2. 1. 3. Remémoration récursive

En 2004, Hintzman proposa la notion de remémoration récursive (recursive reminding) pour expliquer pourquoi les réponses des sujets dans les tâches de jugement de fréquence et de jugement de confiance en reconnaissance ne peuvent pas s’expliquer par un facteur unique. Hintzman défendait l’idée qu’il faut considérer comment les processus mentaux engagés par la seconde étude d'un item diffèrent de ceux engagés lors de la première présentation. Un candidat évident est justement la remémoration (reminding). La remémoration est une recollection qui se produit durant un essai d'étude, c’est-à-dire une réminiscence spontanée d’événements reliés au stimulus, particulièrement des événements antérieurs ayant eu lieu au sein de l’expérience. Cette recollection contiendrait l’item, le traitement réalisé sur l’item et les éléments contextuels associés à l’occurrence de l’item ; cette remémoration serait, de plus, associée à une expérience subjective chez le sujet. L’auteur postulait que la seconde présentation d’un item n'est pas seulement encodée en tant que telle, mais que, comme elle rappelle aussi au sujet la première présentation, alors l’ensemble de ces événements cognitifs (i.e., recollection de P1 + nouveau traitement de l’item) est encodé dans la nouvelle trace. Si une troisième présentation a lieu, elle rappelle au sujet la deuxième présentation, qui contenait elle-même le souvenir de la recollection de P1, et tous ces événements cognitifs sont encodés dans la trace (i.e., recollection de P2 qui contient la recollection de P1 + nouveau traitement de l’item). Ce processus peut se poursuivre pour chaque nouvelle présentation. Les recollections seraient donc enchâssées les unes dans les autres, c’est-à-dire que le sujet ne se souviendrait pas d’événements distincts correspondant à P1, P2, P3 etc ; plutôt, l’item évoquerait la réminiscence de sa dernière occurrence, qui elle-même avait déclenché la réminiscence de l’occurrence précédente, qui elle-même avait déclenché la réminiscence de l’occurrence précédente, etc.

Ainsi, en 2010, Hintzman postulait que la théorie de la remémoration récursive pouvait être une bonne alternative aux modèles explicatifs classiques de l’effet de répétition, qui sont les modèles basés sur les notions de trace cumulative d’une part, et de traces indépendantes d’autre part. Il a observé que la répétition peut faire paraître un item plus récent qu’il ne l’est réellement, mais aussi moins récent qu’il ne l’est réellement, et que cela dépend de l’espacement des répétitions. D’autre part, les sujets peuvent juger de la récence de deux présentations d’un item avec un certain degré d’indépendance, particulièrement quand ils se souviennent correctement que l’item a été présenté deux fois.

Benjamin et Tullis (2010 ; voir aussi Benjamin & Ross, in press) aboutissaient à une conclusion similaire. Dans le cadre de l’effet de pratique distribuée, ils émettaient des réserves au sujet des théories de la variabilité de l’encodage et proposaient à la place un nouveau modèle. Ce modèle consistait à apporter aux modèles mathématiques existants tels que SAM (Raaijmakers, 2003) ou MINERVA 2 (Hintzman, 1988) des améliorations incluant la notion de remémoration récursive, afin de mieux rendre compte des effets de répétition sur la rétention ultérieure. Les auteurs énonçaient trois principes qui supplémentent les principes de base de la récupération en phase d’étude :

La notion de remémoration récursive n’est pas, selon les auteurs, encore assez aboutie pour être considérée comme un modèle. Il s’agit cependant d’une piste prometteuse à explorer dans le futur. La nouveauté de cette perspective, par rapport à la théorie de la récupération en phase d’étude -et bien que basée sur celle-ci- est que le traitement réalisé sur un item répété est différent selon la recollection qu’elle déclenche chez le sujet. Par exemple, si la deuxième occurrence du mot pomme fait se rappeler au sujet l’épisode où il a vu pomme, alors le traitement qu’il va réaliser (i.e., stratégie d’apprentissage, éléments évoqués, métacognition, etc…) sera différent du cas où la répétition ne lui rappelle rien.

En guise de synthèse, un des intérêts des hypothèses de la récupération en phase d’étude et de la remémoration récursive, est que la récupération de la trace mnésique a pour conséquence de faire le lien, en mémoire, entre les deux (ou plus) occurrences d’un même item. Cependant, à elle seule, elle explique difficilement les effets d’intervalle ou d’espacement ; elle peut simplement expliquer la chute des performances pour de longs IIR. Il semble implicite, dans la littérature, que cette récupération est corrélée au sentiment de reconnaissance de l’item, mais aucune discussion sur cette idée n’apparaît dans les articles, sauf chez Hintzman (2004, 2010) qui parle d’une expérience subjective chez le sujet.

Nous allons maintenant développer les modèles théoriques qui combinent la théorie de la variabilité de l’encodage et celle de la récupération en phase d’étude, que nous appelons modèles mixtes.