B . L’analyse des réponses en tenant compte des catégorisations croisées

a . La filière et le sexe

Comme nous avons pu le voir dans ce premier moment de l’analyse, il y a des jeux de miroir et de superposition entre deux variables, la filière et le sexe, qui sont aussi les deux variables les plus discriminantes. Il convient donc d’analyser l’interaction entre ces deux variables plus en profondeur, cela nous permettra de comprendre comment s’articulent l’identité sexuée et l’identité professionnelle des répondant.e.s. Pour résumer, nous essayerons de voir si le sexe est discriminant dans chacune des filières, et si la filière est discriminante pour les hommes et pour les femmes. Nous ne relèverons que les éléments significatifs ou remarquables dans notre démonstration, nous ne nous attarderons donc pas sur le groupe et les items environnement, qui, comme nous avons pu le voir précédemment, ne sont discriminés non seulement par aucun effet simple des variables, mais aussi par aucun effet croisé, confirmant par là le consensus dont ils sont l’objet.

Globalement, la filière est peu discriminante sur les hommes et le sexe peu discriminant dans la filière administrative alors que la filière technique est discriminée par le sexe, et les femmes par la filière. Notons que nous pouvons nous étonner que la filière technique soit aussi discriminée par le sexe en dépit de son écart type faible, ou du moins, comparable à celui des hommes, groupe qui lui, est faiblement discriminé par la filière.

- Commençons par le plus simple, l’application de la filière au sexe masculin. Cette catégorisation croisée ne joue que sur le groupe d’items enfants au profit de la filière administrative : les hommes de la filière administrative sont significativement plus sensibles au groupe enfants que les hommes de la filière technique (χ²(1) = 6,59 ; p < 0,01). Nous pouvons nous étonner, non pas que ce groupe d’items soit discriminé, parce qu’il l’est effectivement dans notre précédente analyse aussi bien par le sexe que la filière, mais que cette différence soit sur le groupe enfants et sur aucun autre.

  • Passons maintenant à la filière administrative qui est discriminée par le sexe. Pour les administratifs, les femmes donnent des intervalles significativement plus élevés au groupe social et à la dimension spécifique (Z social = -2,2 ; p < 0,05, Z spécifique = -2,2 ; p < 0,05). Cela est révélateur des résultats que nous avions vus sur l’ensemble des effets discriminants de la filière et du sexe.
  • Pour ce qui est des deux effets croisés les plus discriminants, le sexe sur la filière technique, et la filière sur le sexe féminin, ils n’agissent que marginalement sur nos groupes d’items, mais par contre, agissent beaucoup sur les dimensions. Le sexe sur la filière technique agit exclusivement sur les dimensions de solidarité, la dimension horizontale (Z = -1,96 ; p < 0,05), spécifique (Z = -3,2 ; p < 0,01), verticale/spécifique (Z = -2,73 ; p < 0,01) et horizontale/spécifique (Z = -3,15 ; p < 0,01) toujours au profit des femmes. Le sexe est donc discriminant principalement sur la dimension spécifique dans la filière technique, comme d’ailleurs il l’est, mais dans une moindre mesure, sur la filière administrative.
  • Pour ce qui est de l’effet de la filière sur le sexe féminin, elle agit sur les groupes social (χ² (1) = 4,57 ; p < 0,05) et femmes (χ²(1) = 6,23 » ; p < 0,05), ainsi que sur les dimensions verticale (χ²(1) = 5,54 ; p < 0,05), horizontale (χ²(1) = 4,4 ; p < 0,05), globale (χ²(1) = 5,3 ; p < 0,05) et horizontale/globale (χ²(1) = 6,66 ; p < 0,01) toujours au profit de la filière administrative.

Nous pouvons faire plusieurs remarques sur ses effets de catégorisation croisées :

  • Les groupes d’items discriminés sont encore et toujours les groupes social et apparentés.
  • Les dimensions semblent être discriminées suivant une certaine logique : la filière n’est pas discriminante ou sinon l’est essentiellement sur les dimensions horizontale et globale, alors que le sexe l’est principalement sur les dimensions horizontale et spécifique.
  • La filière n’est guère discriminante sur les hommes, si ce n’est sur le seul groupe discriminé, le groupe enfants, qui n’est certes pas un groupe anodin, alors qu’elle l’est très largement chez les femmes.
  • Le sexe est discriminant essentiellement sur la filière technique et sur les dimensions de solidarité.

Les groupes les moins influencés par cette catégorisation croisée sont les hommes et la filière administrative, ceux qui le sont le plus, sont les femmes et la filière technique. Cette analyse peut nous désappointer dans la mesure où, le groupe, qu’il soit dominant ou dominé, est discriminé ou non par cette catégorisation croisée.

Si nous interprétons ces résultats en commençant par comparer l’effet de la filière sur le sexe, nous pouvons dire que les administratives se démarquent plus des techniciennes que les techniciens des administratifs. Par ailleurs, les administratifs se démarquent moins des administratives que les techniciennes des techniciens. La filière administrative est donc plus coercitive que la filière technique et les hommes sont plus semblables les aux uns aux autres que les femmes. Ainsi, les techniciennes se différencient aussi bien de leurs homologues administratives que de leurs collègues hommes techniciens, alors que les hommes administratifs ne se différencient ni de leurs homologues techniciens, ni de leurs collègues femmes administratives. Les techniciennes semblent donc être dans une posture significativement différente de tous les autres groupes, assumant peut-être par là, leur position qui est effectivement contre stéréotypique. Cela rejoindrait l’analyse de Doutre (2007, 2009), sur les femmes cadres qui se positionnent en dehors aussi bien du groupe des femmes que du groupe des cadres traditionnellement incarné par des hommes. Par contre, les hommes administratifs, bien que tout aussi contre stéréotypiques, ne semblent pas se différencier des autres groupes qui leurs sont apparentés, les hommes et la filière administrative.

Au risque de présenter une vision faussement homogène de ces quatre groupes, les techniciens, les techniciennes, les administratifs et les administratives, nous vous proposons d’aller plus en avant dans cette analyse des catégorisations croisées, et de voir ce qu’il en est du grade et de la fonction.