Chapitre 15 . Les perspectives : la rêve-olution est-elle possible ?

Ce travail de recherche ouvre plusieurs pistes de travail qui consistent notamment à formuler des propositions pour changer les représentations du développement durable, afin de permettre l’émergence d’une vision d’une société égalitaire.

En effet, les politiques publiques étatiques mais aussi internationales s’orientent principalement selon un modèle de développement durable, or, d’après nos analyses, celui-ci risquerait si ce n’est d’accentuer les inégalités, au moins de les conserver. Tout comme les représentations sociales sont au pluriel parce qu’elles rendent compte de la complexité et de la multiplicité de la pensée sociale, nous pourrions non plus parler du développement durable, mais des développements durables. Selon nous, le débat entre la traduction de sustainable en « durable » ou « soutenable » est complètement caduc en dehors d’une sphère de spécialistes. Par contre, évoquer le développement durable au pluriel permettrait d’objectifier dans la langue qu’une multiplicité de développements durables sont possibles, et ainsi de relativiser les interprétations jusqu’alors présentées de façon dogmatique. L’interprétation dominante serait alors relativisée, tandis que celles des dominés auraient une chance d’émerger.

Cela permettrait d’échapper à une rigidification « catastrophique » qui est souvent dénoncée à propos de la certification et de la labellisation. De l’espace des possibles, le développement durable devient un espace de normes à suivre.

Il s’agirait notamment de faire en sorte que ces représentations intègrent en plus du volet environnement non seulement la solidarité intergénérationnelle mais aussi entre contemporain.e.s. Toute la difficulté de cette proposition réside dans le fait que cette exclusivité des représentations sociales portée sur la solidarité transgénérationnelle ne profite qu’aux dominants qui s’aménagent ainsi par le biais de la génération suivante, voire de leurs propres enfants, une perpétuation de leur position dominante.

Par ailleurs le déséquilibre posé dans les termes Nord/Sud, même s’il a une place mineure, reste celui qui est le mieux connu. Or, il est capital de considérer aussi le déséquilibre entre les hommes et les femmes comme au moins aussi important, et ce d’autant plus que ce déséquilibre est aussi d’ordre représentationnel et pas seulement socio-économique. De l’examen du rapport Brundtland aux entretiens, nous avons vu à quel point les rapports sociaux de sexe échappaient justement à la déconstruction de la notion de nature qui joue indéféctiblement le rôle d’arbitre. La préoccupation environnementale, loin de contribuer à la disparation d’une idée de nature intrinsèque, en ravive l’existence. Ainsi, loin d’une notion progressiste et égalitaire, le développement durable apparaît comme un artefact qui permet la résurgence de conceptions conservatrices de la société.

Il s’agirait alors non pas d’encourager une révolution écologique qui semble nous ramener à notre point de départ, mais une mutation environnementale. En effet, d’une approche alternative, contestataire, l’écologie est passée à une approche dominante qui masque les rapports sociaux de force. En cela, nous pensons qu’il ne faut plus penser le développement durable selon une logique économique ou écologique, mais selon une logique sociale. Ce positionnement n’a pas comme objectif de dénigrer le mouvement écologiste puisque nous avons souligné à quel point la reflexion de Moscovici (1968, 1972), et dans sa lignée celle des écoféministes, sont primordiales pour comprendre le lien société/nature. Nous ne soutenons pas qu’il soit impossible de mener une reflexion ontologique sur la nature, au contraire : mais l’ontologie ne présuppose en rien l’immuabilité. En effet, ce que nous critiquons c’est le fait, sous couvert de vouloir faire exister la nature comme telle en l’objectivant, de la rendre extérieure à l’Homme. Mais cette chosification permet justement une instrumentalisation politique qui dessert la réflexion sur les rapports sociaux qui eux, doivent être pensés en mouvement.

Car nous pensons que l’idée de nature, perçue comme une nouvelle contrainte, et plus seulement comme une justification, occasionne une conception des rapports sociaux de sexe néo-naturaliste. La nature est pensée comme base de la société alors même que c’est la société qui la pense. Appliqué aux rapports sociaux de sexe qui ont connu des changements sans précédent dans les pays occidentaux au cours du dernier siècle, ce néo-naturalisme pourrait être quasiment assimilé à un backlash, tout comme l’éveil économique des pays émergents qui se trouvent accusés d’être polluant par les pays dits développés.

En effet, les médias ne cessent de relayer les aspirations des nouvelles générations à vivre autrement que leurs parents et grands-parents. Il s’agirait de voir en quoi cette vie autre ne pourrait pas comporter des éléments certes de protection de l’environnement mais aussi de regression sociale, ou de réaménagement des équilibres sociaux toujours en faveur des dominants.

Ainsi, d’un point de vue méthodologique, il conviendrait de refaire cette étude des représentations sociales non plus dans un contexte institutionnel précis, mais auprès de tous types de partipant.e.s pour comprendre à quel point ce néo-naturalisme est prégnant ou non dans la société.

L’utilisation du seul terme environnement, ne permet pas d’envisager une interprétation sociale du développement durable et sociocentrée de l’environnement. Comme nous l’avons fait dans notre discussion, l’utilisation de l’expression « environnement naturel » nous semble être une façon d’amener la notion de nature dans un espace de réflexion qui puisse la mettre en mouvement.