1. 2. L’effet d’espacement

De nombreuses études réalisées depuis celles d’Ebbinghaus ont confirmé la loi générale selon laquelle la répétition favorise la mémorisation (e.g., Peterson, Ellis, Toohill, & Kloess, 1935), ainsi que l’avantage de la répartition dans le temps des apprentissages. De façon empirique, les pédagogues avaient déjà eu l’intuition de ce phénomène. Il a été montré qu’un stimulus présenté deux fois était mieux retenu lorsque les deux présentations étaient séparées par un intervalle temporel, contenant ou non d’autres stimuli, par rapport à une situation où les deux présentations avaient lieu immédiatement à la suite l’une de l’autre (e.g., Melton 1967). La première situation correspond à la condition dite « espacée » ou « distribuée », et la dernière à la condition dite « massée ». Cette constatation a été intitulée l’effet d’espacement. Dans les études classiques portant sur cet effet, la procédure se schématise de la façon suivante, et nous utiliserons cette formalisation dans le reste de notre exposé : la première présentation d’un item, dite P1, est suivie de la seconde présentation de ce même item, dite P2. L’intervalle séparant P1 et P2 est variable et est appelé intervalle inter-répétition (IIR). Ultérieurement a lieu la tâche de rétention, et l’intervalle séparant P2 de la tâche de rétention est appelé intervalle de rétention ou délai de rétention dans le présent travail (DR). La Figure 1 représente cette succession d’événements.

Figure 1 : Schématisation des étapes d’une expérience étudiant l’effet de l’intervalle inter-répétition sur les performances mnésiques.

L’effet d’espacement est devenu un thème de recherche sur la mémoire faisant l’objet de très nombreuses publications dans les années 1960-70 (avec une diminution de l’intérêt depuis les années 1970). En effet, l’effet d’espacement a été observé dans un très grand nombre de situations expérimentales mettant en jeu du matériel varié (syllabes sans signification, mots, phrases, paires de mots, mais aussi images, etc), diverses tâches de mémoire (de la reconnaissance au rappel libre en passant par le rappel indicé et l’estimation de fréquence), des modalités sensorielles variées (visuelle, auditive, et aussi visuelle et auditive ensemble), dans des conditions diverses d’apprentissage (incidentes et délibérées), et également dans des tâches d’apprentissage procédural (pour revue, voir Lee et Genovese, 1988). Plusieurs revues et méta-analyses de cet effet sont disponibles : Hintzman (1974), Cepeda, Pashler, Vul, Wixted, et Rohrer (2006), Crowder (1976, chapitre 9), Janiszewski, Noel, et Sawyer (2003), et Donovan et Radosevich (1999). Elles rapportent toutes le caractère robuste de l’effet d’espacement.

La grande majorité des études a été réalisée dans un cadre dans lequel les présentations des stimuli et le test de mémoire avaient lieu au cours d’une seule session expérimentale, par conséquent sur une fenêtre temporelle de quelques minutes, voire une heure au plus. En général, on présentait au sujet une liste d’items dans laquelle un item donné était présenté deux fois avec un intervalle variable entre les deux occurrences (IIR), puis quelques instants plus tard, une tâche de rétention avait lieu. D’autre part, quelques études ont été menées pour comparer une situation massée à une situation distribuée dans laquelle l’intervalle entre deux répétitions était d’au moins un jour (e.g., Rohrer & Taylor, 2006 ; Landauer & Ross, 1977 ; Bloom & Shuell, 1981 ; Pashler, Zarow, & Triplett, 2003 ; Seabrook, Brown, & Solity, 2005 ; Robinson, 1921). Les résultats ont conforté la loi selon laquelle une condition massée était délétère pour la mémoire ultérieure par rapport à la condition distribuée. La seule exception à cette règle, à notre connaissance, était l’observation faite par Rohrer et Taylor (2006). Ils ont en effet observé que la condition espacée, correspondant à un intervalle d’une semaine, n’était pas supérieure à la condition massée lorsque les connaissances étaient testées après une semaine, alors qu’elle lui était nettement supérieure lorsque le test avait lieu après quatre semaines. Cet exemple nous permet de noter dès à présent l’importance du délai de rétention sur les effets observés, que nous détaillerons plus tard dans l’exposé.

En somme, l’effet d’espacement, même étudié sur une longue échelle de temps, est un effet robuste. Nous ne nous attarderons pas davantage sur ce sujet et recommandons au lecture désireux d’en savoir plus de se référer aux revues existantes, en particulier Cepeda et al. (2006). Par ailleurs, des recherches récentes chez l’animal (présentées dans la section 3.3.1) ont apporté des éléments relatifs aux corrélats neurophysiologiques élémentaires impliqués dans l’effet d’espacement.