b . Le familier et l’étrange

Nous avons la prétention d’avoir pu concilier ces deux statuts en étant à la fois dedans et dehors, et non pas ni l’un ni l’autre. Ce qui nous permet d’affirmer cela est le rôle complémentaire que l’institution nous a fait jouer mais aussi l’incessant changement de statut que l’institution a utilisé pour nous présenter, ce que nous détaillons plus loin.

Cette question d’être en dehors ou en dedans, ou d’être familière ou étrangère est un problème méthodologique essentiel en sciences sociales et touche à la légitimité et la pertinence de l’analyse du chercheur comme membre du groupe d’appartenance ou de l’exo-groupe du groupe étudié. Dans notre cas, il s’agit d’être un agent ou non de l’institution, ou du moins d’être considérée ou non comme tel.

C’est la question posée par Corbey et Leersen (Corbey & Leersen, 1991) sur la possibilité d’écrire la culture de l’autre. Miller et Glassner (Miller & Glassner, 1997, p. 105) soutiennent que « […] researchers should be members of the groups we study, in order to have the subjective knowledge necessary to truly understand their life experiences. »67, supposant par là qu’aucune connaissance n’est possible pour un membre de l’exo-groupe. Back (Back, 1990) souligne pourtant que cette empathie entre sujet et chercheur comporte le risque que le chercheur puisse parler au nom des sujets et devenir un porte-parole, ou de rester au « taken for granted »68, ne pouvant se dégager de cette familiarité. Nous ne ferons aussi que reprendre une critique vive de cette promotion de la sympathie comme sol de la connaissance en sciences sociales, en dénonçant l’essentialisme qu’elle suppose, ce qui est notamment le cas des gender studies et des black studies, argument porté par Butler (Butler, 1990). De plus l’identité aussi bien du chercheur que du sujet ne pourrait se résumer à cette appartenance à un groupe. Dans notre cas, effectivement, si la double appartenance institutionnelle était la plus triviale composante de notre identité, nous pouvons aussi mentionner notre familiarité aux idées féministes, écologistes, décroissantes et développement durable, que nous partagions parfois avec nos sujets. Il serait utopique de pouvoir résumer l’identité du chercheur ou celle des sujets à l’objet de la recherche, ou aux opinions qu’ils auraient de l’objet, qui leurs seraient communes ou non.

Howarth (Howarth, 2002) essaye de résoudre ce débat grâce à la théorie des représentations sociales. Le chercheur ne peut s’extraire de sa culture, il est baigné dans ses représentations sociales et ce sont elles qui lui permettent de comprendre et d’engendrer un savoir sur le monde qui l’entoure. Potter et Edward (Potter & Edward, 1999) poussent cette base méthodologique à l’extrême en remarquant qu’une étude sur les représentations sociales en apprend plus sur les représentations sociales des chercheurs que des « recherchés ». Étant en perpétuelle performance de soi, le chercheur comme les sujets se re-présentent durant la recherche (Duveen, 2000). Ce qui peut ressembler à un piège pour le chercheur, est pourtant ce qui constitue la réalité, ou une réalité, issue de la négociation des représentations sociales (Moscovici, 1993b). Le chercheur, faute de pouvoir s’en extraire, ne peut faire au mieux qu’apprivoiser ses propres représentations…

Notes
67.

« Les chercheurs doivent être membre des groupes que nous étudions, afin d’avoir la connaissance subjective nécessaire pour comprendre réellement leurs expériences de vie ». Traduction personnelle

68.

« Allant de soi ». Traduction personnelle