a . Partage, consensus et controverse

Les écrits et les études empiriques portant sur les représentations sociales mettent l’accent sur l’aspect consensuel des représentations sociales, or, elles sont aussi et surtout issues du débat et de la controverse, peut-être même ce qui permet leur émergence. C’est ce que dit Marková (Marková, 2003) quand elle explique que les représentations sociales sont issues d’une rationalité dialogique : il s’agit d’une rationalité non pas individuelle, mais construite avec l’autre, entre ego et alter. Pour cela, la représentation de l’objet ne peut se satisfaire d’un consensus. Comme Breakwell le rappelle, (Breakwell, 1993b, 1993a, p. 180) : « The defining property of a social representation is not simply that it should be shared : the predicted internal structure of the representation and the extent to which it is dispersed within a recognizable group or social category will depend on the fonctions that it is serving »50. Les relations intra et inter groupes contribuent donc à former les représentations sociales (Breakwell, 1993a, p. 180) : « It emphazises that social representations are embedded in complex representational networks and that they are liable to change, whether in a subtile or a global way, as a result of their relationships to each other »51. Rose et al. (Rose et al., 1995) nous alertent aussi sur ce travers qui consiste à faire l’amalgame entre le degrés d’accord et le partage des représentations sociales : ce n’est pas parce qu’une représentation est partagée qu’elle met tout le monde d’accord. Par ailleurs, consensuel ne veut pas dire stable. Le consensus n’est qu’un phénomène momentané, et ne saurait être un phénomène réifié (Bangerter, 1995). Pour résumer, nous pouvons reprendre les propos de Gaskell (Gaskell, 2001, p. 239) : « To share is to have a part of the whole, but not necessarily to have the same part as everyone else »52.

À partir de quand peut-on parler d’une représentation sociale partagée ? Problème qui est aussi débattu par Hammond (Hammond, 1993), qui définit une représentation sociale partagée comme suit : « By a shared representation I refer to a set of knowledge, beliefs, and attributions concerning a given phenomenon, which are jointly held or expressed by some form of plurality be the persons, groups, or media artefacts. »53 (Hammond, 1993, p. 207). Ainsi, cela peut sembler paradoxal, mais les représentations sociales sont partagées quand elles permettent une controverse sur l’objet dont il est question : « The system of representations is the shared underpinning of groups, which enables a group’s members to converse about topics and issues and express divergent opinions about them. It delimits the possible dialogues which can unfold in the group’s living space ; but does not prevent them – more often than not – from being controversial. »54(Wagner & Hayes, 2005, p. 226). Wagner (Wagner & Hayes, 2005) met d’ailleurs en garde sur la comparaison, ou l’analogie, que le chercheur est tenté de faire entre différents groupes : l’objet n’est pas le même d’un groupe à l’autre puisque sa représentation est intimement dépendante de son contexte d’apparition : « In their concerted interaction, families and other groups enact the objects that populate their local worlds. These objects do not exist for an outsider in the same way they do for members of a group. »55(Wagner, Wagner & Hayes, 2005, p. 263). La représentation de l’objet se fait en même temps qu’elle est agie, il devient alors « domestique ». Le fait n’est pas donné, mais toujours innové. Nous pouvons reprendre cet exemple donné par Rouquette (Rouquette, 1995), l’objet « chasse » étudié chez les écologistes et les chasseurs n’est pas le même.

Notes
50.

« La propriété caractéristique d’une représentation sociale n’est pas simplement qu’elle doit être partagée : la structure interne prédictive de la représentation et l’étendue de sa dispersion dans un groupe reconnu ou une catégorie sociales vont dépendre des fonctions qu’elle sert ». Traduction personnelle

51.

« Cela souligne que que les représentations sociales sont entremêlées dans des réseaux complexes de représentations et qu’elles sont sujettes à changer, que ce soit de manière subtile ou globale, suite à leurs relations entre elles ». Traduction personnelle

52.

« Partager c’est avoir une partie du tout, mais pas nécessairement la même partie que les autres ». Traduction personnelle

53.

« Par représentation partagée j’entends un ensemble de connaissances, de croyances, et d’attributions portant sur un phénomène donné, qui est à la fois porté ou exprimé par une certaine forme de pluralité des personnes, des groupes ou des artefacts médiatiques ». Traduction personnelle

54.

« Le système de représentations est le fondement des groupes, qui permet aux membres d’un groupe d’échanger sur des sujets et des problèmes et d’exprimer des opinions divergentes à leur propos. Il délimite les dialogues possibles qui peuvent apparaitre dans leur espace de vie ; mais ne les empeche pas – et c’est souvent le cas – qu’ils soient controversés ». Traduction personnelle

55.

« Dans leurs interactions concertées, les familles comme les autres groupes agissent les objets qui rendent familier leurs mondes proches. Ces objets n’existent pas pour quelqu’un de l’extérieur, comme ils existent pour les membres d’un groupe ». Traduction personnelle