norme transcendante pour la définir, elle dépend du pragmatisme du contexte. Notons que, si Jovchelovitch (jovchelovitch, 2007) soutient qu’il y a une identité entre les connaissances et les représentations sociales, Castro et Batel (Castro & Batel, 2008) opèrent une différence entre des représentations sociales qui seraient immanentes et d’autres transcendantes.

Moscovici (Moscovici, 1961) donne l’exemple suivant pour montrer comment le contexte influence l'attitude qu'un groupe a vis-à-vis d'un objet social, la psychanalyse. Les ouvriers ont une attitude positive envers la psychanalyse si elle a pour fin d'améliorer le lien social, mais ils ont une attitude négative vis-à-vis de celle-ci, si est utilisée à des fins politiques. Ainsi, il n'y a pas d'attitude univoque des ouvriers vis-à-vis de la psychanalyse, c'est l'utilisation de l'objet par le champ social qui va expliquer leur attitude à son égard. Les caractéristiques sociales « objectives » des individus (CSP, couleur de peau, sexe, âge etc.) ne suffit pas à expliquer l'attitude engendrée par un objet social présenté de façon abstraite. Les individus, comme les objets sociaux, pensent et réagissent dans la société. Il faut sortir du dualisme sujet/objet et envisager plutôt une trilogie sujet/représentations sociales/objet, triangulation chère à Moscovici (Moscovici, 1984a), pour appréhender la complexité des attitudes et des comportements.

Comme outil de recherche, les représentations sociales peuvent être opérationnalisées comme n’importe quelle autre variable, comme variable indépendante ou dépendante. Wagner (Wagner, 1995) débat de cette question de l’opérationnalisation des représentations sociales comme variables, tout en mentionnant que les représentations sont versatiles : elles sont à la fois des processus de communication et du discours, et le produit de ces processus, des objets de représentations, partagés avec d’autres personnes. Si Wagner assume qu’on ne puisse pas savoir ce que sont les représentations, il ajoute que nous pouvons aussi difficilement savoir ce qu’elles expliquent comme ce dont elles sont l’explication, mais que par contre nous savons ce qui peut faire l’objet de représentation. Wagner souligne l’absurdité de l’assimilation des représentations sociales tant à une variable dépendante, ce qui reviendrait peut-être à un comportement, qu’à une variable indépendante : dans l’un ou l’autre cas on n’a pas la certitude d’apprendre quoi que ce soit.

Faire l’hypothèse que différents groupes auront des représentations différentes (VD), c’est trivial ; et nous ne savons pas ce que les représentations peuvent ou non expliquer (VI). C’est pour cette raison que Wagner (1995) propose un modèle d’explication alternatif et « soft » au modèle hypothético-déductif, plus adapté à l’étude des représentations sociales. Si dans le premier P est la conséquence de Q s’il n’est pas la conséquence de R, dans le modèle « soft », P est considéré comme la conséquence de Q s’il n’est pas la conséquence de non-Q. Autrement dit, au lien de considérer une cause comme valable si elle est nécessaire et suffisante, Wagner (Wagner, 1995) propose qu’une cause valable puisse être uniquement nécessaire.