2. 2. 1. Première acception : récupération active

Cette première conception de la théorie de la récupération en phase d’étude correspond à une situation expérimentale où les essais d’apprentissage sont des tests de récupération, suivis ou non d’un feedback (respectivement conditions Test seul ou Test étude). Selon cette conception, une récupération réussie du matériel pendant un test ayant lieu pendant la phase d’apprentissage est utile à la récupération finale. Thios et D’Agostino (1976) ont voulu tester directement cette hypothèse, qu’ils considèraient opposée à celle de la variabilité de l’encodage. Selon les auteurs, une fonction importante du second essai est de déclencher la récupération active de la représentation stockée pendant le premier essai, et ce sont les phénomènes associés à cette récupération qui pourraient être la cause des effets d’espacement et d’intervalle observés dans le rappel ultérieur. Leurs hypothèses étaient que les effets d’espacement et d’intervalle observés dans des conditions qui encouragent la récupération active en phase d’étude devraient être substantiellement réduits lorsque la récupération est empêchée. Les Expériences 1 et 2 se déroulaient de la façon suivante. Des phrases étaient présentées et le sujet devait les apprendre (e.g., The conductor boarded the express train), puis il y avait un intervalle de durée variable pendant lequel le sujet réalisait une tâche distractrice. Le second essai d’apprentissage consistait pour le sujet à fournir la phrase vue auparavant mais en la transformant pour qu’elle soit à la voix passive (e.g., The express train was boarded by the conductor). Ce deuxième essai appartenait à l’une ou l’autre des deux conditions suivantes. Dans la condition de récupération, seul l’objet de la phrase était donné comme indice, et le sujet devait se souvenir du reste de la phrase pour la transformer et la donner à la voix passive (e.g., Express train). Dans la condition de non récupération, l’objet de la phrase était également donné mais était accompagné de l’intégralité de la phrase déjà vue, ainsi le sujet n’avait pas à récupérer la phrase en mémoire mais pouvait faire la transformation directement à l’aide de la phrase fournie (e.g., Express train - The conductor boarded the express train). Enfin, immédiatement après la fin de la phase d’apprentissage, un rappel libre des phrases avait lieu. Les trois résultats suivants ont été observés : 1) En condition de non récupération, l’effet d’intervalle n’était pas observé : tous les intervalles permettaient le même rappel final. 2) En condition de récupération, la probabilité de récupération en phase d’étude, c’est à dire la capacité à restituer la phrase à la voix passive lors de P2, diminuait au fur et mesure que l’intervalle augmentait. Cela est cohérent avec la notion d’oubli lié au passage du temps. 3) En condition de récupération, la probabilité de rappel final correct de la phrase augmentait avec l’intervalle entre les deux essais, mais seulement lorsque la récupération avait pu être correctement réalisée par le sujet. Il s’agit de l’effet d’intervalle classiquement observé. 4) En condition de récupération, mais lorsque le sujet ne parvenait pas à donner la phrase à la voix passive, ce qui correspond à un échec à la tâche de récupération, l’effet d’intervalle était moins franc (cependant les conclusions sont limitées par le petit nombre d’observations dans ce cas). Ainsi, ces résultats montrent que la récupération de l’information lors des répétitions a une influence essentielle sur le rappel final et sur l’effet d’intervalle.

Les auteurs ont proposé l’explication suivante. Partant du postulat que la quantité de traitement (ou effort de récupération) de la seconde occurrence est positivement corrélée à la performance de rappel final, alors cette quantité de traitement doit être la plus élevée possible. Or, plus l’intervalle P1-P2 est long, plus la récupération en phase d’étude est difficile, étant donné que l’oubli du matériel se produit progressivement pendant cet intervalle. Ainsi, plus l’IIR est long, plus le traitement réalisé au moment de P2 est important et, par conséquent, meilleur sera le rappel final. (Ceci n’est cependant valable que dans la mesure où l’information est effectivement récupérée en mémoire à P2). Or, cet effort de récupération augmente avec l’IIR. Bjork (1975, cité dans Roediger & Karpicke, 2006) a postulé que la profondeur de récupération pourrait opérer de façon similaire à la profondeur de traitement lors de l’encodage, c’est-à-dire qu’une récupération nécessitant plus d’effort serait un événement potentiellement plus utile à la rétention finale qu’une récupération dite superficielle. Cependant il est nécessaire que, pour jouer ce rôle, la récupération soit réussie, ou alors qu’un feedback soit donné au sujet en cas d’échec. Cette hypothèse d’effort de récupération présente des points communs avec celle de la reconstruction (voir la section 2.4).

Une autre interprétation, proposée par d’autres auteurs, est la suivante. Plus l’intervalle P1-P2 est long, plus la récupération exigée lors de P2 est similaire à la récupération exigée lors du test final, et donc plus elle favorise ce dernier car elle constituerait alors un « entraînement » pour le rappel final. Cet argument est à rapprocher de l’hypothèse du transfer appropriate processing qui énonce que la performance à une tâche de mémoire est d’autant plus élevée que les processus requis pour la réaliser correspondent aux opérations d’encodage engagés pendant l’apprentissage (Morris, Bransford, & Franks, 1977). En effet, un test réalisé lors d’un épisode P2 peu de temps après l’épisode P1 pourrait nécessiter des processus différents de ceux requis lors d’un test de récupération finale (e.g., une récupération d’information à partir de la mémoire à court terme). À l’opposé, plus l’intervalle P1-P2 augmente, plus les processus de récupération engagés à P2 sont proches de ceux requis lors du test final, qui a lieu après un DR d’une certaine durée.

Ces hypothèses sont similaires à celles avancées par les auteurs des études récentes sur l’effet de l’agencement temporel des essais à court terme (Karpicke & Roediger, 2007 ; Logan & Balota, 2008) et qui mettent en évidence, comme nous l’avons vu dans la section 1.4.1, que la durée séparant la présentation initiale et le premier test serait un facteur essentiel à la rétention finale.

Les expériences de Thios et d’Agostino (1976) avaient pour mérite de constituer un test direct de la théorie de la récupération en phase d’étude. Cependant, les processus mis en jeu lorsque, à l’apprentissage, on exige du sujet une récupération active ne sont pas représentatifs des processus mis en jeu lorsqu’un item est présenté à nouveau. Le titre de l’article de Glenberg et Smith (1981) illustre bien cette différence : « Espacer les répétitions et résoudre des problèmes ne sont pas la même chose ». En d’autres termes, la récupération ici est dite « active ». Plus classiquement, la théorie de la récupération en phase d’étude fait appel à la notion de récupération automatique, liée à la reconnaissance. Nous nous focaliserons davantage sur cette seconde conception.