c . Le temps des représentations

Breakwell (Breakwell, 1993a) reprend ce que mentionne Doise (Doise, 1993) dans le même ouvrage : les chercheurs se sont concentrés sur l’étude de certains aspects des représentations sociales comme l’ancrage et l’objectivation, ils ont laissé de côté comment les groupes pouvaient générer des représentations sociales de façon à ce qu’elles servent leurs aspirations. Cette analyse des représentations sociales se fait à un niveau méta. L’étude des représentations sociales n’est pas seulement descriptive, et seulement sur des représentations sociales existantes, mais aussi prospective : les objectifs qu’ont en commun les groupes sont tout aussi constitutifs des groupes que les représentations sociales qu’ils partagent, et ces premières influencent les secondes. Et c’est sans compter sur le fait que ces aspirations et ces représentations intra et inter groupes sont portées par les trois types de communication que Moscovici décrit dès 1961 : la diffusion, la propagation et la propagande. Ces trois types de communication portent trois niveaux de partage des représentations sociales, partage ne voulant pas dire consensus, il pouvant être plus ou moins consensuel.

Ainsi, la théorie des représentations, qui permet de montrer que l’individu n’interagit pas avec l’objet ou même un autre individu (Abric, 1989) mais avec la représentation qu’il s’en fait, montrent qu’elles ont une fonction prospective : nous allons adapter notre attitude à la représentation que nous avons de l’interaction qui est à venir comme cela avait déjà été étudié (Kogan & Doise, 1969). Abric (Abric, 1989, p. 222) résume ainsi les résultats de sa recherche :

‘« Grille de lecture et de décodage de la réalité, les représentations produisent l’anticipation des actes et des conduites (de soi et des autres), l’interprétation de la situation dans un sens préétabli, grâce au système de catégorisation cohérent et stable. Initiatrices des conduites, elles permettent leur justification par rapport aux normes sociales, et leur intégration. »’

Valsiner (Valsiner, 2003b, 2003a) présente les représentations sociales comme étant le lien, la médiation entre le présent et le futur, elles sont dialogiques dans le temps : « Moscovici has captured the back-and-forth movement between representing and experiencing : representing is needed for experiencing, while experiencing leads to new forms of representing. »57 (Valsiner, 2003b, p. 3).

Cette dimension temporelle a été intégrée à la triangulation originelle de Moscovici par Gaskell (Gaskell, 2001), pour faire du triangle un « Toblerone », une représentation sociale est alors une tranche de ce Toblerone. Cette relation ne se définit plus par trois termes mais par quatre, il s’y trouve toujours le sujet, l’objet et alter, mais Gaskell ajoute une projection dans le temps, « Project ». Si les trois termes de la triangulation de Moscovici sont le socle nécessaire qui permettent une communication et d’élaborer un sens, la projection est ce qui permet de lier les deux sujets qui communiquent sur l’objet. En effet : « Depending on the project of the group, social representations may serve a variety of fonctions including ideological, identity, mythical, stereotypical, or attitudinal. »58(Gaskell, 2001, p. 235). Ainsi les représentations vont permettre au groupe de se représenter dans le temps, et de représenter l’autre. Cela dit, Moscovici appréhende cette dimension réflexive autant que prospective des représentations sociales en faisant de celles-ci la condition sine qua non de la société (Moscovici, 1998b), la société existe par les représentations qu’elle produit d’elle-même : « It is when knowledge and techniques are changed into beliefs that theys brings people together and become a force which can transform individuals from passive members into active members who participate in collective actions and in everything that brings existence in common alive. »59 (Moscovici, 1998b, p. 125). Jovchelovitch (jovchelovitch, 2007, p. 71) évoque la « Togetherness » pour comprendre ce qui est produit par la société pour se représenter : « Togetherness is not something that is already there, a priori, or emerges ready-made in social life. Togetherness is a long and labour intensive process that needs to be constructed ; it is achievment. »60. Vivre en société n’est donc pas un point de départ, mais l’achèvement d’un long processus d’élaboration collectif. Vivre ensemble est donc rendu possible par l’inlassable réflexion que fait la société sur elle-même.

Notes
57.

« Moscovici a compris le va et vient entre se représenter et faire l’expérience : se représenter a besoin de l’expérience, alors qu’expérimenter conduit à de nouvelles façons de se représenter ». Traduction personnelle

58.

« Dépendant du projet du groupe, les représentations sociales peuvent être l’instrument de plusieurs fonctions entre autres idéologique, identitaire, mythique, stéréotypique et attitudinale ». Traduction personnelle

59.

« C’est quand la connaissance et les techniques deviennent des croyances qu’elles réunissent les gens, et deviennent une force qui transformer des individus initialement passifs en membres actifs participant à des actions collectives et à toute chose participant à la vie commune ». Traduction personnelle

60.

« Vivre ensemble n’est pas quelque chose préexistant déjà a priori ou qui émerge comme allant de soi, dans la vie sociale. Vivre ensemble est un long et laborieux processus intensif qui a besoin d’être construit ; c’est un aboutissement ». Traduction personnelle