3. 1. Apport de l’imagerie cérébrale pour l’étude de l’effet de pratique distribuée

Les discussions sur les causes de l’effet de pratique distribuée peuvent bénéficier de nouveaux types d’arguments expérimentaux avec l’utilisation des techniques d’imagerie fonctionnelle. Les techniques d’imagerie cérébrale fonctionnelle, en particulier l’IRM fonctionnelle, permettent d’observer l’activité cérébrale d’un individu en train de réaliser une tâche cognitive. À notre connaissance, aucune étude en imagerie cérébrale ne s’est intéressée à l’effet de la pratique distribuée en comparant plusieurs IIR supérieurs à 24 h, ni sur l’effet de l’agencement temporel, à court ou à long terme. Cependant, étant donné le caractère novateur de ces techniques pour répondre à la problématique plus générale de l’effet de pratique distribuée, et les arguments qu’elles apportent en termes de théorie explicative, nous présenterons dans ce chapitre les résultats de cinq études récentes qui ont porté sur les bases neurales de l’effet d’espacement et de l’effet d’intervalle à court terme. L’étude de Takashima et al. (2007) a également porté sur cette problématique mais, à cause de problèmes méthodologiques (i.e., pas d’égalisation du DR) rendant les conclusions difficilement interprétables, nous choisissons de ne pas la développer ici.

Avant de décrire ces expériences, il est nécessaire de développer quelques résultats issus des études en imagerie fonctionnelle. Tout d'abord, il est possible de mesurer les niveaux d'activation au moment de l’encodage dans certaines régions cérébrales connues comme ayant un rôle potentiel dans l’encodage de nouveaux items, telles que le cortex préfrontal et le lobe médian temporal (en particulier la région para-hippocampique). Il s’est avéré que ces niveaux d’activation étaient plus importants pour les items qui étaient reconnus ultérieurement que pour les items qui n'étaient pas reconnus (e.g., Brewer, Zhao, Desmond, Glover, & Gabrieli, 1998 ; Wagner, Dale, Rosen, & Buckner, 1998). D'autre part, il a été montré que les manipulations de profondeur d’encodage (Otten, Henson, & Rugg, 2001) et de familiarité du matériel étudié (Chee, Westphal, Goh, Graham, & Song, 2003) augmentent l’activité neuronale de ces régions durant l’encodage, et améliorent généralement aussi la rétention ultérieure du matériel.

Il a également été observé en IRM fonctionnelle et en TEP chez l’humain, ainsi que par l’enregistrement de neurones isolés chez l’animal ou les patients implantés, le phénomène dit de suppression de répétition (repetition suppression). Il s’agit de l’observation d’une diminution de la réponse hémodynamique ou neuronale dans certaines régions au moment de la répétition d’un stimulus. En effet, on observe un certain niveau d’activation lors de la première présentation du stimulus (P1) puis, lors des répétitions ultérieures du même stimulus (P2, P3, etc), ce niveau d’activation est plus faible. Les régions cérébrales présentant ce phénomène dépendent du type de stimuli traités et de la tâche d’orientation réalisée. La suppression de répétition est alors considérée comme le corrélat neurophysiologique de l’amorçage à court terme (e.g., Henson, 2003). Il a de plus été observé que l’intervalle temporel entre les répétitions (IIR) d’un stimulus influence l’amplitude de la suppression de répétition. Pour les items familiers, lorsque l’IIR augmente, alors l’activité observée lors de P2 augmente. Autrement dit, après un intervalle court, on observe une faible activation lors de P2, qui reprend peu à peu son niveau normal au fur et à mesure de l’augmentation de l’IIR (Henson, Rylands, Ross, Vuilleumier, & Rugg, 2004 ; Henson, Shallice, & Dolan, 2000). Ainsi, la suppression de répétition est de plus en plus faible lorsque l’IIR augmente.

La suppression de répétition et sa modulation par l’IIR a également été observée au niveau de l’hippocampe et des cortex périrhinaux, entorhinaux et inférotemporaux. Il a été suggéré que cette diminution d’activité serait la base de la reconnaissance (Brown & Xiang, 1998) : on reconnaît qu’un item est une répétition lorsque le niveau d’activité dans ces régions est plus faible qu’en temps normal. Par conséquent, on peut se demander si le phénomène de suppression de répétition pourrait être à l’origine des effets d’espacement et d’intervalle classiquement observés. Selon cette hypothèse, la diminution d’activation observée lorsque l’IIR est court pourrait être à l’origine de la faible rétention ultérieure de l’item.

Il est intéressant de remarquer que l’hypothèse de suppression de répétition peut être considérée comme une variante neurophysiologique de l’hypothèse du traitement déficitaire : en condition massée ou d’intervalle court, le traitement réalisé sur l’information à P2 est moindre que celui réalisé en condition distribuée, ce qui est délétère pour les processus d’encodage et donc pour la récupération ultérieure.