b . Faire l’expérience du terrain de recherche

Par ailleurs, au-delà des circonstances de notre arrivée et de la place que notre recherche a pris dans l’institution, nous devons faire état de quelques interactions que nous avons eues avec notre institution d’accueil et qui touchent cette fois-ci à nos conditions de travail.

La difficulté de nous trouver un lieu d’ancrage a été résolue par une responsable de service de la DRH qui est ensuite devenue notre tutrice. Or, notre arrivée a précédé la mise en place du nouveau mandat, transition durant laquelle notre tutrice, mais aussi la conseillère politique à l’initiative de notre thèse, ont connu une période de disgrâce, ce qui a amplifié nos difficultés d’insertion. Nous ne voulons pas voir ici un lien de cause à effet entre ces disgrâces et notre arrivée, mais nous pouvons affirmer que ces deux personnes, connues pour leur caractère affirmé, ce qui leur a justement permis de porter cette thèse, chose jusqu’alors atypique dans cette collectivité, leur a été fatal. Soulignons aussi que cette thèse a d’abord été une affaire de femmes que ce soit sur le plan politique ou administratif. La disgrâce de ces deux personnes, dont nous faisions état comme référentes de notre recherche au sein de l’institution, nous a offert quelques prises à partie lors de nos sollicitations pour l’enquête exploratoire, ainsi que l’indifférence de nos collègues de travail à notre égard ayant peur d’afficher une sympathie, même indirecte, à notre tutrice qui était alors marginalisée.

Enfin, nous devons mentionner un dernier événement qui a fortement influencé, si ce n’est notre positionnement institutionnel, au moins notre vécu individuel auprès de cette institution. Cet événement, au-delà de l’anecdote, a été révélateur du rôle et du statut que l’institution nous ont accordés. Notre terrain de recherche fut durant toute cette recherche, aussi notre employeur, nous avons donc eu l’occasion d’entretenir ce rapport employeur/employée avec elle. Or ces rapports ont été conflictuels durant quasiment la moitié de notre recherche en raison d’une négociation qui s’est révélée infructueuse avec le service de la DRH en charge de la gestion des doctorant.e.s, nous étions alors au nombre de trois, concernant notre temps de travail. En effet, au bout d’un an de présence dans l’institution, lors du traitement de l’arrivée d’autres doctorant.e.s, ce service s’est rendu compte qu’il avait fait une erreur : nous avions signé des contrats de droit public et non de droit privé. La révision de ce contrat a justifié une révision de notre temps de travail ramené à 35h00 au lieu des 37,5 heures initiales, ce qui nous ôtait le droit aux RTT. Dans notre cas particulier, nos RTT nous ont été retirés un an avant la signature du nouveau contrat, et ce de façon rétroactive, sur des semaines travaillées, sans compensation financière. Nous étions alors trois doctorant.e.s dans ce cas et avons essayé de faire valoir nos droits et ce sans succès durant toute cette année. Les tensions qu’ont suscitées ces négociations avec nos collègues de travail en charge de notre dossier nous ont affectée au moins sur le plan personnel puisque nous irons jusqu’à être accusée d’insubordination envers notre hiérarchie, de harcèlement moral sur nos collègues, mais aussi menacée de licenciement69.

Au-delà de la négociation sur la récupération de nos RTT cumulés, nous avons dû affronter avec nos deux autres collègues doctorants, l’incompréhension, s’il ne s’agissait pas de mépris, liée à notre statut de doctorant CIFRE : le vocabulaire utilisé à notre égard lors de ces négociations était « stagiaire », « apprenti », au mieux « thésard ». Non pas que nous ayons un quelconque mépris pour ces apprenants, nombreux dans cette institution, mais ce vocabulaire était utilisé pour justifier le traitement exceptionnel dont nous profitions comparé à ces autres statuts. Traitement d’autant plus exceptionnel compte tenu que, pour les personnes en charge de notre contrat de travail, notre salaire mensuel était ramené sur la base de notre temps de présence dans l’institution, à mi-temps, et non sur un plein-temps classique.

Au-delà de la gestion cavalière de ce dossier et de l’atteinte triviale aux droits auxquels nous pouvions aspirer, cette négociation nous a permis de voir que notre fonction n’a pas été comprise par la DRH elle-même : pour elle nous étions une apprentie en formation, travaillant pour l’institution à mi-temps, et non une doctorante, pouvant fournir du savoir à l’institution, travaillant à plein temps sur la proposition de recherche dont elle était pourtant à l’initiative. Ajoutons aussi que, notre doctorat ayant comme objectif de comprendre et de proposer une mise en œuvre organisationnelle au niveau des ressources humaines du développement durable, nous avons pu vivre nous-mêmes une situation de souffrance au travail comme certain.e.s des participant.e.s ou informateur.e.s ont pu s’en faire l’écho. Notre réflexion avait justement vocation à intégrer toutes ces problématiques de souffrance au travail à celle portant sur développement durable dans l’institution.

Ces expériences de l’institution n’ont pas été des lapsus institutionnels, mais plutôt une mise en situation paroxystique de ce que nous rencontrions par ailleurs comme regard sur notre fonction et notre recherche au sein de l’institution. En effet, tout le long de notre recherche, nous avons été confrontées au fonctionnement institutionnel qui est de rigueur dans cette collectivité. Deux mécanismes y sont particulièrement prégnants, le secret et la méfiance ainsi que le cloisonnement hiérarchique et la « catégorisation » des agents.

Notes
69.

Bien que la rupture de contrat soit très difficilement envisageable dans le cadre d’une convention CIFRE, surtout dans ce cas de figure où c’est l’institution d’accueil qui était en faute.