1. 4. 2. À long terme

Nous avons considéré jusqu’à présent les études portant sur l’effet de l’agencement temporel sur une courte échelle de temps. Cependant, les informations présentes dans l’environnement et que nous devons retenir peuvent également se répéter sur plusieurs jours. D’autre part, ces informations qui se répètent (par exemple lorsque nous interagissons avec les autres, que nous lisons le journal, que nous apprenons quelque chose ou que nous révisons nos leçons) ne nous imposent pas de « test », elles se présentent simplement à nouveau, ce qui, expérimentalement, correspond à des essais de type Etude seule. La question de l’agencement des répétitions sur une longue échelle de temps, c’est-à-dire sur plusieurs jours, a été le sujet de recherches menées au début du siècle (e.g., Peterson, et al., 1935 ; Burtt & Dobbel, 1925; Lyon, 1914)1 mais fait l’objet de peu d’études récentes, probablement pour des raisons pratiques. Parmi ces études, quatre d’entre elles présentent un intérêt particulier pour notre problématique. Il s’agit, dans l’ordre chronologique, de Tsai (1927), Sones et Stroud (1940), Gay (1973), et Cull (2000).

Dans l’étude de Sones et Stroud (1940), les auteurs ont comparé l’efficacité de trois agencements temporels et, à la différence des études actuelles qui égalisent le DR, ont égalisé la durée totale entre la première occurrence et le test final (durée totale de 42 jours). Cela aboutit au fait que la durée d’apprentissage ainsi que la durée du DR différaient entre les agencements (la durée de la phase d’apprentissage était de 4, 16, ou 18 jours respectivement pour les agencements expansif, uniforme, et contractant). Le matériel utilisé était de plus particulier dans la mesure où il s’agissait de faire lire aux participants des passages de texte. Ainsi, le fait qu’ils aient observé un avantage de l’agencement expansif par rapport aux agencements contractant et uniforme est à prendre avec grande précaution.

Gay (1973, Expérience 2) a comparé l’effet de différents agencements de sessions d’apprentissage avec du matériel mathématique auprès d’élèves du collège. Le principe était le suivant. Les élèves devaient apprendre quatre règles mathématiques au total. Lors de la première session, l’apprentissage consistait à faire en sorte que l’élève parvienne à résoudre à la suite deux problèmes relatifs à la même règle, et ce pour les quatre règles. Les sessions de révision avaient lieu les jours 2 et 3 pour le premier groupe (i.e., agencement uniforme), les jours 2 et 8 pour le deuxième groupe (i.e., agencement expansif) et les jours 7 et 8 pour le troisième groupe (i.e., agencement contractant). Les sessions de révision comportaient un test sur les règles précédemment apprises, suivi de la présentation d'un nouvel exemple si l'élève échouait, puis le passage à une autre règle lorsque l'élève réussissait. Le test de rétention final avait lieu le jour 22 et consistait en un test similaire à ceux proposés lors des sessions d'apprentissage et de révision. Dans cette expérience, tout comme dans celle de Sones et Stroud (1940), l'intervalle entre la première session et le test de rétention final a été rendu égal entre les groupes. Ici, le DR n'était donc pas le même entre toutes les conditions. Cependant, pour les groupes expansifs et contractants, la dernière session de révision avait lieu le jour 8 ; donc le DR était le même dans les deux cas, et l’on pouvait donc les comparer. Les scores ont montré que le nombre de problèmes correctement résolus était plus important en condition expansive (sessions les jours 1, 2, 8) qu’en condition contractante (les jours 1, 7, 8), lui-même plus important qu’en condition uniforme (les jours 1, 2, 3). L'agencement expansif a donc permis une meilleure rétention finale que l'agencement contractant. Il faut cependant prendre en considération la particularité du matériel étudié et la tâche réalisée. En effet, il s’agissait d’appliquer une règle mathématique apprise à des exemples nouveaux, ce qui s’apparente davantage à de l’apprentissage procédural qu’à de la mémoire déclarative. Or, il n’est pas assuré que les phénomènes observés dans les tâches procédurales soient les mêmes que celles observées dans des tâches déclaratives.

Tsai (1927, Expériences 2 et 3) a été le premier à étudier l’effet de l’agencement temporel de sessions d’apprentissage sur plusieurs jours. Les stimuli utilisés étaient des mots de vocabulaire anglais - chinois présentés à des étudiants chinois. Les participants ont été répartis en trois groupes et chaque groupe bénéficiait de sessions d’apprentissage correspondant à un agencement particulier.

Dans l’Expérience 2, trois agencements, distribués sur un total de 11 jours et consistant en 6 sessions d’apprentissage ont été comparés. L’agencement expansif consistait en les intervalles successifs suivants : 24h-24h-24h-72h-96h. Cet agencement peut également se représenter de la façon suivante : XXXX--X---X. Dans cette nomenclature, les ‘X’ représentent les jours où l’item était présenté, tandis que les tirets représentent les jours où l’item n’était pas présenté. Par souci de clarté, nous adopterons cette nomenclature pour représenter les agencements à long terme. L’agencement contractant était le suivant : X---X--XXXX, et l’agencement uniforme était le suivant : X-X-X-X-X-X. Ainsi, pour les trois agencements, l’espacement moyen entre deux répétitions successives était de 48h.

Le test de rappel indicé avait lieu le 14ème jour et consistait à donner, en réponse aux mots anglais, le mot chinois associé. Le DR avait donc une durée de 3 jours. Un second test de même nature avait lieu le 18ème jour pour les mêmes sujets (DR de 7 jours). Les performances de rappel se sont révélées plus élevées dans la condition expansive (61% et 45% respectivement pour le test à J14 et J18) que dans la condition contractante (52% et 41%), et les performances de rappel étaient plus élevées dans la condition contractante que dans la condition uniforme (48% et 35%). L’article ne précise pas la validité statistique de la comparaison de ces scores.

Dans l’Expérience 3, trois nouveaux agencements étaient comparés, dans un protocole comportant 8 sessions d’apprentissage distribuées sur un total de 15 jours. Les trois agencements avaient un IIR moyen d’une durée de 48h comme dans l’Expérience 1, et se schématisaient de la façon suivante:

  • Agencement expansif : XXXX-X-X--X---X
  • Agencement contractant : X---X--X-X-XXXX
  • Agencement uniforme : X-X-X-X-X-X-X-X

Les tests avaient lieu le 18ème jour (DR de 3 jours) et le 32ème jour (DR de 17 jours). Les performances de rappel étaient plus élevées dans la condition expansive (74% et 54% respectivement pour le test à J18 et J32) que dans la condition contractante (64% et 48%), et elles étaient plus élevées dans la condition contractante que dans la condition uniforme (56% et 40%).

Ainsi, de façon générale, ces expériences ont montré que l’agencement de type expansif était plus efficace que les autres avec des répétitions consistant en de simples présentations sur plusieurs jours. Cependant, il est délicat de tirer des conclusions claires quant à l’interaction entre l’effet du DR et l’effet de l’agencement. En effet, bien que dans chacune de ces expériences deux durées de DR aient été testées, les deux tests portaient tous les deux sur l’ensemble du matériel chez les mêmes sujets. Les deux tests successifs n’étaient donc pas indépendants et il est possible que les réponses fournies par les participants lors du premier test aient permis une réactivation et un réapprentissage des items rappelés, alors que ce n’était pas le cas pour les items non rappelés.

Dans sa troisième expérience, Cull (2000) a comparé deux agencements temporels, pour lesquels l’ensemble des sessions étaient réparties sur 7 jours. Deux agencements temporels étaient comparés, et ce de façon inter-sujets : l’agencement expansif était de type XX-X--X, tandis que l’agencement uniforme était de type X-X-X-X. Les items appris étaient des paires de vocabulaire. La procédure d’apprentissage utilisée était similaire à celle de Cepeda et al. (2008, 2009) puisque lors de la première session, on s’assurait que les sujets avaient répondu correctement à chaque item au moins une fois ; lorsqu’une réponse était incorrecte, la solution était présentée, et l’item testé de nouveau ultérieurement. Les performances finales mesurées le 10ème jour (DR de 3 jours) n’ont pas révélé de différence entre les agencements. L’Expérience 4 répliquait l’Expérience 3 avec un DR de 8 jours et n’a pas non plus révélé de différence d’efficacité entre les agencements.

En somme, les rares études existantes ayant comparé différents agencements sur le long terme présentent des résultats relativement contradictoires, et de plus, les protocoles étaient différents dans chaque cas. Par ailleurs, la comparaison des études réalisées à court terme avec celles réalisées à long terme est délicate dans la mesure où les études à court terme employaient majoritairement une procédure d’apprentissage à base de tests alors que les études à long terme employaient majoritairement une procédure d’apprentissage à base de présentations simples. On ne sait donc pas si les mêmes effets de l’agencement à long terme seraient observés dans le cas d’essais de type Test-étude / Test seul ou Etude-seul.

L'objectif du présent travail était de mieux comprendre les effets mnésiques de l'agencement temporel sur une longue échelle de temps, en conduisant des études s'inspirant de celles réalisées par Gay (1973), Cull (2000) et surtout Tsai (1927). Les deux chapitres suivants seront consacrés à la description des causes potentielles de ces effets d'agencement et, plus généralement, des effets de pratique distribuée.

Notes
1.

De façon intéressante, voici ce qu’écrivait Lyon en 1914 :« […] la loi la plus générale qui peut être énoncée […] est que la méthode la plus économique est de distribuer les lectures sur une période relativement longue - les intervalles entre les lectures étant de proportion arithmétique. Par exemple, pour un individu qui mémorise un poème de vingt strophes, la meilleure rétention était obtenue en distribuant les lectures de la façon suivante : 2 heures, 8 heures, 1 jour, 2 jours, 4 jours, 8 jours, 16 jours, etc. […] Les associations qui ont été formées à un moment donné doivent être rappelées avant qu'un intervalle trop long se soit écoulé, lequel faisant que les associations originales perdent alors leurs « couleurs » et ne peuvent plus être rappelées dans les mêmes forme, temps, et ordre. En général, il a été trouvé que la méthode la plus économique pour conserver le matériel à l'abri de la disparition une fois mémorisé, était de revoir le matériel dès qu'il commençait à s' « effacer ». Cette citation reflète à la fois l’utilité de l’agencement expansif et la notion de récupération en phase d’étude comme nous le verrons dans le chapitre 2. Toutefois, les arguments étaient davantage ceux, intuitifs, de pédagogues, que basés sur des résultats expérimentaux.