A . Les entretiens semi-directifs

Une demande avait été formulée par la conseillère politique en développement durable, mais il était évident que cette demande politique ne pouvait satisfaire les exigences de la structure, et constituait un obstacle pour mener à bien notre recherche. Cette demande était d’étudier les représentations sociales du développement durable des agents de la collectivité qui participaient directement à son élaboration stratégique. Or la structure devait aussi s’approprier cette recherche et formuler une demande : entre le pouvoir politique et celui de la technostructure, notre recherche était toujours accusée d’instrumentalisation. Par ailleurs, il faut avouer que la demande offrait un crédit certain à la méfiance que pouvait susciter cette thèse et l’instrumentalisation dont elle pouvait être l’objet.

Notre recherche sur le développement durable pouvait notamment aider les chargé.e.s de mission à mieux comprendre les résistances ou les aides qu’ils pouvaient rencontrer dans leur pratique, mais aussi nous aider à mieux comprendre pourquoi cette recherche avait été sollicitée. Par ailleurs, ces premiers entretiens nous ont permis de faire connaître cette recherche auprès des agents.

Nous avons choisi de solliciter pour ces entretiens des agents identifiés comme Correspondant Développement Durable. Ce sont des agents qui, sur la base du volontariat, s’engagent à diffuser dans leur service les engagements pris par la collectivité en matière de développement durable. Selon la lettre de mission qui leur est adressée, ces agents sont volontaires, peuvent s’affranchir de leur ligne hiérarchique classique pour alerter leur hiérarchie indirecte au sujet du développement durable, tout comme ils peuvent aussi s’affranchir des frontières entre directions et travailler en transversalité. L’intérêt de ce réseau de correspondants est non seulement de diffuser la stratégie développement durable, mais aussi d’être un élément clef de la communication bottom-up : de faire remonter les améliorations proposées par les agents ne faisant pas partie de l’élaboration stratégique de l’institution à la délégation générale. Ils sont aussi un élément clef d’une approche transversale et donc globale du fonctionnement institutionnel.

Nous avons envoyé un mail type aux 25 correspondants développement durable identifiés, et ce, de façon individuelle :

Bonjour monsieur X/madame X,
Cela fait maintenant 4 mois que je suis arrivée pour faire ma recherche de doctorat sur le développement durable. Cette thèse de sciences sociales a été initiée par l'université Lumière et madame Y afin que nous puissions mieux connaître les représentations sociales du DD.
Cette recherche garantit l'anonymat des sujets qui y participent.
Comme vous êtes impliqué en tant que correspondant développement durable dans la mise en œuvre du DD dans la collectivité il me semble indispensable que je puisse recueillir votre sentiment et votre point de vue à ce sujet. C'est pour cela que je me permets de prendre contact avec vous.
Avec votre accord bien-sûr, nous pourrons nous rencontrer lors d'entretiens individuels et collectifs afin que nous puissions faire émerger des représentations individuelles et collectives.
Si vous avez la moindre question ou remarque sur cette recherche et le sujet traité vous pouvez me contacter. Comme je partage mon temps entre l'université et la collectivité je suis sur place lundi, mercredi matin et vendredi.
Si vous êtes d'ores et déjà partant pour que nous nous rencontrions individuellement avant que je ne vous sollicite de nouveau, vous pouvez m'en faire part.
J'espère à bientôt et vous remercie d'avance pour l'attention que vous porterez à cette étude.
Cordialement,
Anne-Line Gandon

Nous avons eu huit réponses favorables, le reste se départageant entre des non-réponses et des réponses visant à justifier un refus qui consiste systématiquement en un manque de temps, voire à minorer l’importance de cet entretien compte tenu de la faible importance de notre statut (notre statut de chargée d’études, doctorante, devenant systématiquement stagiaire). Parmi ces huit entretiens, trois participant.e.s ont souhaité ne pas se faire enregistrer ou même que ces entretiens aient une trace dans notre recherche. Nous avons donc travaillé formellement avec cinq entretiens, les trois autres servant tout de même d’informateur. Par ailleurs, nous avons interviewé une élue qui était en charge, lors du premier mandat, d’une compétence en lien avec le développement durable.

Cet échantillon de huit participant.e.s est composé de trois femmes et cinq hommes, tou.te.s sont de la filière technique. Dans les cinq entretiens retranscrits il y a deux femmes et trois hommes. Nous avions un guide d’entretien à l’appui qui avait une fonction indicative plus que directive (annexes, p. 7). Dans la plupart des entretiens, nous n’avons pas suivi le guide à la lettre, préférant l’interaction avec les participant.e.s afin d’ouvrir le plus possible notre champ d’investigation. Cela dit, et c’est une attitude que nous retrouverons tout le long de notre recherche, les agents de l’institution ne rentrent pas dans la dynamique classique chercheur/interviéwé, bien que nous établissions nos entretiens dans ce cadre. Les agents que nous avons sollicités aussi bien dans ces entretiens exploratoires que dans les entretiens de recherche, se positionnent comme expert.e.s et nous conseillent sur notre recherche parce que nous sommes perçue comme novice, ou ces entretiens vont être l’occasion d’entreprendre pour eux une véritable narration de leur parcours professionnel. Il est vrai que notre relative jeunesse, dans la vie en général, comme dans l’institution en particulier, couplée à notre statut d’étudiante, faisaient de nous une apprenante, plus qu’une chercheuse, ce qui correspondait par ailleurs au statut de stagiaire que ces participant.e.s comme l’institution nous faisait endosser.

Par ailleurs, ces premiers entretiens ont été l’occasion pour nous non seulement de formuler notre sujet aux agents, mais aussi de comprendre quelle place l’institution pouvait nous accorder. Ces premiers entretiens nous ont aidée à formaliser le positionnement que nous pouvions avoir lors de notre recherche, mais aussi plus largement, lors de notre travail, dans l’institution. Par la suite, ces participant.e.s nous ont aidée à élaborer notre questionnaire et ont accepté de le relayer auprès de leurs collègues.