II . Les représentations sociales : outils d’étude de la psychologie sociale

La naissance des représentations sociales est à la fois la naissance d’un champ théorique en sciences sociales, et la naissance d’un objet d’étude. C’est avec la première étude de Moscovici, portant sur la psychanalyse, que la théorie des représentations sociales voit le jour dans La psychanalyse, son image et son public en 1961. Ce nouvel objet scientifique, la psychanalyse entrait alors dans les mœurs, c'est-à-dire que tout un chacun l’utilisait pour expliquer son quotidien. Cette théorie scientifique sort donc du cabinet du psychanalyste pour imprimer « l’air du temps » de ses contemporains et devenir une matrice d’explication des comportements de chacun. Les profanes exercent la psychanalyse et sont pris dans le champ d’explication de la psychanalyse dans la rue, dans leur famille, dans les magazines… Moscovici en 1961 s’atèle à étudier cette appropriation par le sens commun de la théorie psychanalytique.

Les présupposés de cette étude sont révolutionnaires : Moscovici ne veut pas montrer l’appropriation de la psychanalyse par le sens commun comme un détournement médiocre du champ scientifique, mais comme une sorte d’exemple de la complexité de la pensée du sens commun. La psychanalyse sert à Moscovici à mieux comprendre comment un objet scientifique est repris par le sens commun et le profane, qui constituent une autre forme de connaissance de la réalité que le scientifique. Il s’agit d’une épistémologie du sens commun.

Notre étude des représentations sociales du développement durable part de ce même préalable. Notre thèse a l’ambition de saisir les représentations sociales du développement durable qui sont à l’œuvre dans un contexte institutionnel bien délimité. Mais une différence majeure avec l’objet d’étude de Moscovici est que, comme nous l’avons détaillé dans notre première partie, le développement durable n’est pas une notion scientifique. Elle est même présentée comme étant tout le contraire : c’est une notion qui a été élaborée de façon participative, et n’a pas la prétention d’être une théorie qui dit le vrai, mais se veut une pensée qui dit le juste. Il s’agit d’un système moral plus que d’un système « de vérité ». Certains le qualifient tout de même de paradigme dans la mesure où le développement durable, comme une théorie scientifique, porte une vision du monde.

Si dans l’étude de Moscovici l’enjeu était de constituer une épistémologie du sens commun qui avait comme but de montrer que celui-ci était pourvoyeur de connaissances, l’enjeu de notre étude se situe sur le pouvoir : quel pouvoir a le sens commun sur la production de ce qu’est le développement durable ? En effet, si la dichotomie qui était en jeu dans La psychanalyse, son image et son public était vérité/erreur, dans notre cas la dichotomie en jeu est pouvoir/impuissance. Le développement durable est un paradigme non-scientifique et élaboré de façon dite participative, le problème majeur auquel il est confronté reste tout de même celui de la participation des institutions et des individus au développement durable. Cette participation qui est souvent entendue sur le mode de l’action, mais n’envisageant pas la participation et les représentations comme deux facettes d’un phénomène duel d’un même phénomène mais comme la même et seule facette de l’enjeu développement durable. Nous nous proposons d’étudier le développement durable dans cette perspective : comment le positionnement des individus influence la production des représentations sociales du développement durable, ce qui revient à nous demander quel pouvoir les individus ont sur la production des représentations sociales du développement durable ?

C’est bien parce que la notion de développement durable est poreuse, comme nous l’avons souligné dans notre partie précédente, qu’au-delà de l’adhésion consensuelle qu’elle suscite, il semble se cacher une réelle cacophonie des traductions. Le développement durable est donc un objet d’étude légitime pour la théorie des représentations sociales.