2. 5. Explications métacognitives

Pour conclure sur les théories psychologiques de l’effet de pratique distribuée, nous trouvons pertinent de présenter les hypothèses liées au comportement volontaire d’apprentissage réalisé par le sujet. En effet, jusqu’à présent, nous n’avons considéré que des théories qui font abstraction du sujet en situation d’apprentissage, de ses choix, de ses motivations, et de ses stratégies. Il est cependant évident que les choix du sujet -notamment dans des tâches où le celui-ci doit apprendre du matériel dans le but de s’en souvenir plus tard- en termes d’allocation de ressources cognitives, de stratégies d’apprentissage, d’effort engagé ou non à la tâche, et tout ce qui constitue ce qu’on appelle la métacognition, peuvent entrer en ligne de compte dans les effets mnésiques. Ces phénomènes pourraient s’ajouter à ceux qui échappent à la volonté et à la conscience du sujet, comme la variabilité de l’encodage, la récupération en phase d’étude, etc. Ces considérations sont particulièrement pertinentes dans des situations relativement écologiques telles qu’un apprentissage sur plusieurs jours, qui nécessitent un certain engagement de la part du sujet.

En 2005, Bahrick et Hall ont été parmi les premiers à mettre en avant cette notion de métacognition comme facteur explicatif des effets de pratique distribuée ; ils se sont concentrés en particulier sur les situations dans lesquelles l’apprentissage a lieu sur le long terme, c’est-à-dire sur au moins plusieurs jours. Les auteurs insistaient sur le fait qu’il faut prendre en considération les processus cognitifs qui se produisent au moment de l’apprentissage car ils joueraient un rôle causal dans le niveau de rétention ultérieur. Par exemple, les expériences de Bahrick (1979) et Bahrick et al. (1993 ; voir la section 1.3.2) ont montré que de très longs intervalles entre les sessions d’apprentissage sont associés à de faibles performances pendant l’apprentissage, contrairement à des sessions rapprochées. En revanche, de très longs intervalles entre les sessions d’apprentissage sont associés à une meilleure rétention ultérieure de l’information, par rapport à des intervalles plus courts. (Dans les expériences de Bahrick et collaborateurs, les phases d’apprentissage étaient constituées d’essais de type Test-étude, ce qui permet de rendre compte des performances du sujet pendant l’apprentissage.) Pour expliquer ces résultats, les auteurs faisaient l’hypothèse suivante : les différentes stratégies engagées par le sujet pour apprendre peuvent avoir une durée d’efficacité variable. Mais on ne peut se rendre compte que la stratégie que l’on utilise n’est pas efficace qu’en faisant l’expérience d’un échec de récupération. Si tous les IIR sont courts le sujet ne fera pas l’expérience de l’échec (i.e., il réussira les tests), et ne changera donc pas de stratégie. À l’inverse, si les IIR sont longs, le sujet fera plus probablement l’expérience que ses stratégies antérieures n’étaient pas efficaces, et sera amené à les perfectionner.

Les expériences réalisées dans l’étude de Bahrick et Hall (2005) ont montré que les sujets étaient plus enclins à changer de stratégie d’apprentissage lorsque les IIR étaient longs que lorsque les IIR étaient courts et que cela était bénéfique pour la rétention ultérieure. En outre, les temps d’étude, décidés par les sujets, étaient également plus longs pour les items auxquels ils n’avaient pas pu répondre correctement juste auparavant. Ainsi les sujets adaptaient leurs stratégies en fonction des succès ou échecs aux tests. Il est raisonnable de penser que, d’une façon générale, les sujets ajustent leurs stratégies d’apprentissage même lorsque des essais de type Etude seule sont employés pendant la phase d’apprentissage. Par exemple, lors de la répétition d’un item, il est possible que les sujets tiennent ce type de discours intérieur : « Je reconnais ce pseudomot, mais je n’aurais pas pu me souvenir de sa traduction » et perfectionnent alors leur apprentissage. De la même façon, si l’IIR est trop long, il est probable que les sujets ne reconnaissent pas l’item répété et qu’ils remettent en jeu la même stratégie d’apprentissage qui s’était révélée inefficace.

Ces considérations mettent donc en avant l’idée qu’il ne faut pas négliger les comportements délibérés du sujet dans l’explication des effets de pratique distribuée.