Résultats contradictoires

Cull (2000, Expérience 1) a utilisé dans ses expériences trois façons différentes de présenter l’information au cours de la phase d’apprentissage. Le premier type de présentation est appelé Etude seule : les deux éléments constitutifs de l’item apparaissent toujours l’un avec l’autre. Par exemple, dans le cas où les items sont des paires de mot, l’intégralité de la paire apparaît lors de chaque présentation. Le second type de présentation possible est appelé Test seul : lors du premier essai, les deux éléments de la paire sont présentés ensemble, puis lors des essais ultérieurs, un seul élément constitutif de la paire est présenté, et le participant doit alors rappeler l’élément associé. Dans cette condition, aucun feedback n’est fourni suite à la réponse du participant. C’est ce type de présentation qui était employé dans l’Expérience 2 de Landauer et Bjork (1978) avec les éléments visage et prénom présentés à chaque essai, la réponse attendue étant le nom de famille. Enfin, le troisième type de présentation est dit Test-étude : l’élément indice apparaît seul pendant quelques secondes, le participant doit tenter de rappeler l’élément cible, puis celui-ci apparaît finalement pendant le reste du temps de présentation, et fait office de feedback. Une variante de ce type de présentation correspond à une situation dans laquelle le participant reçoit un feedback dès qu’il a donné sa réponse, et non pas après un intervalle fixé. Nous ne ferons pas de distinction entre ces deux variantes. (Le type Test-étude peut également être intégré dans un protocole d’apprentissage, comme dans Cepeda et al., 2008, 2009, dans lequel l’item est présenté jusqu’à obtenir une réponse correcte de la part du participant.) Nous adopterons dans la suite du texte la nomenclature utilisée par Cull (2000) pour décrire les différents types de présentation.

Dans l’Expérience 1 de Cull (2000), les sujets devaient apprendre des paires associant un mot rare et un mot commun. Les agencements expansifs (1-5-9) et uniforme (5-5-5) ont été comparés, mais contrairement aux résultats antérieurs, pour aucun type de présentation la différence entre les performances des agencements expansif et uniforme n’était significative.

Dans sa deuxième expérience, Cull (2000) a comparé des agencements uniforme et expansif avec des IIR plus longs, c’est-à-dire de l’ordre de quelques minutes et non plus en termes d’items intercalés. De nouveau, l’agencement n’avait pas d’effet sur la performance, et ce, quel que soit le type de présentation utilisé.

Carpenter et DeLosh (2005, Expérience 2) ont comparé un agencement uniforme (3-3-3) avec un agencement expansif (1-3-5), avec pour stimuli des paires associant un visage et un nom. Par ailleurs, ils ont comparé des essais de type Etude seule avec des essais de type Test seul. Contrairement aux études antérieures, l’agencement uniforme s’est révélé plus efficace pour la rétention que l’agencement expansif, et ce pour les deux types de présentation. Dans l’Expérience 3, ils ont comparé un agencement uniforme (3-3-3) avec un agencement expansif (3-5-7) tel que, cette fois, le premier IIR était de même durée et l’IIR moyen n’était pas le même dans les deux conditions. L’objectif était de tester l'hypothèse selon laquelle l’agencement expansif est plus efficace car il permet l'augmentation progressive de la difficulté de récupération au fil des répétitions (Bjork, 1988). Ainsi, dans le cas des agencements utilisés, le critère de difficulté progressive était respecté dans l’agencement expansif mais pas dans l’agencement uniforme, ce qui aurait dû conduire à une supériorité de l’agencement expansif. Or, les résultats n’ont pas révélé de différence entre les deux agencements, et ce dans aucun des deux types de présentation, remettant en question à la fois l’hypothèse de l’avantage général de l’agencement expansif et celle de la théorie de difficulté croissante de récupération.

Trois articles récents (Balota, Duchek, Sergent-Marshall, & Roediger, 2006 ; Karpicke & Roediger, 2007 ; Logan & Balota, 2008) se sont intéressés à la comparaison des agencements expansif et uniforme dans des études à court terme. Tous trois testaient l’hypothèse selon laquelle c’est le premier IIR, celui entre l’essai de présentation (P1) et le premier essai test (P2), qui détermine la rétention et la performance ultérieure de mémoire. Les trois études utilisaient des agencements similaires aux agencements déjà rencontrés, par exemple 3-3-3 vs. 1-3-5, et employaient la procédure Test seul et parfois Test-étude. Le matériel à apprendre était un ensemble de paires de mots ou de paires de vocabulaire. Balota et al. étudiaient un groupe de patients souffrant de la maladie d’Alzheimer, et Logan et Balota un groupe de sujets âgés normaux. Pour pouvoir étudier plus avant les processus en jeu pendant la phase d’apprentissage, les scores aux tests étaient enregistrés, ainsi que les temps de réponse dans les études de Karpicke et Roediger et de Logan et Balota. De plus, dans ces deux dernières études a été ajoutée, en plus du DR de quelques minutes classiquement employé, une condition dans laquelle le rappel final était plus tardif : 24h pour Logan et Balota et 48h pour Karpicke et Roediger. Les résultats ont montré les effets suivants. Premièrement, il y avait un avantage général et toujours observé de l’agencement expansif sur l’agencement uniforme pendant la phase d’apprentissage en termes de scores de récupération en condition Test seul. Ce n’était pas toujours le cas en condition Test-étude. Cependant, la différence de succès de récupération entre les agencements expansif et uniforme était de plus en plus faible au fil des essais de récupération. Autrement dit, lors de la première tentative de récupération, le succès pour l’agencement expansif était très important, et il diminuait d’essai en essai, rejoignant alors les niveaux de succès de l’agencement uniforme. Il y avait donc une convergence des performances. Ce phénomène peut s’expliquer par le fait que les IIR étaient de plus en plus longs dans la condition expansive, favorisant de plus en plus l’oubli des informations entre les répétitions. Deuxièmement, les temps de réponse diminuaient progressivement d’essai en essai dans les deux agencements, mais cette diminution était plus ample dans l’agencement uniforme, qui par ailleurs démarrait d’une valeur initiale plus haute. Comme les auteurs considèraient que les temps de réponse reflètent la difficulté de récupération, alors les essais seraient de moins en moins difficiles dans les deux agencements. Or, ce résultat s’oppose à la théorie énoncée par Bjork (1988) selon laquelle l’avantage de l’agencement expansif sur l’agencement uniforme serait dû au fait que la difficulté de récupération est croissante d’essai en essai dans la condition expansive, mais pas dans la condition uniforme. Troisièmement, les scores finaux lorsque le test se déroulait lors de la même session n’ont pas révélé de différence entre les agencements. Cependant, de façon intéressante, lorsque le test avait lieu après 24h ou 48h c’est l’agencement uniforme qui présentait un avantage significatif sur l’agencement expansif.

Ces résultats remettaient ainsi en question l’hypothèse selon laquelle la difficulté de récupération est croissante dans l’agencement expansif (Bjork, 1988) puisqu’au contraire les temps de récupération étaient de plus en plus courts pendant la phase d’apprentissage. Au contraire, il semble plutôt que le plus grand effort de récupération a lieu pendant le premier essai de récupération et que cette récupération nécessite plus d’effort dans la condition uniforme que dans la condition expansive. Cette hypothèse a aussi été confirmée par l’observation de Karpicke et Roediger (2007, Expérience 3) et de Carpenter et DeLosh (2005) selon laquelle, lorsqu’on compare des agencements qui commencent par le même intervalle, alors on n’observe pas de différence entre les agencements.

Ainsi, de façon globale, il s’avère qu’après un court DR, l’avantage de l’agencement expansif a été observé dans la moitié des études, l’autre moitié montrant soit une égalité soit un avantage de l’agencement uniforme. Au contraire, après un DR de 24h ou plus, l’avantage de l’agencement uniforme a été observé dans toutes les études. Il semble que lorsque le test de rétention a lieu après un certain délai, c'est l'agencement de type uniforme qui serait le plus efficace. Les études ont également montré que pour favoriser la rétention à long terme, il est avantageux d’avoir un premier intervalle long avant le premier test. L’idée sous-jacente est qu’avec un important IIR entre la présentation initiale et le premier test, la difficulté de récupération est alors importante, et que si la récupération est réussie alors celle-ci est très utile pour la rétention ultérieure. Il semble par ailleurs que la première tentative de récupération est très importante tandis que les tentativesultérieures le sont moins. Cela remet donc en cause l’idée généralement acceptée que l’agencement expansif est plus favorable que l’agencement uniforme.On peut considérer également que les agencements expansifs consistent en un intervalle initial très court, voire de type massé, qui est efficace pour la rétention à court terme, alors que les agencements uniformes consistent en un intervalle initial plus long, qui est efficace pour la rétention à long terme. Cette explication pourrait expliquer pourquoi l’agencement uniforme semble être de plus en plus efficace au fur et à mesure de l’allongement du DR.

Il faut cependant remarquer que les études ayant conduit à cette conclusion utilisaient des présentations de type Test seul ou Test-étude, qui incitent le sujet à récupérer explicitement les réponses pendant la phase d’apprentissage, et non celles de type Etude seule, qui est le type employé classiquement dans les études sur les effets d’espacement et d’intervalle. Il est possible que d’autres explications prévalent lorsque ce dernier type de présentations est employé. Globalement, on peut conclure que l’effet de l’agencement est différent selon le type de présentation utilisé.

Nous avons décidé de nous intéresser aux situations dans lesquelles l’information n’est pas testée de manière répétée mais est présentée de manière répétée. Nous pensons que certains mécanismes sont communs à ces deux situations mais que, cependant, des particularités sont associées à chaque situation. Il est important de noter que dans les quelques études ayant utilisé la procédure Etude seule (i.e., Landauer & Bjork, 1978, Expérience 2 ; Cull, 2000, Expériences 1 et 2 ; Carpenter & DeLosh, 2005), soit il n’y avait pas de différence observée entre les agencements uniforme et expansif, soit l’agencement uniforme était plus efficace. L’agencement expansif n’a jamais été significativement plus efficace que l’agencement uniforme dans le cas de présentations successives, c’est-à-dire en condition Etude seule.