Université Lumière Lyon 2
École doctorale : Neurosciences et Cognition
Laboratoire d’Étude des Mécanismes Cognitifs
Effet du type d’agencement temporel des répétitions d’une information sur la récupération explicite
Thèse de doctorat en Sciences cognitives
Sous la direction d’Olivier KOENIG
Présentée et soutenue publiquement le 20 mai 2011
Membres du jury :
Olivier KOENIG, Professeur des universités, Université Lyon 2
Liliane MANNING, Professeur des universités, Université de Strasbourg
Serge CARBONNEL, Professeur des universités, Université de Savoie
Rémy VERSACE, Professeur des universités, Université Lyon 2
Denis BROUILLET, Professeur des universités, Université Montpellier 3

Contrat de diffusion

Ce document est diffusé sous le contrat Creative Commons «  Paternité – pas d’utilisation commerciale - pas de modification  » : vous êtes libre de le reproduire, de le distribuer et de le communiquer au public à condition d’en mentionner le nom de l’auteur et de ne pas le modifier, le transformer, l’adapter ni l’utiliser à des fins commerciales.

[Dédicaces]

À mon père

À mon grand-père

Remerciements

Je souhaite remercier l’ensemble des personnes qui, d’une façon ou d’une autre, m’ont aidée à faire aboutir ce travail.

En premier lieu, je tiens à remercier chaleureusement le professeur Olivier Koenig, pour avoir encadré mon travail pendant maintenant six ans depuis le Master 1. Merci pour votre optimisme permanent, pour m’avoir toujours encouragée, et pour m’avoir laissée toute liberté dans mon travail. Merci d’avoir pris du temps pour me faire partager vos connaissances, vos compétences et votre vision des choses. J’ai énormément appris à vos côtés. Plus largement, je remercie le laboratoire EMC et l’Université Lyon 2, ainsi que le ministère de la Recherche pour m’avoir permis de bénéficier d’une certaine sécurité financière pendant mes trois années d’allocation ministérielle.

Je remercie chaleureusement les membres du jury, Madame Lilianne Manning, Messieurs Denis Brouillet, Serge Carbonnel, et Rémy Versace, qui m’ont fait l’honneur de lire et d’évaluer mon travail, et ce dans des délais particulièrement serrés. Je remercie également François Pellegrino et Serge Carbonnel pour leurs commentaires éclairés dans le cadre de mon comité de suivi de thèse.

Je remercie également la société Climats Médias pour m’avoir permis de dédommager les participants des Expériences 1 à 3, sans quoi ces expériences n’auraient pas pu être conduites. Je remercie Eric Ortéga et Joël Brogniart pour leur aide technique pour la mise au point du site internet de l’Expérience 5 qui n’a malheureusement jamais pu voir le jour. Merci également à Jonathan Fayard et Carolina Saletti pour m’avoir accompagnée dans les passations de l’Expérience 4. Merci également à tous les participants des études qui ont donné de leur personne pour faire « avancer la science ».

Au plan personnel, je remercie ma famille et en premier lieu je tiens à remercier ma mère pour m'avoir permis d'étudier, depuis toujours, dans les conditions matérielles les plus favorables, et d'avoir toujours respecté mes choix d’études. J’embrasse également ma sœur Julie et ses futurs enfants, et également ma cousine Célia. Je remercie et je rends hommage à ma grand-mère, mon grand-père et mes tantes Martine et Françoise, pour leur affection sans faille, leur soutien de tous les instants, leurs encouragements à étudier dur, leur goût du travail bien fait, et leur intérêt pour le bien commun. Tout ce sans quoi je ne serais pas arrivée jusque là !

J’embrasse affectueusement mon fiancé Sébastien, et je le remercie particulièrement pour son soutien pendant la période difficile de la fin de thèse. Merci à Nicole, Guy, pour leur accueil si chaleureux. Des bisous à Karine, Laurent, et aux enfants.

Un merci général à tous mes amis du laboratoire, pour leur écoute et leur soutien. Je remercie infiniment Elodie pour son amitié et son aide énorme apportée à la fin de ma thèse, tant psychologiquement que par ses corrections éclairées. Merci à tous les doctorants pour l’ambiance festive qui a régné au laboratoire pendant toutes ces années, tout en permettant une émulation scientifique tellement riche : Mathieu, Damien, Benoît, Lionel L., Lionel B., Hélène, Sarah-Lise, Jordan, Elodie P., Céline, Mélaine, Audric, Claire C. Merci à tous pour avoir fait que nos conditions de travail soient si agréables ! Remerciements spéciaux à Filio, Adrien, Guillaume, Arnaud, Anna, Nina, et German pour leur aide et leurs conseils qui m’ont beaucoup aidée. Merci aux huit participants de l’étude contraignante sur l’effet du sommeil, qui n’a pas pu être incluse dans le présent document : Nina, Jordan, Adrien, Elodie P., Claire, Anna, Arnaud et Sarah-Lise.

Merci aux anciens doctorants du laboratoire et aux membres (très) actifs d’Estigma, pour nous avoir montré la voie et inspirés, en particulier Norbert, François-Xavier, Benjamin P., Adel et Elise. Longue vie scientifique à vous !

Merci aux enseignants-chercheurs du laboratoire, pour tous les échanges que j’ai pu avoir avec eux, je pense en particulier à Stéphanie Mazza, Emmanuelle Reynaud, Jean-Claude Bougeant, Georges Michael, et Rémy Versace.

Je remercie enfin mes amis pour leur écoute et leur soutien : Anne-Gaëlle, Sandrine, Léa, Bérengère, Carine, Claire B., Lisianne, et Benjamin S. Que la fin de la thèse me permette de vous voir davantage !

Merci enfin à tous ceux que j’ai oubliés !

Résumé

La façon dont une information se répète au cours du temps a une influence sur la façon dont nous nous souviendrons de cette information. Les recherches en psychologie ont mis en évidence l’effet de pratique distribuée, selon lequel on retient mieux les informations qui se répètent avec des intervalles inter-répétitions longs que celles qui se répètent avec des intervalles inter-répétitions courts. Nos travaux ont porté spécifiquement sur les situations où l’information se répète sur plusieurs jours, et nous avons comparé l’efficacité relative de différents types d’agencement temporel des répétitions. Un agencement uniforme consiste en des répétitions se produisant à intervalles réguliers, un agencement expansif en des répétitions se produisant selon des intervalles de plus en plus espacés, et un agencement contractant en des répétitions se produisant selon des intervalles de plus en plus rapprochés. Les Expériences 1 et 2 consistaient en une phase d’apprentissage d’une semaine et ont révélé la supériorité des agencements expansif et uniforme après un délai de rétention de deux jours. L’Expérience 3 consistait en une phase d’apprentissage de deux semaines, et les sujets étaient ensuite testés lors de trois délais de rétention différents (2, 6 ou 13 jours). La supériorité de l’agencement expansif sur les deux autres agencements est apparue progressivement, suggérant que les différents agencements induisaient des taux d’oubli différents. Nous avons également tenté de tester différentes théories explicatives des effets de l’agencement temporel des répétitions sur la mémorisation, en particulier les théories de la variabilité de l’encodage (Expérience 4) et de la récupération en phase d’étude (Expérience 2). Les résultats observés tendent à confirmer la théorie de la récupération en phase d’étude. Dans les conclusions de notre travail, nous insistons sur l’importance de la prise en compte des apports des autres disciplines des sciences cognitives, en particulier les neurosciences et la modélisation, dans l’étude de l’effet de pratique distribuée.

Abstract

How information is repeated over time determines future recollection of this information. Studies in psychology revealed a distributed practice effect, that is, one retains information better when its occurrences are separated by long lags rather than by short lags. Our studies focused specifically on cases in which items were repeated upon several days. We compared the efficiency of three different temporal schedules of repetitions: A uniform schedule that consisted in repetitions occurring with equal intervals, an expanding schedule that consisted in repetitions occurring with longer and longer intervals, and a contracting schedule that consisted in repetitions occurring with shorter and shorter intervals. In Experiments 1 and 2, the learning phase lasted one week and the retention interval lasted two days. It was shown that the expanding and uniform schedules were more efficient than the contracting schedule. In Experiment 3, the learning phase lasted two weeks and the retention interval lasted 2, 6, or 13 days. It was shown that the superiority of the expanding schedule over the other two schedules appeared gradually when the retention interval increased, suggesting that different schedules yielded different forgetting rates. We also tried to test major theories of the distributed practice effect, such as the encoding variability (Experiment 4) and the study-phase retrieval (Experiment 2) theories. Our results appeared to be consistent with the study-phase retrieval theory. We concluded our dissertation by emphasizing the importance of considering findings from other areas in cognitive science–especially neuroscience and computer science–in the study of the distributed practice effect.

Préambule

La thématique générale du présent travail est celle de comprendre l’effet de la répétition d’une information sur la mémoire. Il est de sens commun que le fait de rencontrer ou d’étudier une même information à plusieurs reprises est plus utile à sa rétention ultérieure qu’une unique rencontre. De plus, nous voudrions tous améliorer ou optimiser nos apprentissages, dans le cadre sociétal actuel qui pousse l’individu à réaliser des performances toujours plus élevées, et ce en un temps minimal. Un grand nombre de travaux ont étudié les situations dans lesquelles l’information est présentée, puis présentée à nouveau, puis testée, au sein d’une session expérimentale unique. Il a été découvert que la durée de l’intervalle temporel séparant les présentations successives d’une même information a une grande influence sur la rétention ultérieure. Des effets robustes relatifs à l’effet de pratique distribuée ont été mis en évidence depuis les années 1950. Les effets de pratique distribuée seront décrits dans le premier chapitre. Plus précisément, le présent travail porte sur un sous-ensemble de la problématique de l’effet de pratique distribuée. Nous nous sommes intéressée à la question de la répartition de trois occurrences ou plus d’une information verbale sur une période de plusieurs jours. Par exemple, un étudiant sérieux qui apprend et révise une liste de vocabulaire dans une langue étrangère va étendre son travail d’apprentissage sur plusieurs jours et non pas sur quelques minutes avant l’examen. La particularité de notre travail est donc, d’une part, liée au nombre d’occurrences, qui est plus élevé que ce qui est étudié classiquement dans la littérature, et d’autre part, au fait que l’échelle temporelle est également plus longue que dans la majorité des études existantes.

Le présent document est scindé en trois grandes parties : une partie théorique composée de trois chapitres, une partie expérimentale composée de deux chapitres, et une dernière partie consacrée à la discussion générale. Dans la partie théorique, nous nous sommes attachée à décrire de la façon la plus exhaustive possible les effets de pratique distribuée ; cette recherche nous a menée vers divers champs disciplinaires. Bien entendu, le champ auquel nous serons le plus fortement rattachée est celui de la psychologie cognitive.

Le premier chapitre sera consacré à une revue de littérature relative à l’effet de la pratique distribuée en général. Après un rapide historique relatif aux travaux d’Ebbinghaus (1885), nous décrirons brièvement la notion d’effet d’espacement (e.g., Melton, 1967), loi selon laquelle il est plus bénéfique pour la mémoire d’espacer les présentations répétées d’un item que de les masser, c’est-à-dire de les répéter en succession immédiate. Au-delà de l’effet d’espacement, nous aborderons également la notion d’effet d’intervalle (ou lag effect) qui s’attache à décrire, toujours dans le cas où un item est présenté à deux reprises, la performance mnésique en fonction de la durée de l’intervalle inter-répétition. Les études ont montré globalement qu’il existe un intervalle inter-répétition optimal. En d’autres termes, la performance mnésique décrit une courbe en U inversé en fonction de l’intervalle inter-répétition (IIR) et ce, que les répétitions aient lieu sur une courte (e.g., Glenberg, 1976) ou une longue (Cepeda, Vul, Rohrer, Wixted, & Pashler, 2008) échelle de temps. Nous aborderons ensuite les situations dans lesquelles trois occurrences d’un item (ou plus) surviennent. La situation se complexifie alors puisque plusieurs paramètres peuvent varier et se combiner entre eux : le nombre d’occurrences, la durée entre la première et la dernière occurrence, la durée des IIR successifs, et le délai de rétention (DR). D’une façon générale, les études maintiennent constant le délai de rétention et comparent l’effet de trois types d’agencement temporel des répétitions sur la mémoire : a) un agencement uniforme dans lequel les IIR successifs sont de même durée (par exemple X-X-X-X où les ‘X’ représentent les jours avec présentation de l’item et les tirets les jours sans présentation) ; b) un agencement expansif dans lequel les IIR sont initialement courts puis de durée croissante (par exemple XX-X--X) ; et c) un agencement contractant dans lequel les IIR sont initialement longs puis de durée décroissante (par exemple X--X-XX). Dans les études réalisées sur une courte échelle de temps, c’est-à-dire lorsque apprentissage et récupération se déroulent au sein d’une même journée, il a été montré que l’effet varie selon le DR. L’agencement expansif est le plus avantageux lorsque le DR est court, tandis que l’agencement uniforme est le plus avantageux lorsque le DR est long, (e.g., Logan & Balota, 2008). Dans les rares études ayant été réalisées sur une longue échelle de temps, c’est-à-dire lorsque apprentissage et récupération se déroulent sur plusieurs jours (e.g., Tsai, 1927), c’est l’agencement expansif qui, globalement, était le plus avantageux pour la rétention ultérieure.

Le deuxième chapitre sera consacré à la description des théories évoquées dans la littérature de la psychologie cognitive pour expliquer les effets de pratique distribuée. Tout d’abord, la théorie de la variabilité de l’encodage (e.g., Glenberg, 1979) est une théorie relativement complexe qui stipule que le passage du temps entre les occurrences d’un item favorise un encodage varié de cet item lors des différentes occurrences. En effet, les éléments contextuels présents lors de l’encodage seraient inclus dans les traces mnésiques alors créées. D’une façon générale, un item répété qui donne lieu à un encodage varié a pour conséquence une trace mnésique plus riche, ce qui en favorise la récupération ultérieure. Il s’ensuit qu’un long intervalle entre les occurrences répétées est favorable au rappel final. En outre, le moment où se produit la récupération finale, qui dépend de la durée du délai de rétention, influence également la récupération et, donc, devrait moduler les effets de l’IIR. Deuxièmement, la théorie de la récupération en phase d’étude (e.g., Hintzman, Summers, & Block, 1975) propose que, pour qu’une répétition soit efficace, elle doit déclencher chez le sujet la récupération des traces mnésiques associées à la (ou aux) occurrence(s) antérieure(s) de cet item. Si cette récupération n’a pas lieu, la rétention ultérieure ne sera pas optimale. Bien que ces deux premières hypothèses soient classiquement opposées dans la littérature, quelques auteurs ont proposé de les combiner dans ce que nous appellerons les modèles mixtes. Par ailleurs, d’autres hypothèses ont été proposées, quoique étant moins souvent évoquées : les théories de l’accessibilité et de la reconstruction (e.g., Jacoby, 1978), et les théories du traitement déficitaire et de l’amorçage (e.g., Challis, 1993). Enfin, des hypothèses en termes de métacognition ont également été proposées récemment (e.g., Bahrick & Hall, 2005).

Le troisième chapitre abordera des conceptions issues d’autres champs disciplinaires des sciences cognitives pouvant rendre compte des effets de pratique distribuée. Nous décrirons tout d’abord les récentes études d’imagerie cérébrale qui ont porté sur les effets de pratique distribuée et nous constaterons que leurs résultats vont dans le sens des théories du traitement déficitaire et de l’amorçage. En effet, une répétition se produisant trop précocement serait associée à des effets d’amorçage comportementaux et neuraux qui empêcheraient un ré-encodage optimal de l’information (e.g., Wagner, Maril, & Schacter, 2000). Nous décrirons ensuite les principales tentatives de modélisation mathématique réalisées pour rendre compte des effets de pratique distribuée. Nous verrons que ces modèles, souvent, implémentent une combinaison entre plusieurs des hypothèses existantes, et en particulier celles de la variabilité de l’encodage et de la récupération en phase d’étude, ce qui s’apparente aux modèles dits mixtes. Nous verrons également qu’un de ces modèles (Mozer, Pashler, Cepeda, Linsdsey, & Vul, 2009) émet une prédiction relative à l’effet de l’agencement temporel à long terme : au fur et à mesure que le DR augmente, l’agencement expansif verrait son avantage sur les autres agencements augmenter. Dans la suite du troisième chapitre, nous évoquerons des concepts issus des neurosciences, en particulier les notions de consolidation (e.g., Frankland & Bontempi, 2005), de taux d’oubli (e.g., Litman & Davachi, 2008), de reconsolidation (e.g., Hupbach, Gomez, Hardt, & Nadel, 2007), ainsi que l’influence du sommeil sur les effets de répétition (e.g., Ellenbogen, Hulbert, Jiang, & Stickgold, 2009). Les phénomènes de consolidation et d’oubli sont intéressants dans la mesure où ils peuvent ouvrir une nouvelle perspective sur les effets de pratique distribuée : Alors que l’étude des effets de pratique distribuée a relativement négligé la notion de taux d’oubli, l’interaction entre l’IIR et le DR pourrait s’expliquer par des taux d’oubli différents. Nous terminerons par des considérations de nature évolutionniste sur ces effets (e.g., Anderson & Schooler, 1991).

Le quatrième chapitre sera consacré aux Expériences 1 à 3, qui avaient pour objectif d’étudier l’effet de l’agencement temporel sur une longue échelle de temps. Les Expériences 1 et 2 comparaient des agencements uniforme (X-X-X-X), expansif (XXX---X) et contractant (X---XXX) comportant quatre occurrences d’un même stimulus réparties sur une phase d’apprentissage de sept jours. Les stimuli répétés et à apprendre étaient un ensemble de paires associant un pseudomot et un mot. La rétention de ces paires était mesurée lors du 9ème jour par un ensemble de tâches de mémoire explicite, dont une tâche de rappel indicé. L’Expérience 1 était réalisée par les participants par le biais d’Internet, tandis que l’Expérience 2 constituait une réplication de l’Expérience 1 en laboratoire. L’Expérience 1 a révélé que l’agencement expansif était associé à un rappel indicé plus élevé que les agencements uniforme et contractant. L’Expérience 2 a révélé que les agencements expansif et uniforme étaient associés à un rappel indicé plus élevé que l’agencement contractant. Nous discuterons des raisons de cette différence de résultats. Ces deux études répliquaient donc globalement les observations antérieures (e.g., Gay, 1973 ; Tsai, 1927). De plus, dans l’Expérience 2, une tâche de reconnaissance réalisée pendant la présentation des items a mis en évidence que les paires de l’agencement expansif étaient davantage reconnues lors de leur seconde présentation (i.e., P2) que celles des autres agencements. Or, tous agencements confondus, les paires reconnues lors de P2 étaient davantage rappelées ultérieurement, ce qui va dans le sens de la théorie de la récupération en phase d’étude. En effet, les items reconnus à P2, c’est-à-dire récupérés pendant l’apprentissage, bénéficieraient de cette récupération dans la mesure où leurs traces mnésiques seraient enrichies, ce qui favoriserait à son tour leur rétention finale.

L’Expérience 3 comparait les trois types d’agencements suivants : uniforme (X-----X-----X), expansif (XX----------X), et contractant (X----------XX), comportant 3 occurrences d’un même stimulus sur une période d’apprentissage de 13 jours. La durée du DR était manipulée, puisque certains participants étaient testés à J15, d’autres à J19, et d’autres encore à J26. Les résultats n’ont pas révélé d’effet de l’agencement à J15, un effet tendanciel à J19, et un effet significatif à J26, avec supériorité de l’agencement expansif par rapport aux autres agencements. Ainsi, la durée du délai de rétention modulait l’effet de l’agencement temporel. Ces résultats suggèrent également que l’agencement expansif est associé à un taux d’oubli plus faible que les autres agencements, c’est-à-dire que les souvenirs acquis par l’agencement expansif seraient plus résistants à l’oubli que les autres souvenirs.

Le cinquième chapitre sera consacré à l’Expérience 4 et plus généralement à la théorie de la variabilité de l’encodage. L’Expérience 4 avait pour objectif de tester cette théorie en utilisant un protocole consistant à présenter les items à deux reprises. Les mêmes items et les mêmes tâches mnésiques que dans les expériences précédentes étaient utilisés. La théorie de la variabilité de l’encodage prédit que si les deux occurrences ont lieu dans des contextes différents, alors la rétention finale est favorisée. Nous avons tenté d’induire une fluctuation plus ou moins importante des contextes internes dans deux groupes de sujets : le groupe dit de Fluctuation Faible réalisait une activité monotone pendant l’IIR, tandis que le groupe dit de Fluctuation Forte réalisait un ensemble d’activités variées pendant l’IIR. La théorie de la variabilité de l’encodage prédisait que les sujets du groupe Fluctuation Forte seraient dans un état très différent à P2 par rapport à P1, tandis que les sujets du groupe Fluctuation Faible seraient dans un état à P2 relativement similaire à celui de P1. Par conséquent le groupe Fluctuation Forte devrait présenter des performances finales plus élevées que le groupe Fluctuation Faible. Les résultats n’ont pas révélé de différence significative, bien que le sens de la différence entre les moyennes pour les deux groupes aille dans le sens de la théorie.

La dernière partie sera consacrée à la discussion générale. Nos expériences ont montré, dans la continuité de Tsai (1927) et de Gay (1973), que l’agencement expansif était le plus à même de favoriser la mémorisation et la rétention ultérieures. Elles constituent donc des avancées empiriques pour cette problématique relativement peu explorée. Le résultat réellement nouveau est cependant d’avoir montré que l’avantage de l’agencement expansif sur les autres était de plus en plus important avec le passage du temps après la phase d’apprentissage. Ce résultat suggère que l’agencement expansif permettrait aux items de bénéficier d’un taux d’oubli plus faible que les autres.

Nous discutons tout d’abord de l’apport théorique de nos résultats. La théorie de la variabilité de l’encodage s’accommode relativement mal de ces résultats dans la mesure où elle prédirait que le meilleur agencement devrait être l’agencement contractant après un court DR et un agencement uniforme après un long DR. La théorie de la récupération en phase d’étude s’accommode relativement mieux de ces résultats, sans avoir toutefois prédit la modulation par le délai de rétention. Un modèle mixte combinant les propriétés des deux théories pourrait être cohérent. Il faut en effet noter que nos résultats concordent avec les prédictions du modèle mathématique de Mozer et al. (2009) qui implémente une combinaison des théories de la variabilité de l’encodage et de la récupération en phase d’étude.

Les considérations sur le taux d’oubli nous ont amenée à considérer les effets du délai de rétention dans les études antérieures (Tsai, 1927 ; Cull, 2000 ; ainsi que dans notre Expérience 2 pour les données de la rétention deux mois après l’apprentissage). Ces observations ont révélé que, dans ces études, l’agencement expansif était soit responsable des meilleures performances mnésiques ultérieures, soit associé au taux d’oubli le plus faible, soit les deux. Nous défendons ensuite l’idée que, dans les études sur l’effet de la pratique distribuée, il pourrait être fructueux d’adopter une nouvelle perspective vis-à-vis des facteurs IIR et DR. En effet, en général les auteurs considèrent la courbe de performance en fonction de l’IIR, et ce, en prenant en compte séparément chaque condition de DR. Ces courbes représentent donc en général une courbe en U inversé, et l’IIR optimal est de plus en plus long lorsque le DR augmente. Ce type de données est relativement difficile à interpréter. Or, une façon plus intuitive de représenter et d’interpréter les données serait de présenter les performances en fonction du DR, en considérant chaque IIR séparément, autrement dit de représenter la courbe d’oubli induite par les différents IIR. Nous poursuivons la discussion sur la question de la généralisabilité des résultats, sur les applications possibles des effets de l’agencement pour l’apprentissage et sur la poursuite des études à conduire sur ce sujet.