B . Entre le perroquet et le caméléon

Nous utilisons ce bestiaire pour illustrer quel positionnement nous pouvions avoir dans notre institution et le type de données que nous avons produites : le scientifique est friand de répétitions, accordant une véracité plus grande, si ce n’est absolue, à ce qui se reproduit. C’est en cela que nous sommes un perroquet, nous n’avons fait, dans une large mesure compte tenu du rôle complémentaire que nous avons joué, qu’analyser la récurrence. Cela dit, nous ne pouvons résumer notre doctorat à notre thèse, notre situation de doctorante nous a permis d’outre passer notre place de « stagiaire de catégorie C », nous permettant par là d’entretenir des liens avec des agents, collègues, ou élu.e.s au-delà de notre travail de recherche proprement dit. De perroquet, nous devenions en quelque sorte, caméléon. Ces liens et échanges loin de la récurrence institutionnelle, ont souvent livré des informations jamais dites en entretien, qui relèvent de « l’extra-ordinaire ».

Comme le montre le récit de Deluz et al. (Deluz et al., 1978), le travail de recueil de données peut parfois se faire en-dehors du cadre strict que le chercheur soit s’est imposé, soit a négocié formellement avec la structure d’accueil. Il peut avoir lieu dans une situation atypique. Dans le cas de ces anthropologues, il s’agit d’un chant funèbre, lors de funérailles où il n’est pas attendu d’elles qu’elles soient présentes comme chercheuses, mais comme observatrices invitées. Se posent alors la question du statut que le chercheur doit accorder à ces données, mais aussi de son statut à lui. Le chercheur est peut-être condamné, quand il est immergé dans une société, une institution « hôte », à faire le lien entre la récurrence des pratiques sociales qu’elles lui donnent à voir et ces cas pourrait-on dire isolés, qui, s’ils ne sont pas récurrents, sont des phénomènes sociaux exceptionnels, ou des lapsus institutionnels qui échappent à la routine.

Dans notre cas, ce n’était pas tant cette dualité entre la récurrence et l’exceptionnel qui questionnait ce que nous voyions de l’institution, mais plutôt la porosité du statut que nous occupions dans l’institution et parfois en-dehors lors de pauses, ou de rencontres avec des partenaires extérieurs de l’institution. Ces multiples statuts nous amenaient à recueillir des analyses, des informations de la part d’agents, par ailleurs collègues de travail, pour certain.e.s devenu.e.s nos ami.e.s, ou de la part d’élu.e.s. Cette multiplicité des rôles pouvait nous permettre d’outrepasser certaines règles hiérarchiques, même si nous étions le plus souvent mises en situation de « stagiaire de catégorie C », mais notre statut pouvait connaître d’importants changements si l’on nous présentait comme chercheuse, ou chercheuse-doctorante.

Se combine à cela, le positionnement que les participant.e.s ont du, eux aussi trouver, en se posant cette question explicite en entretien : que puis-je dire et que dois-je taire ? La réponse pour certain.e.s des participant.e.s a été de pouvoir tout dire, mais en me demandant de ne pas enregistrer, ou de bien vouloir que j’enregistre mais en mentionnant à certains moments de l’entretien « Bon, ça ça reste entre nous ». Il y a encore cette troisième option, la plus terrifiante pour le chercheur, accepter l’enregistrement, sans qu’aucune réserve ne soit émise lors de l’entretien… Mais pour qu’au final le sujet n’ait rien dit… Ce n’est pas tant le silence tel que le décrive Masson et Haas (Masson & Haas, 2010), mais le silence qui tient à un tabou ou à une retenue du sujet.

Nous formulerons une dernière remarque quant à notre expérience du terrain qui nous semble contredire ce qui est habituellement prescrit en méthodologie, notamment l’école de Chicago. Notre présence sur le long terme (trois ans), avec la possibilité éventuelle que nous restions dans la structure au-delà du doctorat, ce qui est le cas pour la plupart des conventions CIFRE, a précisément rendu impossible une recherche de type « école de Chicago », alors même que l’immersion sur le long terme constitue une condition pour que la recherche puisse s’effectuer sur un terrain qui devienne le plus naturel possible : les enjeux de pouvoir que notre venue a cristallisés étaient justement dus à ce positionnement qui nous vouait à devenir une « familière ». Cette familiarité s’est soldée par une sorte d’artificialisation forcée en maîtrisant notre contact avec les agents. Mise à distance que des chercheurs extérieurs, consultants, etc. missionnés sur des sujets internes tout à fait brûlants, n’ont pas connu77, comme si un « one shot » était alors moins impliquant, et donc prêtait moins à la méfiance, qu’un travail de long terme. Mais en parallèle, c’est cette même présence sur trois années qui nous a permis de développer la part informelle de notre doctorat.

Ce double statut nous a permis de comprendre que le familier, le quotidien, les logiques récurrentes que nous étudions, même comme étant le résultat de notre recherche, ces récurrences, nous ne les prenions pas « taken for granted » : elles sont placées dans la perspective de ce que nous pouvions voir de façon informelle

Notes
77.

Nous pensons notamment à l’étude portant sur l’égalité hommes-femmes