2. 3. Modèles mixtes combinant variabilité de l’encodage et récupération en phase d’étude

Quelques auteurs ont proposé des explications de l’effet de pratique distribuée qui combinent les hypothèses de variabilité de l’encodage et de récupération en phase d’étude. Ce courant n’a cependant pas été très suivi par les auteurs actuels puisque dans la majorité des articles récents (e.g., Cepeda et al., 2006), ces deux théories sont mises en opposition. Nous allons développer dans cette section les études apportant des arguments expérimentaux en faveur de ces modèles appelés ici « mixtes ».

Nous avons vu précédemment (section 2.1.4) que les expériences dans lesquelles on faisait varier les contextes d’encodage à P1 et à P2 échouaient dans bon nombre de cas à améliorer le rappel final (e.g., Postman & Knecht, 1983). Les études de Bellezza et collègues (Bellezza, Winkler, & Andrasik, 1975 ; Bellezza & Young, 1989 ; Young & Bellezza, 1982) ont tenté d’apporter des explications à ces échecs sans toutefois abandonner l’hypothèse de la variabilité de l’encodage. Young et Bellezza (1982) ont montré, tout comme Postman et Knecht (1983), que certaines situations dans lesquelles l’encodage était constant entre deux occurrences d’un même item menaient à de meilleures performances finales que lorsque l’encodage était variable. En effet, dans 3 expériences sur 4 réalisées, la condition de constance d’encodage était plus favorable au rappel final que la condition de variabilité d’encodage. Les auteurs concluaient de ces résultats que, dans certains cas, il est plus utile de maintenir à P2 la « structure organisationnelle » créée lors de P1 que d’augmenter le nombre de composants associés à l’item. Selon les auteurs, la performance de rappel final serait améliorée seulement si la variabilité de l’encodage entraîne l’addition d’information au même locus fonctionnel, c’est-à-dire à la même trace mnésique ; ce ne serait pas le cas lorsqu’elle induit la création de traces fonctionnelles séparées. Pour réaliser cette addition d’information, il est nécessaire, au moment de la répétition, de récupérer la trace mnésique correspondant à la première occurrence de l’item, ce qui correspond à la récupération en phase d’étude.

Or, dans les expériences présentées dans l’article, il est possible que cette condition de création d’une trace unique n’ait pas été remplie. Il est possible que, dans les conditions d’encodage variable, la seconde présentation ait entraîné la formation d’une nouvelle trace mnésique, tandis que, dans les conditions d’encodage constant la seconde présentation ait entraîné la récupération de la trace mnésique existante. Dans leur article de 1989, les auteurs ont proposé l’hypothèse du chunking (Bellezza & Young, 1989). Cette hypothèse postule que lorsque la seconde présentation d’un item a lieu, le sujet peut reconnaître cet item comme étant une répétition. Dans ce cas-là, la trace mnésique de la première présentation est récupérée et l’information de la deuxième occurrence est introduite dans cette trace déjà existante ; il y a chunking des deux contextes au sein d’une même trace. Au contraire, si le sujet ne reconnaît pas l’item comme étant une répétition, alors une nouvelle trace mnésique est créée indépendamment de la première. La formation d’une trace mnésique unique et élaborée entraîne un rappel optimal. Ainsi, selon cette théorie, le rappel optimal se produirait lorsque les deux conditions suivantes sont remplies : 1) la trace mnésique formée à P1 est récupérée durant P2 ; et 2) le contexte lors de P2 est assez différent de celui de P1 pour qu’une nouvelle information soit additionnée à la trace unique. Selon cette hypothèse, l’amplitude de variabilité de l’encodage est cruciale pour déterminer la performance de rappel ultérieur. Elle ne doit être ni trop faible, ni trop importante. Si la variabilité de l’encodage est trop importante (comme par exemple lorsqu’on exige du sujet une tâche d’orientation différente lors des deux occurrences), elle va empêcher, au moment de P2, la reconnaissance de l’item et la récupération de la trace. Si la variabilité de l’encodage est trop faible (comme par exemple lorsque l’item est répété à l’identique peu de temps après la première occurrence), elle ne garantit pas que la trace récupérée bénéficiera d’une élaboration. Greene et Stillwell (1995) ont répliqué les observations de Bellezza et collègues dans une tâche de jugement de fréquence.

Grâce à ces conceptions, il devient possible d’expliquer pourquoi certaines expériences ont montré un avantage de la constance d’encodage et d’autres un avantage de la variabilité d’encodage. Les deux types de résultats dépendaient du fait que P2 soit reconnu ou non comme une répétition de P1. En effet, la probabilité de ne pas récupérer la trace de P1 au moment de P2 est plus importante en condition de variabilité d’encodage. Ainsi, dans les expériences, la constance d’encodage était supérieure à la variabilité d’encodage dans le cas où la condition de variabilité d’encodage empêchait la récupération en phase d’étude. A contrario, la variabilité d’encodage était supérieure à la constance d’encodage dans le cas où la condition de variabilité d’encodage permettait la récupération en phase d’étude.

Verkoiejen et al. (2004) ont également conclu à la pertinence d’un modèle combinant variabilité de l’encodage et récupération en phase d’étude. Dans leurs deux expériences, les participants devaient apprendre une liste contenant des mots présentés en condition massée ou distribuée. Ces mots étaient répétés soit dans le même contexte soit dans un contexte différent, le contexte étant opérationnalisé par l’arrière-plan des items. Le composant variabilité de l’encodage du modèle prédit qu’une variation du contexte devrait avoir un effet bénéfique sur le rappel libre des répétitions massées. A contrario, le composant récupération en phase d’étude du modèle prédit qu’une variation du contexte devrait avoir un effet délétère sur le rappel libre des répétitions espacées. En effet, dans cette condition, la récupération en phase d’étude n’est pas assurée. Les résultats des deux expériences étaient consistants avec ces prédictions car il a été observé une interaction croisée entre l’espacement et la congruence du contexte lors des deux occurrences : les répétitions massées étaient mieux rappelées quand présentées dans différents contextes, alors que les présentations espacées étaient mieux rappelées quand répétées dans un même contexte. Ces résultats suggèrent donc qu’une explication adéquate de l’effet d’espacement en rappel indicé devrait incorporer les mécanismes de variabilité de l’encodage et de récupération en phase d’étude. Ainsi, il semble que l’effet facilitateur dû à l’espacement sur le rappel libre s’observera uniquement si le souvenir de la première occurrence de l’item est récupéré lors de la seconde occurrence.

Le modèle de Raaijmakers (2003) ainsi que celui de Mozer et al. (2009) implémentent des modèles de type mixte. Ces modèles seront développés dans la section 3.2.

Nous avons vu que les théories de la variabilité de l’encodage et de la récupération en phase d’étude ont toutes deux des avantages ainsi que des limites ; ainsi, au lieu de les opposer, combiner ces deux hypothèses pourrait permettre de mieux expliquer les effets de pratique distribuée. Nous allons maintenant nous intéresser à des hypothèses moins couramment évoquées dans la littérature.