L’approche structurale de l’École d’Aix

Cette approche de la théorie des représentations sociales est dite du noyau central, elle a été élaborée principalement par des chercheurs d’Aix-en-Provence et fait l’hypothèse selon laquelle les représentations sociales sont composées de différents éléments qu’il est possible de hiérarchiser, d’où le qualificatif de « structurale ». Cette approche de la théorie des représentations sociales a été éprouvée dans plusieurs études, montrant par là sa solidité et sa pertinence (Abric, 1984, Moliner, 1989, Morin, 1990, Guimelli, 1994, Rateau, 1995, etc.)

Abric définit cette approche comme suit : « Tous les éléments de la représentation n’ont pas la même importance. Certains sont essentiels, d’autres importants, d’autres, enfin, secondaires. » (Abric, 2003, p. 59). Il ajoute : « Une représentation sociale est un système socio-cognitif présentant une organisation spécifique : elle est organisée autour et par un noyau central - constitué d’un nombre très limité d’éléments - qui lui donne signification (fonction génératrice) et détermine les relations entre ses éléments constitutifs (fonction organisatrice). » (Abric, 2003, pp. 59-60, Abric, 2001). Étudier le noyau central d’une représentation permet selon Abric (Abric, 2003) de ne pas attribuer une représentation similaire à deux groupes différents. En effet, en s’en tenant à une analyse à plat d’une association lexicale, les mêmes mots peuvent très bien être évoqués par deux groupes différents, mais sans pour autant que ces mots aient tous la même importance d’un groupe à l’autre.

Ce noyau central est constitué de ce qui est essentiel à la définition de la représentation de l’objet, en l’absence des éléments constitutifs du noyau, il ne s’agit plus de la représentation de l’objet en question. Ce noyau est donc aussi l’élément le plus stable de la représentation, le changement de ce noyau central entraîne un changement radical et un changement de signification de l’objet dont il est question. Ce noyau central est entouré d’éléments périphériques qui eux aussi font partie de la représentation de l’objet, mais ce de façon contingente. Le changement d’un élément de cette zone ne saurait être que superficiel. Le noyau central « […] prend pour le sujet statut d’évidence, il est pour lui la réalité même, il constitue le fondement stable autour duquel va se construire l’ensemble de la représentation. » (Abric, 1994a, p. 21).

Cela dit, cette zone périphérique, bien que périphérique, n’a pas moins d’importance dans la structure de l’organisation que le noyau central. En effet, cette zone périphérique a deux fonctions essentielles : une fonction de régulation, - c’est ce qui permet à la représentation de s’adapter aux changements et d’intégrer de nouvelles données -, et une fonction de défense : il s’agit du « pare-choc » de la représentation selon les termes de Flament (Flament, 1987). Flament assimile ces éléments périphériques à des schèmes qui sont organisés par le noyau central (Flament, 1987, 1989, 1994). Ces schèmes sont au nombre de trois : ils sont prescripteurs de comportement, c’est nous semble t-il le mieux connu ; ces schèmes permettent une modulation personnalisée de la représentation ; et enfin, ces schèmes protègent le noyau central notamment en supportant la contradiction grâce aux schèmes étranges.

Ce noyau a deux fonctions essentielles, une fonction génératrice et une fonction organisatrice. La première est que le noyau donne à tous les autres éléments de la représentation un sens et une valeur, la seconde est que le noyau détermine la nature des liens qui unissent les éléments de cette représentation. Le noyau est donc porteur de la signification et d’une certaine trame logique de la représentation.

Par ailleurs, ce noyau peut être influencé par le contexte et la finalité d’une situation au cours de laquelle l’objet de la représentation est en jeu. Le noyau revêt alors deux dimensions différentes : une dimension fonctionnelle qui permet de ne retenir de la représentation que les éléments les plus importants pour la réalisation de la tâche, une dimension normative qui intervient dans une situation à fort enjeu social, socio-affective et idéologique.

Un développement de cette analyse a été effectué du côté de la zone muette des représentations sociales. Nous ne ferons pas référence à cet aspect de la théorie, mais nous en dirons quelques mots rapidement. Cette zone muette est un aspect des représentations sociales qui est tu par les sujets lors de leurs réponses notamment à une tâche d’association lexicale. Le processus méthodologique employé pour surmonter ce tabou est le questionnaire par substitution (Abric, 2003) : les sujets répondent déjà en leur nom, puis sont amenés à répondre à la même question mais en se mettant à la place « des autres » en général, ou de membres d’un autre groupe. Les données collectées dans ces secondes réponses révèlent effectivement bien souvent l’aspect négatif de la représentation, ce qui laisse entendre que les premières réponses restent celles dictées par la désirabilité sociale. Le fait de répondre en se mettant à la place d’un autre diminue la pression normative à laquelle sont soumis les répondant.e.s.

Cette approche permet à la fois de délimiter rapidement les éléments partagés d’une représentation, mais aussi d’étudier les divergences qu’il peut y avoir entre les représentations de différents groupes. Le fait que certains éléments soient partagés ne veut pas dire pour autant qu’ils soient consensuels. C’est une autre approche, introduite ci-après, qui nous permet d’en savoir plus sur les éléments de la représentation qui sont générateurs de prise de position.