II . L’intégration de la recherche à la stratégie de l’institution

Si ce doctorat était d’abord une initiative politique, il ne s’inscrivait pas moins dans les projets qui animaient l’administration, bien qu’il soit évident que l’on peut difficilement dissocier le politique de la structure administrative.

Au moment de notre arrivée, plusieurs initiatives tantôt sous la forme de projets, d’autres sous forme de diagnostics ou de réflexions, avaient comme objet l’égalité entre les hommes et les femmes et la lutte contre les discriminations que ce soit à l’échelle organisationnelle ou territoriale. Ces initiatives étaient plus ou moins liées au développement durable.

Pour ce qui est des initiatives territoriales, cette collectivité comme quelques autres en France, a fondé une mission « Espace des temps » afin de réfléchir à une meilleure qualité de service sur le territoire à ses habitant.e.s en ayant comme base de réflexion l’articulation du temps de travail et du temps privé. En effet, il s’agit de s’adapter aux rythmes de travail atypiques, mais aussi aux déplacements de loisirs ayant lieu aussi bien la nuit que la journée, et jusque dans les banlieues les moins bien desservies par les transports en commun. Cet Espace des temps a aussi vocation à prendre en compte la nouvelle donne socio-démographique qui est l’explosion du travail des femmes sur ces trente dernières années et des familles monoparentales majoritairement féminines.

Cet Espace des temps a permis d’ouvrir des crèches ouvertes 24/24, d’améliorer les transports en commun nocturnes, d’étendre les horaires d’ouverture de services publics, qu’il s’agisse de préfectures, de mairies ou de la Poste, d’instituer deux marchés hebdomadaires l’après-midi etc.

Cette mission est donc au cœur d’une réflexion dite de développement durable dans la mesure où elle tient compte des exigences économiques auxquelles doivent se plier les individus, en privilégiant les transports en commun et doux, tout en ayant en ligne de mire que les temps de vie ne sont pas les mêmes pour les hommes et les femmes : les horaires décalés ainsi que la garde d’enfants concernent principalement les femmes.

En parallèle de cette mission, à notre arrivée, un Indice de Participation de Femmes a commencé à être élaboré. Cet IPF70 est une transcription à l’échelle territoriale d’un indice calculé par ailleurs à l’échelle nationale par le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement), dans la suite du succès remporté par l’Indice de Développement Humain. Cet indice permet de calculer quelle est la place des femmes dans la prise de décision politique et la création de richesses économiques.

Ce calcul a permis de faire une carte du territoire de la collectivité, des inégalités entre les hommes et les femmes à l’échelle des différentes communes la composant. Cet indice et cette carte avaient pour vocation de servir d’alerte auprès des élu.e.s, et d’outils pour orienter leurs prises de décision71.

Pour ce qui est des projets institutionnels, plusieurs étaient sur le point d’être amorcés : un diagnostic sur l’égalité entre les hommes et les femmes et la mise en place de la charte AVERROES avec d’autres acteurs privés comme publics. Commençons par le diagnostic portant sur l’égalité entre les hommes et les femmes. Il avait comme objectifs de faire le point sur ce qui était discriminant à l’encontre des femmes, et de connaître les ressorts de cette discrimination. En effet, dans cette collectivité, comme ailleurs, les phénomènes de couloirs et des plafonds de verre touchent les femmes, elles sont peu à remplir des fonctions d’encadrement ou stratégiques et sont cantonnées à certaines directions. Au-delà de la discrimination exercée à l’encontre des femmes, il s’agissait aussi de mieux connaître les aspirations des hommes mais aussi de repenser la façon de travailler. Les collectivités territoriales comme les entreprises seront bientôt confrontées à des difficultés de recrutement, et cela concerne d’autant plus le secteur public que les salaires ne sont pas attractifs, il s’agit donc d’offrir une qualité de vie au travail qui le soit. Il ressort de ce diagnostic que les femmes sont et se sentent discriminées, qu’il y a des obstacles réglementaires72 représentationnels73 à cette égalité. Ce diagnostic74 s’assortissait de préconisations.

Le second projet était la mise en place de la charte AVERROES75. Bien que les discriminations de sexe et de genre ne figurent pas explicitement dans les objectifs de cette charte, elles ont tout de même fait l’objet d’un rapport préparatoire76 à la mise en place de cette charte de lutte contre les discriminations. Cette charte fait partie du programme EQUAL qui a pour mission de remplir les objectifs assignés au Fonds Social Européen, en matière de lutte contre les inégalités et les discriminations en lien avec le marché du travail. Cette enquête préparatoire terminée, plusieurs actions de communication auprès des agents, d’information des managers, et de formation ont été mises en place. L’acte institutionnel le plus fort ayant été la mise en place d’une commission de saisie AVERROES, permettant aux agents victimes de discrimination de le signifier en interne à différents référents AVERROES (un responsable syndical ou la responsable DRH en charge de cette mission). Il s’ensuit alors une enquête interne et si cela est jugé pertinent, sanction de la personne discriminante.

En plus de ces projets, diagnostics et rapports menés par la DRH ou en lien avec la DRH, cette immersion nous a permis d’accéder facilement aux différents outils de communication portant sur le développement durable. Différents supports sont utilisés : le journal d’entreprise, l’intranet ; et la documentation produite spécifiquement sur les actions développement durable comme le plan d’action Agenda 21, les trois bilans territoriaux social, environnemental et économique, la documentation de l’Espace des Temps etc.

L’intranet ainsi que le journal d’entreprise sont adressés à un grand nombre d’agents. Nous ne pouvons pas dire à tout le monde étant donné qu’un grand nombre d’agents de la collectivité (quasiment 50%) sont cantonniers et n’ont pas accès à l’intranet. Ils ont donc un accès beaucoup plus sporadique aux outils informatiques, mais reçoivent le journal. Nous pouvons estimer que soit le journal soit l’intranet sont des outils de communication couramment utilisés par l’ensemble des agents.

Quant aux publications spécifiques aux actions développement durable, tous les agents y ont potentiellement accès, mais il se révèle effectivement difficile de se les procurer. Disons que l’on ne trouve pas cette documentation par hasard.

Nous aurions pu mener une analyse de contenu notamment du journal d’entreprise. Mais cela s’est révélé difficile pour plusieurs raisons : renseignements pris, les numéros ne sont archivés ni en format numérique, ni sous forme papier, nous ne disposions alors que des numéros collectés à notre arrivée et ce de façon parcellaire. De plus, au cours du second mandat, ce journal a perdu de sa force de diffusion, s’il était systématiquement distribué aux agents à la fin du premier mandat, ce n’était alors plus le cas. Étant un axe devenu aléatoire de la communication interne, et devant les difficultés matérielles que représentait la collection de ces revues, nous avons choisi de ne pas les traiter. Vous pouvez tout de même trouver le traitement parcellaire que nous avons pu faire sur une année en annexe (annexes, p. 152).

Nous avons été confrontée au même obstacle matériel pour l’intranet : l’absence d’archivage rendait l’analyse de contenu difficile.

Notes
70.

Définition et expérimentation d’un Indice de Participation des Femmes (IPF) sur l’agglomération. L. Jolia-Ferrier, A. Butaud, S. Weiss, P. Brun, A.-L. Gandon.

71.

Pour l’anecdote, cette étude a livré un résultat relativement contre-intuitif : cet IPF est meilleur sur les territoires dits populaires que sur les territoires dits riches. En effet, les femmes habitant les territoires populaires, travaillent, et ont donc une maîtrise des ressources économiques plus élevée que les femmes habitant les territoires dits riches, où les professions libérales sont surreprésentées… et où beaucoup de femmes sont alors au foyer, l’activité masculine suffisant à subvenir au ménage.

72.

Par exemple, justifier pour un homme qui veut prendre un congé « enfant malade » que sa femme est dans l’impossibilité de la faire.

73.

Dans ces collectivités, la difficulté de féminiser les branches techniques et d’autant plus sur des métiers peu qualifiés est récurrente. Une tentative de féminisation a été faite en intégrant des cantonnières en petit nombre (3), sur les 1300 cantonniers. Ces femmes sont rapidement tombées malades : l’explication physiologique (les femmes sont trop faibles pour ce genre de métier) a prévalu sur l’explication psychosociale, si toutefois elle est évoquée.

74.

Diagnostic sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. C. Polère et D. Viévard.

75.

Actions Visant l’Égalité sans distinction de Race, de Religion ou d’Origine dans l’Emploi et les Services.

76.

Les agents et la discrimination en raison du sexe et de l’ « origine ». ISM CORUM, A. Maguer, A. Marnas, F. Foroni et S. Argant.