C . Les rapports sociaux se mettent au diapason de la nature

Nous allons maintenant faire le lien entre les représentations sociales du développement durable telles que nous les avons analysées et la perception des rapports sociaux qui en découle, sachant que le développement durable semble une nouvelle donne avant tout pour résoudre la crise environnementale et non sociale. En effet, ce volet social du développement durable reste très polémique. Pour ce faire, nous nous sommes appuyée sur l’hypothèse 8 :

Hypothèse 8 : Les représentations sociales du développement durable objectivées dans le volet environnement et la solidarité intergénérationnelle, mais aussi ancrées dans le volet social, génèrent une vision naturalisante des rapports sociaux de sexe.

Nous avons pu voir dans les entretiens que tout un champ d’analyse des rapports sociaux de sexe se construit en écho à une image stéréotypée qui fait des femmes des êtres avant tout naturels. L’image de la maternité est bien sûr un point clef dans le sous bassement de cet imaginaire stéréotypé. Nous disons qu’il s’agit d’un imaginaire voire d’une image romantique, dans la mesure où est actualisée l’image de l’harmonie entre la femme et la nature, jusqu’à ce qu’elle prenne corps dans l’institution même par le truchement de la déesse :

‘« […] parce que c’est elles qui donnent la vie […]. Tout le monde a dû vous parler de la personne en charge du développement durable, qu’on appelait en plus la grande prêtresse. Je ne suis pas sûre paradoxalement que c’était valorisant, et paradoxalement je pense que ça… Ca peut freiner l’appropriation, parce que c’était son objet. Elle a eu raison de partir je pense. D’ailleurs ils semblent bien embêtés avec le bébé. Mais je pense que sa relation avec l’élu, qui la présentait comme une déesse… Mais partout, il y a pas une fois où on l’a pas appelé la grande prêtresse. Donc la jeune première… En plus elle est très belle, donc on l’a mise sur un piedestal. » (entretien O).’

Nous voyons ici à quel point cette femme en charge du développement durable, évoquée comme une déesse, renvoie à une vision écoféministe et spiritualiste des rapports sociaux de sexe.

Le lien semble automatique entre femme, maternité et nature, et le potentiel de la maternité devient en fait une contrainte : « C’est-à-dire que la mère va allaiter son enfant, de toute façon il faudra qu’elle le fasse sinon ses seins vont lui exploser au nez, si je puis dire, voilà, elle est sous les effets de la contrainte physiologique, de possibilité, de potentiel physiologique, qui font qu’elle est obligée de faire » (entretien R). Les femmes réduites à la maternité, qui est perçue non plus comme rôle social mais comme tâche naturelle, est en lien avec ce que nous avons soulevé dans le rapport Brundtland : le discours attenant au développement durable tend à naturaliser les femmes et donc les rapports sociaux de sexe. D’ailleurs, un participant l’évoque :

‘« Si une femme a physiologiquement vocation à la transmission. Silence. Au regard de ce que sont les fonctions euh, au sens de la mascu, de la masculénéité, de la virilité, elle est d’ailleurs et elle est déjà euh… Elle est déjà dans la durée, dans la durabilité, puisqu’elle est programmée pour donner et transmettre une vie qu’elle ne souhaitera pas en principe, voir s’éteindre trop vite. » (entretien R).’

Le fait que les générations futures au même titre que l’environnement soit le résultat du processus d’objectivation est la principale cause de ce phénomène. Cela appuie l’importance de concevoir nos contemporaines moins comme des contemporaines que comme des ascendantes ou des mères. Or ce positionnement de mère se dégage effectivement des entretiens, que ce soit chez les femmes elles-mêmes ou chez les hommes qui les renvoient à ce rôle.

En raison de ce rapprochement entre les femmes et le développement durable, elles sont dites plus sensibles au développement durable : 

‘« Je suppose que le pôle féminin maternel de l’humanité est plus proche, plus proche j’allais dire naturellement oui, tant pis pour le mot, il est là, euh… De ce que vise… Voilà le mot que je cherche depuis tout à l’heure, de l’idéologie du développement durable » (entretien R).’

Nous devons aussi rapporter le résultat obtenu sur l’item 25 de la question 3 du questionnaire qui rapprochait la pertinence du rôle politique des femmes à leur proximité avec la nature. La moyenne des réponses est de 2,4, ce qui en fait un des quatre items distracteurs les plus importants. Bien que la moyenne soit faible, elle est élevée au regard des moyennes des autres items distracteurs, surtout si l’on rappelle que l’item 11, non distracteur, portant sur la construction de crèches, obtient une moyenne de 3,8 seulement. Par ailleurs cet item 25 est un des seuls items à être sensibles à une variable, ici la catégorie, au profit des agents de la catégorie C (² (2) = 12,7 ; p < 0,01). Ces derniers relient plus que les agents des autres catégories la pertinence du rôle social des femmes à leur proximité avec la nature. Il est intéressant de voir que ces agents de catégorie C, pourtant plus sensibles au volet social dans les réponses à la question 7 (le scénario suivi du dilemme), naturalisent ici les rapports sociaux plus que ne le font les agents des autres catégories. Ainsi, si les agents de catégorie C sont partagés plus que les autres entre le social et l’environnement, cela n’implique pas nécessairement une déconstruction des rapports sociaux de sexe comme tels.

Nous pouvons donc avancer que l’environnement est le résultats de l’objectivation de développement durable, le volet social étant traité de façon hétérogène non seulement dans ses composantes, mais aussi selon les représentations du groupe étudié. Cela montre le consensus dont profite l’environnement, tandis que le volet social apparaît évanescent et surtout devient l’objet de dissensions et de prises de position. La dimension transgénérationnelle se démarque en étant tout de même un élément stable du noyau central des représentations sociales des groupes étudiés, elle est l’objet moins de patrimoine que de matrimoine introduisant là encore un rapport de domination entre les sexes, compte tenu de l’essentialisation des rôles sociaux qu’elle actualise.