2. 2. Théorie de la récupération en phase d’étude

Le terme de récupération en phase d’étude (study-phase retrieval) apparaît pour la première fois dans l’article de Hintzman, Summers, et Block (1975). Pourtant le concept principal sous-tendant la théorie avait déjà été décrit dans des études antérieures, par exemple dans Hintzman et Block (1973). La théorie de la récupération en phase d’étude consiste en la proposition suivante : « un effet typique d’une seconde présentation d’un item est de récupérer la trace de la première présentation, incluant les associations contextuelles. Cela est possible uniquement si cette première trace est toujours accessible en mémoire » (Hintzman & Block). Tout comme l’hypothèse de la variabilité de l’encodage, l’hypothèse de la récupération en phase d’étude n’est pas limitée à l’explication des effets d’espacement et d’intervalle, mais peut aussi expliquer d’autres phénomènes, en particulier les effets observés lors d’un rappel de la position sérielle et lors d’un jugement de récence. Par exemple, dans l’article de Hintzman et Block, les sujets devaient estimer la durée de l’espacement qui séparait deux occurrences d’un item pendant la phase d’apprentissage. La théorie de la récupération en phase d’étude avait l’avantage de pouvoir expliquer pourquoi les jugements d’espacement pour un même item sont très précis, et comment l’information sur l’espacement est stockée en mémoire. L’hypothèse est que, lors de P2, on récupère la trace encodée lors de P1 ainsi que l’estimation de la durée depuis P1, et on stocke cette information. Au contraire, les jugements d’espacement pour deux items différents sont généralement beaucoup moins précis, ce qui pourrait s’expliquer par le fait que la présentation d’un item donné ne déclenche pas la récupération d’un autre item précédemment présenté et, par conséquent, l’information sur la récence de cet autre item n’est pas stockée en mémoire.

Un autre argument en faveur de l’existence de la récupération en phase d’étude se trouve dans Tzeng et Cotton (1980). Les auteurs présentaient une liste de mots aux sujets qui devaient les apprendre sans connaître la nature du test final. Ce dernier était un test de discrimination de récence, c’est-à-dire que les sujets devaient indiquer, parmi deux mots présentés, lequel avait été présenté le plus tardivement dans la liste. Le taux de bonnes réponses était plus élevé lorsque les deux mots de la paire appartenaient à la même catégorie sémantique (e.g., fraise et pomme) que lorsqu’ils étaient d’une catégorie sémantique différente (e.g., chien et voiture). Ces résultats peuvent s’interpréter de la façon suivante : au sein de la liste, un mot d’une certaine catégorie sémantique, disons par exemple « pomme » devrait automatiquement rappeler au sujet qu’il a vu auparavant un autre mot de la même catégorie, disons « fraise ». Cette remémoration au moment de la présentation du mot « fraise » est un événement lui-même stocké en mémoire. Ainsi, lorsque la paire « pomme - fraise » apparaît au moment du test final, le sujet devrait se souvenir que le second mot lui avait rappelé le premier et il devrait pouvoir choisir avec succès le mot le plus récent. À l’inverse, deux mots n’appartenant pas à la même catégorie sémantique, disons « chien » et « voiture », ne devraient pas bénéficier de cette récupération (ou de façon moins importante) car il n’y a pas de raison particulière pour que, lors de la présentation du mot « voiture », le sujet se souvienne qu’il a vu auparavant le mot « chien ». Des effets similaires ont été rapportés par Winograd et Soloway (1985), Hintzman, Summers et Block (1975) et Hintzman, Block et Summers (1973).

Concernant plus spécifiquement l’effet de pratique distribuée, nous avons déjà mentionné que, très tôt dans la littérature, certains auteurs (e.g., Martin, 1968 ; Melton, 1967) avaient remarqué qu’il était utile au rappel final que, au moment de P2, le sujet reconnaisse l’item comme étant une répétition. Par exemple, Melton faisait varier l’IIR entre les différentes occurrences d’un mot, et de plus, faisait réaliser aux sujets une tâche de reconnaissance lors de la phase d’apprentissage : pour chaque mot présenté le sujet devait annoncer s’il pensait que le mot était une répétition ou un nouveau mot. Lors du rappel libre ultérieur, les mots qui avaient été reconnus comme étant répétés étaient effectivement mieux rappelés que les mots non reconnus. Cependant, cet aspect de reconnaissance pendant l’étude n’avait jamais été réellement approfondi ou explicité jusqu’aux articles de Thios et D’Agostino (1976) et Johnston et Uhl (1976), que nous décrirons plus tard.

Il est important de noter que le terme de récupération en phase d’étude tel qu’on le retrouve dans les articles récents (e.g., Verkoieijen, Rikers, & Schmidt, 2004 ; Logan et Balota, 2008) peut référer à deux conceptions différentes. La première conception est employée dans des situations d’apprentissage où une récupération active du matériel est exigée de la part du sujet, c’est-à-dire qu’un ou plusieurs tests sont employés comme essais d’apprentissage (i.e., conditions Test seul ou Test-étude, telles que nous les avons définies dans le chapitre 1) comme dans Thios et D’Agostino (1976). La seconde conception, davantage liée au phénomène de réminiscence ou remémoration (reminding) décrit dans Tzeng et Cotton (1980), et dans Hintzman et Block (1973) par exemple, est employée dans les situations où une simple répétition (i.e., condition Etude seule) déclenche chez le sujet une récupération automatique de souvenirs, qui se manifeste par un sentiment de reconnaissance. Nous décrirons d’abord les hypothèses s’appliquant aux conditions de récupération active, puis nous décrirons ensuite les hypothèses s’appliquant à la récupération automatique, qui nous concernent plus directement dans le présent travail.