L’approche de l’École de Genève, les principes organisateurs

Pour mener à bien notre étude des représentations sociales du développement durable et la façon dont elles organisent et sont organisées par le champ social, nous reprendrons notamment les travaux initiés par l'école de Genève. Cette branche de l'étude des représentations sociales a montré toute sa pertinence au travers de nombreuses études et a été définie comme telle par Doise, Clémence et Lorenzi-Cioldi (Doise et al., 1993).

En effet, cette approche de la théorie des représentations sociales permet de les envisager non plus seulement dans leur aspect consensuel, mais aussi parce qu’elles permettent de débattre, sans que la représentation soit partagée : « Sharing common points of reference does not imply consensual agreement, while a debate implies shared knowledge. social positionning derives from the anchoring of the shared knowledge in different groups. These groups are not only different because they do not have access to the same information, but also because their members share specific beliefs and experience »61 (Clémence, 2001, p. 87). Ainsi, si la théorie du noyau central, nous semble-t-il permet principalement d’étudier l’objectivation d’une représentation, l’approche des principes organisateurs permet, elle, d’en voir l’ancrage. Bien qu’elles permettent une approche radicalement différente de la théorie des représentations sociales, voire que l’une critique l’autre, il est difficile de soutenir qu’elles se contredisent ; elles sont plutôt complémentaires.

Pour cette approche des principes organisateurs, les représentations sociales sont définies « […] comme des principes générateurs de prises de position qui sont liées à des insertions spécifiques dans un ensemble de rapports sociaux », ces principes organisateurs constituant « […] ces schèmes [qui] organisent les processus symboliques intervenant dans les rapports sociaux » (Doise & Palmonari, 1986, p. 89). Ainsi, Clémence (Clémence, 2001) procède à une sorte de dichotomie entre la connaissance commune qui serait de l’ordre de l’automatisme, comme le sont les stéréotypes par exemple, et une pensée consciente ou contrôlée qui serait alors de l’ordre du positionnement social dans la mesure où il s’agit d’émettre une opinion qui coïncide avec un système normatif dont l’individu a fait l’acquisition au cours de son processus de socialisation.

Ainsi l’approche des principes organisateurs, bien qu’elle soit psychosociale, est fortement ancrée dans l’analyse sociologique, et notamment dans la notion de champs de Bourdieu. En effet, Doise traduit les notions d’habitus et d’hexis dans le terme de positionnement social. Ce positionnement social est le résultat d’une production, voire même d’une re-production sociale, qui bien que sociale, détermine la place de l’individu dans la société.

Il se trouve alors à une place déterminée à la fois par et dans la société, qui conditionne son accès aux informations et aux expériences. Ainsi, le positionnement social est en lien avec la façon dont le sujet va appréhender et va en faire l’expérience des objets sociaux. C’est pour cela que Doise fait bien la différence entre le partage de points de référence et le consensus, et qu’il souligne que le débat, s’il est le signe de la dissension, sous-entend pourtant que des connaissances soient partagées. C’est toute l’importance de l’ancrage des représentations sociales : si l’objectivation rend l’objet concret, l’ancrage s’inscrit dans l’expérience qu’a le groupe de l’objet, celle-ci dépendant de la place qu’occupe dans le champ social ce groupe.

D’ailleurs Moscovici (1961) décrit les mécanismes, qui gouvernent le principe de formation des représentations sociales. Parmi ces mécanismes il y a le verbalisme et l'ellipse, l'ancrage et l'objectivation. Nous entrerons dans le détail de ces deux derniers mécanismes.

Notes
61.

« Partager des points communs de référence n’implique pas un consensus, alors qu’un débat implique des connaissances partagées. Le positionnement social découle de l’ancrage des connaissances partagées dans les différents groupes. Ces groupes ne sont pas seulement différents parce qu’ils n’ont pas accès aux mêmes informations, mais aussi parce que leurs membres partages des expériences et des sentiments spécifiques ». Traduction personnelle