III . L’analyse des associations lexicales

Ainsi, nous retrouvons dans l’analyse des évocations du développement durable au travers des actions de la collectivité, la même marginalisation des volets social et économie que dans l’évocation proposée sur le seul mot de développement durable. L’aspect environnement et technique prend d’autant plus le dessus dans l’évocation portant sur les actions de la collectivité que la dimension transgénérationnelle y est absente, peut-être parce qu’elle est difficilement transposable en une action : il s’agit plus d’un principe d’action. C’est peut-être cela qui explique aussi le hiatus entre l’analyse Alceste des évocations portant sur le mot développement durable, qui montrait un équilibre, voire une prévalence, du social sur l’environnement, et l’analyse Alceste portant sur le développement durable dans la collectivité. Le social n’est pas tant une action, qu’un principe d’action.

Par ailleurs, nous devons rajouter qu’entre l’analyse Alceste comprenant l’ensemble du corpus évoqué, et l’analyse Evoc, ce volet social disparaît quasiment pour ne laisser que la dimension transgénérationnelle.

Il faut ajouter à cela que si le volet social est abordé seul comme c’est le cas dans l’analyse Evoc, il se constitue alors comme un volet tout à fait comparable aux autres : les évocations sont riches aussi bien sur le plan qualitatif et quantitatif.

Le volet social souffre donc bien, non pas d’être mal connu des sujets, ou de ne pas être objectivé, mais de la concurrence avec les autres volets du développement durable et surtout du volet environnement.

Pour ce qui est des représentations sociales du volet économie, elles sont fortement ancrées dans les termes de l’économie classique et non de l’économie dite alternative : c’est pour cette raison que nous disons ancrée et non objectivée dans la mesure où ce volet ressemble plus à ce qui existe déjà qu’à ce qui est proposé d’innovant dans le développement durable. Les mots relevant de l’économie alternative apparaissent dans les évocations du volet social et non de ce volet économie. Cela confirme la porosité du volet social au volet économique, et que cette économie alternative n’est pas tant perçue comme une nouvelle économie possible que comme une approche sociale.

Par ailleurs ce que nous devons retenir des différences entre les hommes et les femmes, ce que nous pouvons voir sur l’analyse Alceste de l’ensemble du corpus est que les femmes sont plus sensibles au volet social, alors que les hommes sont plus sensibles au volet environnement. Sur le seul corpus de la question 1 et 6, cette préférence pour l’un ou l’autre volet disparaît : il s’agit plus d’une différence de forme que de fond, les hommes étant dans l’action, les femmes dans la prise de conscience pour l’analyse de la question 1 ; les hommes dans le général et les femmes dans l’exemple pour la question 6.

Pour ce qui est de l’analyse Evoc nous pouvons relever de fortes disparités entre les hommes et les femmes sur le volet social, mais aussi sur le développement durable dans la collectivité. Cela montre que le volet social est un volet qui peut être un différend entre les hommes et les femmes, et donc l’objet de dissensions ; mais aussi que les hommes et les femmes ne perçoivent pas selon la même priorité les actions de la collectivité en termes de développement durable. Les femmes sont dans la planification, donc en amont de l’action, tandis que les hommes sont dans l’évaluation, donc en aval de l’action. Cette répartition correspond par ailleurs aux rôles que chacun occupe dans l’institution.

Les femmes semblent avoir une approche plus anthropocentrée de leur environnement, plus interventionniste et militante que les hommes qui en restent à la description et au technique.

Enfin, pour ce qui est des réponses des agents de catégories A, B et C, nous avons vu sur l’analyse Alceste que les agents de catégorie C sont toujours caractéristiques de classes de mot plutôt environnement. Par contre pour les agents de catégorie A, s’ils sont caractéristiques d’une classe de mot social sur l’analyse portant sur l’ensemble du corpus et la question 6, la filière les démarque sur la question 1 : les ingénieur.e .s se caractérisent par une classe de mots environnement, les administratif.e.s une classe de mots environnement et une classe de mot social. La filière ne joue donc que sur les agents de catégorie A et sur le développement durable en général. Les agents de catégorie B vont se situer tantôt parfaitement entre les agents de catégorie A et C sur l’analyse de l’ensemble du corpus en étant caractéristique à la fois d’une classe de mot social et d’une classe de mots environnement, tantôt plus proches des agents de catégorie C sur la question 1 et des agents de catégorie A sur la question 6. Ainsi, ces agents de catégorie intermédiaire ont les mêmes évocations que les dominés sur le développement durable en général, mais les mêmes que les dominants sur le développement durable exemplifié.

Ce qu’il faut retenir principalement de ces analyses lexicales est que le volet social devient absent une fois que le développement durable doit être évoqué de façon exemplifiée, et lorsque les sujest doivent choisir les évocations les plus importantes : il est donc présent comme principe d’action et non comme action, il est aussi un élément non prioritaire du développement durable. Par ailleurs, si le volet environnement semble objectivé dans la protection de la nature et dans l’écologie, le volet économique apparaît moins comme objectivé qu’ancré dans les notions déjà existantes de l’économie. C’est par l’évocation du volet social que l’on peut voir surgir des termes de cette économie alternative.

Enfin, ajoutons que le mot « développement » figure dans les volets correspondant à l’activité humaine, le volet social et le volet économique, tandis qu’un vocabulaire plutôt lié à la conservation caractérise l’environnement : non seulement cela est en écho avec ce que nous avons trouvé dans la littérature concernant l’analyse de l’expression « développement durable » comme un oxymore dans la mesure où développement est mouvement, durable est inertie ; mais aussi, que le mouvement est lié à l’humain, tandis que l’inertie est liée à l’environnement, entérinant par là la dichotomie nature/culture.

Pour ce qui est de la différence entre les hommes et les femmes, elle est particulièrement pertinente sur les évocations du volet social ainsi que de l’action de la collectivité en termes de développement durable, révélant par là la dissension dont peut être l’objet le volet social, mais aussi les positionnements institutionnels des hommes et des femmes.

En termes de catégorie, les agents de catégorie C sont toujours caractéristiques de classes de mots en lien avec l’environnement, les agents de catégories de classes de mots en lien avec le social, sauf les ingénieur.e.s sur l’analyse de la question 1. Les agents de catégorie B oscillent entre des réponses en lien à la fois avec le social et l’environnement, selon le corpus analysé.

En termes de réponses caractéristiques des dominants et dominés, on peut voir que si les agents de catégorie A, donc dominants, se situent très clairement du côté du social, et les catégories C, donc dominés, se situent eux très clairement du côté de l’environnement, cela n’est pas valable pour les rapports hommes/femmes. En effet, ce sont les femmes, donc les dominés, qui sont du côté du social, et les hommes, les dominants, du côté de l’environnement.