2. 1. 4. Arguments expérimentaux en faveur de la théorie

Dans son article de 1979, Glenberg proposait trois expériences visant à tester les prédictions de la théorie de la variabilité de l’encodage en manipulant les différents niveaux de composants. Nous présenterons les deux premières expériences. Dans la première, des paires de mots liés entre eux étaient présentées, par exemple lame-couteau, le mot cible étant le second mot (couteau). Dans la condition dite de constance d’encodage, la paire était répétée à l’identique (lame-couteau). Dans la condition dite de variation de l’encodage, le mot cible était répété au sein d’une paire contenant un autre mot indice (cuillière-couteau). En plus de cette manipulation, certaines paires étaient répétées en condition massée et d’autres en condition distribuée. Le facteur espacement servait à induire un stockage différentiel sur les composants contextuels, tandis que le facteur type d’encodage servait à induire un stockage différentiel sur les composants descriptifs. Les prédictions sur l’interaction entre le type d’encodage et l’espacement étaient différentes selon la tâche de récupération employée.

Dans une tâche de rappel indicé, ce sont les composants descriptifs qui sont responsables de l’accès à la trace car ils sont fournis dans l’indice lors du test. On ne devrait donc pas observer l’effet d’espacement en condition de variation de l’encodage car on a alors induit un maximum de variabilité pour l’encodage des composants descriptifs, ainsi le rappel est élevé et non influencé par l’espacement. Ce sont les résultats qui ont été observés. En rappel libre, ce sont les composants contextuelsprésents lors du test qui servent d’indices permettant l’accès à la trace. Comme le stockage différentiel des composants contextuels est indépendant de la manipulation du type d’encodage, l’effet d’espacement devrait être observé dans les deux conditions d’encodage. C’est également ce résultat qui a été observé.

Dans l’Expérience 2,plusieurs listes de mots étaient présentées puis une tâche de rappel libre avait lieu. L’effet d’intervalle était testé en répétant certains mots au sein d’une liste avec des IIR différents. L’auteur manipulait le stockage différentiel des composants contextuels globaux en réalisant des répétitions des mots entre les listes, en considérant que les autres types de composants, c’est-à-dire les composants structurels et descriptifs, maintenaient un stockage différentiel constant. Le DR était manipulé : le rappel libre avait lieu soit immédiatement après la présentation de la liste, soit immédiatement après la présentation de toutes les listes, soit deux heures après la présentation de toutes les listes. La manipulation du DR servait à biaiser ou non les composants contextuels globaux instanciés au moment du rappel libre. Les résultats ont montré que pour les items répétés dans des listes différentes, la performance de rappel en fonction de l’IIR inter-liste était monotone décroissante lorsque le rappel libre était immédiat, et monotone croissante lorsque le rappel libre était tardif. Ces deux expériences ont donc montré que la manipulation des composants de différents niveaux, ainsi que de la durée du DR, peuvent influencer la forme de l’effet d’intervalle, et ce de façon cohérente avec les prédictions du modèle.

D’une façon générale, et en mettant de côté l’existence de plusieurs niveaux de composants, un des arguments expérimentaux en faveur de cette théorie devrait être l’observation qu’une induction de variabilité de l’encodage élimine ou atténue l’effet d’espacement, comme ce qui a été observé dans les Expériences 1 et 2 de Glenberg (1979).

Les premières études ayant fait varier le contexte d’encodage entre deux présentations d’un item ont conduit à des conclusions mitigées. Certaines ont testé indirectement l’hypothèse de la variabilité de l’encodage, c’est le cas de Hintzman, et al. (1973), et de Hintzman, Summers, Eki, & Moore (1975, Expérience 1). Hintzman et al. (1973) ont fait varier la modalité sensorielle des présentations, ou l’ont gardée identique, et n’ont observé d’influence de cette manipulation ni sur la fréquence d’occurrence estimée par les sujets, ni sur l’effet d’espacement. Hintzman et al. (1975, Expérience 1) ont modifié le contexte lors de P2 en y ajoutant un signal sonore, mais cela n’a pas modifié l’effet d’espacement observé. Ces deux observations contredisent donc les prédictions de la théorie de la variabilité de l’encodage.

Parmi les études ayant modifié le contexte d’encodage directement pour tester l’hypothèse de la variabilité de l’encodage, citons Dempster (1987), Maskarinec et Thompson (1976), et Postman et Knecht (1983). Dempster a comparé la rétention de vocabulaire dans trois conditions : a) seule la définition du mot était fournie, b) une phrase de contexte était présentée suite à la définition, c) trois phrases de contexte étaient présentées suite à la définition. L’effet d’espacement a été observé, et l’introduction de phrases contextuelles n’a pas montré d’effet significatif et n’a pas non plus influencé l’effet d’espacement. Maskarinec et Thompson ont testé deux façons de modifier le contexte pour avoir des conditions d’encodage identiques ou différentes au fil des répétitions. Dans la première expérience, les auteurs ont modifié les items adjacents aux items cibles ; dans la deuxième expérience, en condition d’apprentissage incident, ils ont fait varier la tâche d’orientation réalisée sur les items. Dans aucun cas la variabilité de l’encodage n’a interagi avec l’effet d’espacement.

Postman et Knecht (1983) avaient pour objectif de vérifier si la variation de l’encodage était dans tous les cas plus favorable au rappel par rapport à une condition de constance d’encodage.Dans l’Expérience 1, ils faisaient lire aux sujets des phrases contenant chacune un mot cible, qui était l’objet du rappel final. Chaque mot cible était présenté trois fois, soit dans la même phrase répétée, ce qui constitue la condition de constance d’encodage, soit dans trois phrases différentes, ce qui constitue la condition de variabilité de l’encodage. Dans ce dernier cas, les trois phrases différentes induisaient la même signification du mot cible. Ensuite, une tâche de rappel libre ou de rappel indicé avaient lieu. Le rappel indicé fournissait comme indice une ou plusieurs phrases sans le mot cible. En condition d’indice unique, le rappel indicé fournissait une seule phrase contexte, tandis qu’en condition d’indices multiples, le rappel indicé fournissait les trois contextes différents. Il a été montré que pour une condition donnée d’encodage, la meilleure performance était obtenue lorsque le nombre d’indices fournis correspondait au nombre d’indices pendant l’encodage. La condition de variabilité n’était donc pas toujours avantageuse.

Dans l’Expérience 2, Postman et Knecht (1983) ont répliqué l’expérience précédente en prenant en compte uniquement les conditions où le nombre d’indices lors de l’encodage et lors du test correspondaient. Ils comparaient donc la situation où une phrase contexte était présentée à l’étude et lors du test, avec la condition où trois phrases contexte étaient présentées à l’étude et lors du test. Ils ont également ajouté une condition dans laquelle le test se produisait 24h plus tard. En rappel libre, il n’y avait pas de différence de performance entre les deux conditions, et le rappel diminuait selon la même amplitude entre le test immédiat et le test différé. En rappel indicé, la condition avec une phrase à l’encodage et lors du test était plus efficace, et les deux conditions déclinaient selon la même amplitude entre le test immédiat et le test différé. Ainsi, l’avantage de la variabilité de l’encodage n’était pas observé.

Ainsi, bien que la théorie de la récupération en phase d’étude ait été formalisée de façon détaillée et présente de nombreux attraits, tous les arguments expérimentaux ne vont pas dans son sens. Nous allons maintenant aborder un deuxième type d’explication, la récupération en phase d’étude, et nous verrons ensuite que, loin d’être antagonistes, ces deux hypothèses peuvent se combiner.