III . Une compréhension globale ?

Les entretiens, s’ils ne constituent pas le cœur de notre étude, ont tout de même joué un rôle capital : ils nous ont permis d’élaborer notre questionnaire, puis d’y trouver un écho des résultats obtenus par la voie du questionnaire, mais aussi et surtout de porter notre diagnostic et nos préconisations en matière de développement durable appliqué aux ressources humaines. Même si cette prétention reste à débattre, nous avons essayé au mieux de concilier les exigences de la triangulation méthodologique (Flick, 1998) en procédant à une analyse institutionnelle, une enquête par entretiens et une enquête par questionnaires. Bien que la première ne constitue pas un résultat en tant que tel, nous avons fait en sorte de lui donner une place aussi bien dans l’appréhension de notre objet de recherche que dans notre analyse des résultats. Tout comme le supposé idéal qu’une approche objective d’un objet lui-même objectif soit possible, nous avons bien conscience aussi qu’une approche et qu’une connaissance totales ou globales soient tout aussi impossibles. Comme le remarque Wengraf (Wengraf, 2001, p. 51) : « Any particular model is a simplified version of a more complex social reality. Just as map can include everything about the territory of which it is a representation - a map that excluded nothing would be an identical full-size reduplication of the original - so no model can include everything about the reality its represents »86. Ainsi, faire une analyse « exacte » relève de l’impossible puisqu’une analyse suppose nécessairement une modulation des détails et des éléments, au risque sinon de ne faire qu’une duplication de l’objet étudié si tant est que l’objet lui-même soit descriptif globalement, puisque comme le mentionne Rouquette (Rouquette, 1995, p. 4) :

‘« La représentation sociale est un quasi-concept qui prend pour objet ce que ce quasi-concept commande (et non un quasi-concept élaboré à partir d’un élément phénoménal qui serait identique pour tous sans son objectivité). Elle n’est donc pas une approximation ou une erreur, si ce n’est au regard d’un autre quasi-concept, elle définit pour ses usagers les conditions de la vérité ». ’

Ainsi la limite de la compréhension de notre objet dépend en fait de notre cadre méthodologique et théorique : une représentation sociale ne peut être une idée, au sens presque platonicien du terme, mais est un « quasi concept » selon le terme de Rouquette.

En plus de la triangulation méthodologique, il faut aussi évoquer la triangulation de Moscovici, entre l’objet, ego et alter. Or, étant donné le cadre de notre thèse, nous nous inscrivons d’emblée dans ce schéma puisque notre thèse est à la réunion de la doctorante, de l’objet développement durable et de l’institution d’accueil. En cela, nous sommes dans une approche globale puisque le regard porté sur l’objet est issu d’une négociation entre le regard de la chercheuse et celui de l’institution et Geertz (Geertz, 1998) montre bien toute la difficulté qu’il y a à simplement décrire ce que l’on voit. Ce regard qui part d’abord et avant tout d’une description, ne peut jamais être satisfaisant. Nombre de chercheurs en sciences humaines font référence au bricolage pour rendre compte du résultat de cette description (Levi-Strauss, 196287, Olivier de Sardan, 2004), nous permettant de revenir au début de notre exposé : les données parce qu’elles sont déjà et toujours construites, la globalité est impossible à saisir à partir d’une appréhension, même la plus exhaustive possible et sous des angles multiples, d’un objet.

En prenant en compte la complexité que suppose et qui résulte d’une recherche scientifique, nous avons produit une appréhension globale de notre objet : sa construction scientifique, étroitement mêlée au positionnement que nous adoptions dans l’institution, échappant par là peut-être à la quête d’absolu qui caractérise parfois la science, mais au spiritualisme dans lequel la philosophie peut conduire, faute de croire en l’existence d’un réel, si ce n’est objectif, même empirique. Comme Prigogine et Stengers (Prigogine & Stengers, 1988) le notent : « L’objectivité scientifique n’a pas de sens si elle aboutit à rendre illusoires les relations que nous entretenons avec le monde, à condamner comme " seulement subjectif ", " seulement empirique " ou " seulement instrumentaux " les savoirs qui nous permettent de rendre intelligibles les phénomènes que nous interrogeons » (Prigogine et Stengers, 1988, p. 40).

Nous espérons être parvenue à faire de cette recherche scientifique rien de tout cela.

Notes
86.

« Tout modèle particulier est une version simplifiée d’une réalité sociale complexe. Tout comme une carte peut comprendre tout ce qui est caractéristique du territoire dont elle est une représentations – une carte qui n’exclut rien ne serait qu’une version dupliquée de l’originale – donc aucun modèle ne peut comprendre tout de la réalité qu’il représente ». Traduction personnelle

87.

Lévi-Strauss désigne certes pas tout à fait le savoir de bricolage mais la pensée mythique. Cela dit, la différence est de degrés et non de nature entre le savant et le bricoleur, en cela nous comprenons que le savant est un « super-bricoleur », on un ingénieur selon les termes de Lévi-Strauss.